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Fêtes de la Cour de France. Les tournois & les carrousels, ces fêtes guerrieres & magnifiques, avoient produit à la cour de France en l’année 1559 un évenement trop tragique pour qu’on pût songer à les y faire servir souvent dans les réjoüissances solennelles. Ainsi les bals, les mascarades, & sur-tout les ballets qui n’entraînoient après eux aucun danger, & que la reine Catherine de Médicis avoit connus à Florence, furent pendant plus de 50 ans la ressource de la galanterie & de la magnificence françoise.

L’aîné des enfans de Henri II. ne regna que dix-sept mois ; il en coûta peu de soins à sa mere pour le distraire du gouvernement, que son imbécillité le mettoit hors d’état de lui disputer ; mais le caractere de Charles IX. prince fougueux, qui joignoit à quelque esprit un penchant naturel pour les Beaux-Arts, tint dans un mouvement continuel l’adresse, les ressources, la politique de la reine : elle imagina fêtes sur fêtes pour lui faire perdre de vûe sans cesse le seul objet dont elle auroit dû toûjours l’occuper. Henri III. devoit tout à sa mere ; il n’étoit point naturellement ingrat ; il avoit la pente la plus forte au libertinage, un goût excessif pour le plaisir, l’esprit leger, le cœur gâté, l’ame foible. Catherine profita de cette vertu & de ces vices pour arriver à ses fins : elle mit en jeu les festins, les bals, les mascarades, les balets, les femmes les plus belles, les courtisans les plus libertins. Elle endormit ainsi ce prince malheureux sur un throne entouré de précipices : sa vie ne fut qu’un long sommeil embelli quelquefois par des images riantes, & troublé plus souvent par des songes funestes.

Pour remplir l’objet que je me propose ici, je crois devoir choisir parmi le grand nombre de fêtes qui furent imaginées durant ce regne, celles qu’on donna en 1581 pour le mariage du duc de Joyeuse & de Marguerite de Lorraine, belle-sœur du roi. Je ne fais au reste que copier d’un historien contemporain les détails que je vais écrire.

« Le lundi 18 Septembre 1581, le duc de Joyeuse & Marguerite de Lorraine, fille de Nicolas de Vaudemont, sœur de la reine, furent fiancés en la chambre de la reine, & le dimanche suivant furent mariés à trois heures après midi en la paroisse de S. Germain de l’Auxerrois.

» Le roi mena la mariée au moûtier, suivie de la reine, princesses, & dames tant richement vêtues, qu’il n’est mémoire en France d’avoir vû chose si somptueuse. Les habillemens du roi & du marié étoient semblables, tant couverts de broderie, de perles, pierreries, qu’il n’étoit possible de les estimer ; car tel accoûtrement y avoit qui coûtoit dix mille écus de façon : & toutefois, aux dix-sept festins qui de rang & de jour à autre, par ordonnance du roi, furent faits depuis les nôces, par les princes, seigneurs, parens de la mariée, & autres des plus grands de la cour, tous les seigneurs & dames changerent d’accoûtremens, dont la plûpart étoient de toile & drap d’or & d’argent, enrichi, de broderies & de pierreries en grand nombre & de grand prix.

» La dépense y fut si grande, y compris les tournois, mascarades, présens, devises, musique, livrées, que le bruit étoit que le roi n’en seroit pas quitte pour cent mille écus.

» Le mardi 18 Octobre, le cardinal de Bourbon fit son festin de nôces en l’hôtel de son abbaye S. Germain des Prés, & fit faire à grands frais sur la riviere de Seine, un grand & superbe appareil d’un grand bac accommodé en forme de char triomphant, dans lequel le roi, princes, princesses, & les mariés devoient passer du louvre au pré-aux-clercs, en pompe moult solemnelle ; car

ce beau char triomphant devoit être tiré par-dessus l’eau par d’autres bateaux déguisés en chevaux marins, tritons, dauphins, baleines, & autres monstres marins, en nombre de vingt-quatre, en aucun desquels étoient portés à couvert au ventre desdits monstres, trompettes, clairons, cornets, violons, haut-bois, & plusieurs musiciens d’excellence, même quelques tireurs de feux artificiels, qui pendant le trajet devoient donner maints passe-tems, tant au roi qu’à 50000 personnes qui étoient sur le rivage ; mais le mystere ne fut pas bien joüé, & ne put-on faire marcher les animaux, ainsi qu’on l’avoit projetté ; de façon que le roi ayant attendu depuis quatre heures du soir jusqu’à sept, aux Tuileries, le mouvement & acheminement de ces animaux, sans en appercevoir aucun effet, dépité, dit, qu’il voyoit bien que c’étoient des bêtes qui commandoient à d’autres bêtes ; & étant monté en coche, s’en alla avec la reine & toute la suite, au festin qui fut le plus magnifique de tous, nommément en ce que ledit cardinal fit représenter un jardin artificiel garni de fleurs & de fruits, comme si c’eût été en Mai ou en Juillet & Août.

» Le dimanche 15 Octobre, festin de la reine dans le Louvre ; & après le festin, le ballet de Circé & de ses nymphes ».

Le triomphe de Jupiter & de Minerve étoit le sujet de ce ballet, qui fut donné sous le titre de ballet comique de la reine ; il fut représenté dans la grande salle de Bourbon par la reine, les princesses, les princes, & les plus grands seigneurs de la cour.

Balthazar de Boisjoyeux, qui étoit dans ce tems un des meilleurs joüeurs de violon de l’Europe, fut l’inventeur du sujet, & en disposa toute l’ordonnance. L’ouvrage est imprimé, & il est plein d’inventions d’esprit ; il en communiqua le plan à la reine, qui l’approuva : enfin tout ce qui peut démontrer la propriété d’une composition se trouve pour lui dans l’histoire. D’Aubigné cependant, dans sa vie qui est à la tête du baron de Fœneste, se prétend hardiment auteur de ce ballet. Nous datons de loin pour les vols littéraires.

« Le lundi 16, en la belle & grande lice dressée & bâtie au jardin du Louvre, se fit un combat de quatorze blancs contre quatorze jaunes, à huit heures du soir, aux flambeaux ».

» Le mardi 17, autre combat à la pique, à l’estoc, au tronçon de la lance, à pié & à cheval ; & le jeudi 19, fut fait le ballet des chevaux, auquel les chevaux d’Espagne, coursiers, & autres en combattant s’avançoient, se retournoient, contournoient au son & à la cadence des trompettes & clairons, y ayant été dressés cinq mois auparavant.

» Tout cela fut beau & plaisant : mais la grande excellence qui se vit les jours de mardi & jeudi, fut la musique de voix & d’instrumens la plus harmonieuse & la plus déliée qu’on ait jamais ouie (on la devoit au goût & aux soins de Baïf) ; furent aussi les feux artificiels qui brillerent avec effroyable épouvantement & contentement de toutes personnes, sans qu’aucun en fût offensé ».

La partie éclatante de cette fête, qui a été saisie par l’historien que j’ai copié, n’est pas celle qui méritoit le plus d’éloges : il y en eut une qui lui fut très-supérieure, & qui ne l’a pas frappé.

La reine & les princesses qui représentoient dans le ballet les nayades & les néréïdes, terminerent ce spectacle par des présens ingénieux qu’elles offrirent aux princes & seigneurs, qui, sous la figure de tritons, avoient dansé avec elles. C’étoient des médailles d’or gravées avec assez de finesse pour le tems : peut-être ne sera-t-on pas fâché d’en trouver