Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/593

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lon de forme ronde étoit au milieu de cette superbe galerie : l’intérieur des sallons, de la galerie, & de toutes les parties accessoires, étoit décoré d’architecture d’ordres composés. Les pilastres étoient peints en lapis ; les chapiteaux, les bases, les corniches étoient rehaussés d’or ; & la frise peinte en lapis étoit ornée de guirlandes de fleurs.

Dans les parties accessoires, les panneaux étoient peints en breche violette, & les bords d’architecture en blanc veiné. Les moulures étoient dorées, ainsi que les ornemens & les accessoires.

On avoit rassemblé dans les plafonds les sujets les plus rians de l’Histoire & de la Fable : ils étoient comme encadrés par des chaînes de fleurs peintes en coloris, portées par des grouppes d’amours & de génies joüans, avec leurs divers attributs.

Les trumeaux & les panneaux étoient couverts des glaces les plus belles ; & on y avoit multiplié les girandoles & les lustres, autant que la symmétrie & les places l’avoient permis.

C’est dans le sallon du milieu de cette galerie que devoit être dressée la table du banquet royal.

L’extérieur de ces édifices orné d’une noble architecture, étoit décoré de riches pentes à la turque, avec portiques, pilastres, bandeaux, architraves, corniches, & plusieurs grouppes de figures allégoriques à la fête. Tous les ornemens en fleurs étoient peints en coloris ; tous les autres étoient rehaussés d’or : au tour intérieur de l’orangerie, en face de la galerie, on avoit construit un portique élégant dont les colonnes séparées étoient fermées par des cloisons peintes des attributs des diverses nations de l’Europe. Les voûtes représentoient l’air, & des génies en grouppes variés & galans, qui portoient les fleurs & les fruits que ces divers climats produisent. Dans les côtés étoient une immense quantité de girandoles cachées par la bâtisse ingénieuse, à différens étages, sur lesquels étoient étalés des marchandises, bijoux, tableaux, étoffes, &c. des pays auxquels elles étoient censées appartenir.

Dans le fond étoit élevé un théatre ; il y en avoit encore un dans le milieu & à chacun des côtés : aux quatre coins étoient des amphithéatres remplis de musiciens habillés richement, avec des habits des quatre parties de l’Europe. Tout le reste étoit destiné aux différens objets de modes, d’industrie, de magnificence, & de luxe, qui caractérisent les mœurs & les usages des divers habitans de cette belle partie de l’univers.

Au moment que le roi seroit arrivé, cinquante vaisseaux équipés richement à l’antique, de grandeurs & de formes différentes ; vingt frégates & autant de galeres portant des troupes innombrables de guerriers répandus sur les ponts & armés à la greque, auroient paru courir à pleines voiles contre la ville bâtie : le feu de ces vaisseaux & celui de la ville étoit composé par un artifice singulier, que la fumée ne devoit point obscurcir, & qui auroit laissé voir sans confusion tous ses desseins & tous ses effets. Les assaillans après les plus grands efforts, & malgré la défense opiniâtre de la ville, étoient cependant vainqueurs ; la ville étoit prise, saccagée, détruite ; & sur ses débris s’élevoit tout-à-coup un riche palais à jour. Voyez Feu d’Artifice.

Le festin alors devoit être servi ; & comme un changement rapide de théatre, toutes les différentes parties de l’orangerie, telles qu’on les a dépeintes, se trouvoient frappées de lumiere ; le palais magique du fond de la piece des Suisses, les fermes qui représentoient à ses côtés les divers paysages, la suite de maisons, les coupures de campagne, &c. qu’on a expliquées plus haut, se trouvoient éclairés sur les divers desseins de cette construction, ou suivant les différentes formes des arbres dont la campagne étoit couverte.

Les deux côtés du château, toute la partie des jardins qui aboutissoit en angle sur l’orangerie & sur la piece des Suisses, étoient remplis de lumieres qui dessinoient les attributs de l’amour & ceux de l’hymen. Des ruches couvertes d’abeilles figurées par des lampions du plus petit calibre & multipliées à l’infini, offroient une allégorie ingénieuse & saillante de la fête qu’on célébroit, & de l’abondance des biens qui devoient la suivre. Les trompettes, les tymbales, & les corps de musique des quatre coins de l’orangerie, devoient faire retentir les airs pendant que le Roi, la Reine, & la famille royale, dans le sallon du milieu, & toute la cour, à vingt autres tables différentes, joüiroient du service le plus exquis. Après le soupé, le premier coup-d’œil auroit fait voir cette immensité de desseins formés au loin par la lumiere, & cette foule de personnages répandus dans l’enceinte de l’orangerie représentant les différentes nations de l’Europe, & placés avec ordre dans les cases brillantes où ils avoient été distribués.

On devoit trouver, au sortir de la galerie, en joüissant de la vûe de toutes les richesses étrangeres, qui avoient été rassemblées sous les beaux portiques, un magnifique opéra, qui, au moment de l’arrivée du roi, auroit commencé son spectacle.

Au sortir du grand théatre, la cour auroit suivi le Roi sous tous les portiques : les étoffes, le goût, les meubles élégans, les bijoux de prix, auroient été distribués par une lotterie amusante & pleine de galanterie, à toutes les dames & à tous les seigneurs de la cour.

Le magnifique spectacle de ce séjour, après qu’on auroit remonté le grand escalier, & qu’on auroit apperçû l’illumination du bassin, de l’orangerie, des deux faces du château, & des deux parties des jardins qui y répondent, auroit servi de clôture aux fêtes surprenantes de ce jour tant desiré.

L’attente de la nation fut retardée d’une année ; & alors des circonstances qui nous sont inconnues lierent sans doute les mains zélées des ordonnateurs. Sans autre fête qu’un grand feu d’artifice, ils laisserent la cour & la ville se livrer aux vifs transports de joie que la naissance d’un prince avoit fait passer dans les cœurs de tous les François. Voyez Fêtes de la Ville de Paris

Les douceurs de la paix & un accroissement de bonheur, par la naissance de Monseigneur le duc de Berry, firent renaître le goût pour les plaisirs. M. le duc d’Aumont fut chargé en 1754 des préparatifs des spectacles. Le théatre de Fontainebleau fut repris sous œuvre, & exerça l’adresse féconde du sieur Arnoult, machiniste du roi, aidée des soins actifs de l’ordonnateur & du zele infatigable des exécutans. On vit représenter avec la plus grande magnificence, six différens opéra françois qui étoient entremêlés les jours qu’ils laissoient libres des plus excellentes tragédies & comédies de notre théatre.

L’ouverture de ce théatre fut faite par la naissance d’Osiris, prologue allégorique à la naissance de monseigneur le duc de Berry ; on en avoit chargé les auteurs du ballet des fêtes de l’hymen & de l’amour, qui avoient fait la clôture des fêtes du mariage : ainsi les talens modernes furent appellés dans les lieux même où les anciens étoient si glorieusement applaudis. Le petit opéra d’Anacréon, ouvrage de ces deux auteurs ; Alcimadure, opéra en trois actes précédé d’un prologue, & en langue languedocienne, de M. Mondonville, eurent l’honneur de se trouver à la suite de Thésée, cet ouvrage si fort d’action ; d’Alceste, le chef-d’œuvre du merveilleux & du pathétique ; enfin de Thétis, opéra renommé du célebre M. de Fontenelle. On a vû ce poëte philosophe emprunter la main des graces pour offrir la lumiere au dernier siecle. Il joüit à