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rope son amour pour les Arts, & sa magnificence.

Le 2d mariage de M. le Dauphin en 1747 ouvrit une carriere nouvelle à M. le duc de Gesvres, & il la remplit de la maniere la plus glorieuse. Les bals parés & masqués donnés avec l’ordre le plus desirable, de brillantes illuminations, voyez Illumination ; les feux d’artifice embellis par des desseins nouveaux, voyez Feu d’artifice ; tout cela préparé sans embarras, sans confusion, conservant dans l’exécution cet air enchanteur d’aisance, qui fait toûjours le charme de ces pompeux amusemens, ne furent pas les seuls plaisirs qui animerent le cours de ces fêtes. Le théatre du manege fournit encore à M. le duc de Gesvres des ressources dignes de son goût & de celui d’une cour éclairée.

Outre les chefs-d’œuvre du théatre françois, qu’on vit se succéder sur un autre théatre moins vaste d’une maniere capable de rendre leurs beautés encore plus séduisantes, les opéra de la plus grande réputation firent revivre sur le théatre du manége l’ancienne gloire de Quinault, créateur de ce beau genre, & de Lulli, qui lui prêta tous ces embellissemens nobles & simples qui annoncent le génie & la supériorité qu’il avoit acquise sur tous les musiciens de son tems.

M. le duc de Gesvres fit plus ; il voulut montrer combien il desiroit d’encourager les beaux Arts modernes, & il fit représenter deux grands ballets nouveaux, relatifs à la fête auguste qu’on célebroit, avec toute la dépense, l’habileté, & le goût dont ces deux ouvrages étoient susceptibles. L’année galante fit l’ouverture des fêtes & du théatre ; les fêtes de l’hymen & de l’amour furent choisies pour en faire la clôture.

Ainsi ce théatre, superbe édifice du goût de M. le maréchal de Richelieu, étoit devenu l’objet des efforts & du zele de nos divers talens ; on y jouit tour-à-tour des charmes variés du beau chant françois, de la pompe de son opéra, de toutes les graces de la danse, du feu, de l’harmonieux accord de ses symphonies, des prodiges des machines, de l’imitation habile de la nature dans toutes les décorations.

On ne s’en tint point aux ouvrages choisis pour annoncer par de nobles allégories les fêtes qu’on vouloit célebrer ; on prit tous ceux qu’on crut capables de varier les plaisirs. M. le maréchal de Richelieu avoit fait succéder à la Princesse de Navarre, le Temple de la Gloire, & Jupiter vainqueur des Titans, spectacle magnifique, digne en tout de l’auteur ingénieux & modeste (M. de Bonneval, pour lors intendant des menus-plaisirs du Roi), qui avoit eu la plus grande part à l’exécution des belles idées de M. le maréchal de Richelieu. Il est honorable pour les gens du monde, qu’il se trouve quelquefois parmi eux, des hommes aussi éclairés sur les Arts.

On vit avec la satisfaction la plus vive Zelindor, petit opéra dont les paroles & la musique ont été inspirées par les graces, & dont toutes les parties forment une foule de jolis tableaux de la plus douce volupté.

C’est-là que parut pour la premiere fois Platée, ce composé extraordinaire de la plus noble & de la plus puissante musique, assemblage nouveau en France de grandes images & de tableaux ridicules, ouvrage produit par la gaieté, enfant de la saillie, & notre chef-d’œuvre de génie musical qui n’eut pas alors tout le succès qu’il méritoit.

Le ballet de la Félicité, allégorie ingénieuse de celle dont joüissoit la France, parut ensuite sous l’administration de M. le duc d’Aumont, & Zulisca, dont nous avons parlé, couronna la beauté des spectacles de l’hyver 1746. On a détaillé l’année 1747.

Les machines nouvelles qui, pendant le long cours de ces fêtes magnifiques, parurent les plus dignes de

loüange, furent, 1°. celle qui d’un coup-d’œil changeoit une belle salle de spectacle en une magnifique salle de bal : 2°. celle qui servit aux travaux & à la chûte des Titans, dans l’opéra de M. de Bonneval, mis en musique par M. de Blamont sur-intendant de celle du Roi, auteur célebre des fêtes greques & romaines : 3°. les cataractes du Nil & le débordement de ce fleuve. Le vol rapide & surprenant du dieu qui partoit du haut des cataractes, & se précipitoit au milieu des flots irrités en maître suprème de tous ces torrens réunis pour servir sa colere, excita la surprise, & mérita le suffrage de l’assemblée la plus nombreuse & la plus auguste de l’univers. Cette machine formoit le nœud du second acte des fêtes de l’Hymen & de l’Amour, opéra de MM. de Cahusac & Rameau, qui fit la clôture des fêtes de cette année.

Elles furent suspendues dans l’attente d’un bonheur qui intéressoit tous les François. La grossesse enfin de madame la dauphine ranima leur joie ; & M. le duc d’Aumont, pour lors premier gentilhomme de la chambre de service, eut ordre de faire les préparatifs des plaisirs éclatans, où la cour espéroit de pouvoir se livrer.

Je vais tracer ici une sorte d’esquisse de tous ces préparatifs, parce qu’ils peuvent donner une idée juste des ressources du génie françois, & du bon caractere d’esprit de nos grands seigneurs dans les occasions éclatantes.

On a vû une partie de ce qu’exécuta le goût ingénieux de M. le duc d’Aumont dans son année précédente. Voyons en peu de mots ce qu’il avoit déterminé d’offrir au roi, dans l’espérance où l’on étoit de la naissance d’un duc de Bourgogne. L’histoire, les relations, les mémoires, nous apprennent ce que les hommes célebres ont fait. La Philosophie va plus loin ; elle les examine, les peint, & les juge sur ce qu’ils ont voulu faire.

M. le duc d’Aumont avoit choisi pour servir de théatre aux différens spectacles qu’il avoit projettés, le terrein le plus vaste du parc de Versailles, & le plus propre à la fois à fournir les agréables points de vûe qu’il vouloit y ménager pour la cour, & pour la curiosité des François que l’amour national & la curiosité naturelle font, courir à ces beaux spectacles.

La piece immense des Suisses étoit le premier local où les yeux devoient être amusés pendant plusieurs heures par mille objets différens.

Sur les bords de la piece des Suisses, en face de l’orangerie, on avoit placé une ville édifiée avec art, & fortifiée suivant les regles antiques.

Plusieurs fermes joignant les bords du bassin, élevées de distance en distance sur les deux côtés, formoient des amphithéatres surmontés par des terrasses ; elles portoient & soûtenoient les décorations qu’on avoit imaginées en beaux paysages coupés de palais, de maisons, de cabanes même. Les parties isolées de ces décorations étoient des percées immenses que la disposition des clairs, des obscurs, & des positions ingenieuses des lumieres devoient faire paroître à perte de vûe.

Tous ces beaux préparatifs avoient pour objet l’amusement du Roi, de la famille royale, & de la cour, qui devoient être placés dans l’orangerie, & de la multitude qui auroit occupé les terrasses supérieures, tous les bas côtés de la piece des Suisses, &c.

Voici l’ingénieux, l’élégant, & magnifique arrangement qui avoit été fait dans l’orangerie.

En perspective de la piece des Suisses & de toute l’étendue de l’orangerie, on avoit élevé une grande galerie terminée par deux beaux sallons de chaque côté, & suivie dans ses derrieres de toutes les pieces nécessaires pour le service. Un grand sal-