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Mais toutes les recherches qu’on a faites à ce sujet, ne laissent à desirer que la vérité ou la vraissemblance. Il faudroit être aujourd’hui bien habile pour deviner si dans les commencemens l’on a regardé les éternûmens comme dangereux, ou comme amis de la nature ; chaque peuple a pû s’en former des idées différentes, puisque les anciens medecins même ont été partagés : cependant aucun d’eux n’a adopté le système de Clément d’Alexandrie, qui ne consideroit les sternutations que comme une marque d’intempérance & de mollesse : c’est un système à lui tout seul.

Laissant donc à part la cause inconnue qui a pû porter les divers peuples à saluer un mouvement convulsif de la respiration, qui n’a rien de plus singulier que la toux ou le hoquet, il suffira de remarquer que les Grecs & les Romains, qui ont donné comme les autres dans cet usage, avoient la même formule de compliment à cette occasion ; car le ζῆθι des uns, vivez, & le salve des autres, portez-vous bien, sont absolument synonymes.

Les Romains faisoient de ce compliment, du tems de Pline le naturaliste, un des devoirs de la vie civile ; c’est lui qui nous l’apprend. Chacun, dit-il, salue quand quelqu’un éternue, sternutamentis salutamur ; & il ajoûte, comme une chose singuliere, que l’empereur Tibere exigeoit cette marque d’attention & de respect de tous ceux de sa suite, même en voyage & dans sa litiere : ce qui semble supposer que la vie libre de la campagne ou les embarras du voyage, les dispensoient ordinairement de certaines formalités attachées à la vie citadine.

Dans Pétrone, Giton qui s’étoit caché sous un lit, s’étant découvert par un éternûment, Eumolpus lui adresse aussi-tôt son compliment, salvere Gitona juber. Et dans Apulée semblable contre-tems étant arrivé plusieurs fois au galant d’une femme, qui avoit été obligé de se retirer dans la garde-robe, le mari, dans sa simplicité, supposant que c’étoit sa femme, solito sermone salutem ei precatus est, fit des vœux pour sa santé, suivant l’usage.

La superstition qui se glisse par-tout, ne manqua pas de s’introduire dans ce phénomene naturel, & d’y trouver de grands mysteres. C’étoit chez les Egyptiens, chez les Grecs, chez les Romains, une espece de divinité familiere, un oracle ambulant, qui dans leur prévention les avertissoit en plusieurs rencontres du parti qu’ils devoient prendre, du bien ou du mal qui devoit leur arriver. Les auteurs sont remplis de faits qui justifient clairement la vaine crédulité des peuples à cet égard.

Mais l’éternûment passoit pour être particulierement décisif dans le commerce des amans. Nous lisons dans Aristénete (épist. v. lib. II.) que Parthénis, jeune folle entêtée de l’objet de sa passion, se détermine enfin à expliquer ses sentimens par écrit à son cher Sarpédon : elle éternue dans l’endroit de sa lettre le plus vif & le plus tendre ; c’en est assez pour elle, cet incident lui tient lieu de réponse, & lui fait juger qu’au même instant son cher amant répondoit à ses vœux : comme si cette opération de la nature, en concours avec l’idée des desirs, étoit une marque certaine de l’union que la sympathie établit entre les cœurs. Par la même raison les poëtes grecs & latins disoient des jolies personnes, que les amours avoient éternué à leur naissance.

Après cela l’on comprend bien qu’on avoit des observations qui distinguoient les bons éternûmens d’avec les mauvais. Quand la lune étoit dans les signes du taureau, du lion, de la balance, du capricorne, ou des poissons, l’éternûment passoit pour être un bon augure ; dans les autres constellations, pour un mauvais présage. Le matin, depuis minuit jusqu’à midi, fâcheux pronostic ; favorable au contraire de-

puis midi jusqu’à minuit : pernicieux en sortant du lit ou de la table ; il l’alloit s’y remettre, & tâcher ou de dormir, ou de boire, ou de manger quelque chose, pour rompre les lois du mauvais quart-d’heure.

On tiroit aussi de semblables inductions des éternûmens simples ou redoublés, de ceux qui se faisoient à droite ou à gauche, au commencement ou au milieu de l’ouvrage, & de plusieurs autres circonstances qui exerçoient la crédulité populaire, & dont les gens sensés se moquoient, comme on le peut voir dans Cicéron, dans Séneque, & dans les pieces des auteurs comiques.

Enfin tous les présages tirés des éternûmens ont fini, même parmi le peuple ; mais on a conservé religieusement jusqu’à ce jour dans les cours des princes, ainsi que dans les maisons des particuliers, quelque marque d’attention & de respect pour les supérieurs qui viennent à éternuer. C’est un de ces devoirs de civilité de l’éducation, qu’on remplit machinalement sans y penser, par habitude, par un salut qui ne coûte rien, & qui ne signifie rien, comme tant d’autres puérilités dont les hommes sont & dont ils seront toûjours esclaves. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

ETERSILLON, ETRESILLON ou ARC-BOUTANT, s. m. (Art milit.) Ce sont, dans l’Artillerie, les pieces de bois que l’on met entre des ais ou dosses, à-peu-près parallelement au niveau du terrain, pour empêcher l’éboulement des terres dans les galeries de mines. Voyez Mine. (Q)

ETÉSIENS, (Vents) Hydrogr. & Hist. anc.) Les anciens donnoient le nom d’étésiens, du terme grec ἐτήσιος, qui signifie anniversaire, à des vents dont le souffle se faisoit sentir régulierement chaque année, & rafraîchissoit l’air pendant six ou sept semaines, depuis le solstice d’été jusque dans la canicule. Le regne des vents étésiens étoit annoncé par ceux que l’on nommoit prodromes ou précurseurs, durant quelques jours.

Ces vents mettant de la température dans l’air pendant la saison des chaleurs, la plus commune opinion veut qu’ils soufflent de la bande du nord ; & c’est ainsi que le vent de nord étant le traversier des bouches du Nil, dont le cours en général est du midi au septentrion, les anciens attribuoient aux vents étésiens, pendant Juin & Juillet, le refoulement des eaux du fleuve, qui pouvoit contribuer à son débordement régulier dans la même saison. Le rhumb de ce vent n’est pas néanmoins tellement fixé à cette région du monde, qu’il ne participe de plusieurs autres ; & le nom d’étésiens est appliqué à des vents venans du couchant comme du septentrion. C’est par cette raison que dans plusieurs auteurs anciens, les étésiens sont déclarés favorables sur la Méditerranée, à ceux qui font route d’occident en orient ; & accusés d’être contraires pour la route opposée. C’est ainsi qu’on peut entendre les vents étésiens dans quelques endroits de Cicéron & de Tacite. Aristote ou l’auteur grec, quel qu’il soit, du traité intitulé le Monde, dit formellement que les étésiens tiennent également du vent ζέφυρος comme de l’ἄρκτος ; & Diodore de Sicile, liv. I. ch. xxxjx. étend la bande des vents étésiens jusqu’au couchant d’été. On trouve même dans Pline & dans Strabon, d’après Posidonius, que des vents soufflans de l’est sont appellés étésiens ; mais il est constant qu’en cela ils s’écartent de l’idée la plus générale qu’on doit avoir des vents étésiens : & cette communication du nom d’étésiens à des vents étrangers à la région ordinaire des Etésiens, ne peut être admise ou autorisée, qu’autant que la dénomination en elle-même deviendra propre à tout vent qui soufflera régulierement. Il en seroit de même du nom de vent alisé, qui vient du vieux terme alis, qui signifie réglé, quoiqu’il soit spécialement employé