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du Rhin, avec la princesse d’Angleterre, en fut l’occasion & l’objet. Elles commencerent le premier jour par des feux d’artifice en action sur la Tamise ; idée noble, ingénieuse, & nouvelle, qu’on a trop négligée après l’avoir trouvée, & qu’on auroit dû employer toûjours à la place de ces desseins sans imagination & sans art, qui ne produisent que quelques étincelles, de la fumée, & du bruit.

Ces feux furent suivis d’un festin superbe, dont tous les dieux de la fable apporterent les services, en dansant des ballets formés de leurs divers caracteres[1]. Un bal éclairé avec beaucoup de goût, dans des salles préparées avec grande magnificence, termina cette premiere nuit.

La seconde commença par une mascarade aux flambeaux, composée de plusieurs troupes de masques à cheval. Elles précédoient deux grands chariots éclairés par un nombre immense de lumieres, cachées avec art aux yeux du peuple, & qui portoient toutes sur plusieurs grouppes de personnages qui y étoient placés en différentes positions. Dans des coins dérobés à la vûe par des toiles peintes en nuages, on avoit rangé une foule de joüeurs d’instrumens ; on joüissoit ainsi de l’effet, sans en appercevoir la cause, & l’harmonie alors a les charmes de l’enchantement.

Les personnages qu’on voyoit sur ces chariots étoient ceux qui alloient représenter un ballet devant le roi, & qui formoient par cet arrangement un premier spectacle pour le peuple, dont la foule ne sauroit à la vérité être admise dans le palais, mais qui dans ces occasions doit toûjours être comptée pour beaucoup plus qu’on ne pense.

Toute cette pompe, après avoir traversé la ville de Londres, arriva en bon ordre, & le ballet commença. Le sujet étoit le temple de l’honneur, dont la justice étoit établie solennellement la prêtresse.

Le superbe conquérant de l’Inde, le dieu des richesses, l’ambition, le caprice, chercherent en vain à s’introduire dans ce temple ; l’honneur n’y laissa pénétrer que l’amour & la beauté, pour chanter l’hymne nuptial des deux nouveaux époux

Rien n’est plus ingénieux que cette composition, qui respiroit par-tout la simplicité & la galanterie.

Deux jours après, trois cents gentilshommes représentant toutes les nations du monde, & divisés par troupes, parurent sur la Tamise dans des bateaux ornés avec autant de richesse que d’art. Ils étoient précédés & suivis d’un nombre infini d’instrumens, qui joüoient sans cesse des fanfares, en se répondant les uns les autres. Après s’être montrés ainsi à une multitude innombrable, ils arriverent au palais du roi où ils danserent un grand ballet allégorique.

La religion réunissant la Grande-Bretagne au reste de la terre[2] étoit le sujet de ce spectacle.

Le théatre représentoit le globe du monde : la vérité, sous le nom d’Alithie, étoit tranquillement couchée à un des côtés du théatre. Après l’ouverture, les Muses exposerent le sujet.

Atlas parut avec elles ; il dit qu’ayant appris d’Archimede que si on trouvoit un point fixe, il seroit aisé d’enlever toute la masse du monde, il étoit venu en Angleterre, qui étoit ce point si difficile à trouver, & qu’il se déchargeroit desormais du poids qui l’avoit accablé, sur Alithie, compagne inséparable du plus sage & du plus éclairé des rois.

Après ce récit, le vieillard accompagné de trois muses, Uranie, Terpsicore, & Clio, s’approcha du globe, & il s’ouvrit.

L’Europe vêtue en reine en sortit la premiere sui-

vie de ses filles, la France, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, & la Grece : l’Océan & la Méditerranée l’accompagnoient,

& ils avoient à leur suite la Loire, le Guadalquivir, le Rhin, le Tibre, & l’Acheloüs.

Chacune des filles de l’Europe avoit trois pages caractérisés par les habits de leurs provinces. La France menoit avec elle un Basque, un Bas-Breton ; l’Espagne, un Arragonois & un Catalan : l’Allemagne, un Hongrois, un Bohémien, & un Danois ; l’Italie, un Napolitain, un Vénitien, & un Bergamasque ; la Grece, un Turc, un Albanois, & un Bulgare.

Cette suite nombreuse dansa un avant-ballet ; & des princes de toutes les nations qui sortirent du globe avec un cortege brillant, vinrent danser successivement des entrées de plusieurs caracteres avec les personnages qui étoient déjà sur la scène.

Atlas fit ensuite sortir dans le même ordre les autres parties de la terre, ce qui forma une division simple & naturelle du ballet, dont chacun des actes fut terminé par les hommages que toutes ces nations rendirent à la jeune princesse d’Angleterre, & par des présens magnifiques qu’elles lui firent.

L’objet philosophique de tous les articles de cet Ouvrage, est de répandre, autant qu’il est possible, des lumieres nouvelles sur les différentes opérations des Arts ; mais on est bien loin de vouloir s’arroger le droit de leur prescrire des regles, dans les cas mêmes où ils operent à l’aventure, & où nulle loi écrite, nulle réflexion, nul écrit, ne leur a tracé les routes qu’ils doivent suivre. L’honneur de la législation ne tente point des hommes qui ne savent qu’aimer leurs semblables ; ils écrivent moins dans le dessein de les instruire, que dans l’espérance de les rendre un jour plus heureux.

C’est l’unique but & la gloire véritable des Arts. Comme on doit à leur industrie les commodités, les plaisirs, les charmes de la vie, plus ils seront éclairés, plus leurs opérations, répandront d’agréables délassemens sur la terre ; plus les nations où ils seront favorisés auront des connoissances, & plus le goût fera naître dans leur ame des sentimens délicieux de plaisir.

C’est dans cette vûe qu’on s’est étendu sur cet article. On a déjà dû appercevoir, par le détail où on est entré, que le point capital dans ces grands spectacles, est d’y répandre la joie, la magnificence, l’imagination, & sur-tout la décence : mais une qualité essentielle qu’il faut leur procurer avec adresse, est la participation sage, juste, & utile, qu’on doit y ménager au peuple dans tous les cas de réjoüissance générale. On a démélé sans peine dans les fêtes de Londres, que les préparatifs des spectacles qu’on donna à la cour, furent presque tous offerts à la curiosité des Anglois. Outre les feux d’artifice donnés sur la Tamise, on eut l’habileté de faire partir des quartiers les plus éloignés de Londres, & d’une maniere aussi élégante qu’ingénieuse, les acteurs qui devoient amuser la cour. On donnoit ainsi à tous les citoyens la part raisonnable qui leur étoit dûe des plaisirs qu’alloient prendre leurs maîtres.

Le peuple, qu’on croit faussement ne servir que de nombre, nos numerus sumus, &c. n’est pas moins cependant le vrai trésor des rois : il est, par son industrie & sa fidélité, cette mine féconde qui fournit sans cesse à leur magnificence ; la nécessité le ranime, l’habitude le soûtient, & l’opiniâtreté de ses travaux devient la source intarissable de leurs forces, de leur pouvoir, de leur grandeur. Ils doivent donc lui donner une grande part aux réjoüissances solennelles, puisqu’il a été l’instrument secret des avantages glorieux qui les causent. Voyez Fêtes de la Cour, de la Ville, des Princes de France, &c. Festins royaux, Illuminations, &c. Feu d’Artifice. (B)

  1. Cette partie étoit imitée de la fête de Bergonce de Botta.
  2. En opposition à cet ancien proverbe, & toto divisos orbe Britannos.