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mêmes avec tous les êtres créés ; je veux dire une durée successive, formée du passé, du présent, & de l’avenir. Nous sommes persuadés qu’il doit y avoir quelque chose qui existe de toute éternité, & cependant il nous est impossible de concevoir, suivant l’idée que nous avons de l’existence, qu’aucune chose qui existe puisse être de toute éternité. Mais puisque les lumieres de la raison nous dictent & nous découvrent qu’il y a quelque chose qui existe nécessairement de toute éternité, cela doit nous suffire, quoique nous ne le concevions pas.

Or, 1°. il est certain qu’aucun être n’a pû se former lui-même, puisqu’il faudroit alors qu’il eût agi avant qu’il existât, ce qui implique contradiction.

2°. Il s’ensuit de-là qu’il doit y avoir eu quelque être de toute éternité.

3°. Tout ce qui existe à la maniere des êtres finis, ou suivant les notions que nous avons de l’existence, ne sauroit avoir été de toute éternité.

4°. Il faut donc que cet être éternel soit le grand auteur de la nature, l’ancien des jours, qui se trouvant à une distance infinie de tous les êtres créés, à l’égard de ses perfections, existe d’une toute autre maniere qu’eux, & dont ils ne sauroient avoir aucune idée. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

On demande si l’éternité est successive, c’est-à-dire si elle est composée de parties qui coulent les unes après les autres ; ou bien si c’est une durée simple qui exclut essentiellement le passé & l’avenir. Les Scotistes soûtiennent le premier sentiment, les Thomistes se sont déclarés pour le second. Chacun de ces deux partis est plus fort en objections qu’en solutions. Tous les chrétiens, disent les Scotistes, demeurent d’accord qu’il n’y a que Dieu qui ait toûjours existé ; que les créatures n’ont pas toûjours co-existé avec lui ; que par conséquent il existoit avant qu’elles existassent. Il y avoit donc un avant lorsque Dieu existoit seul ; il n’est donc pas vrai que la durée de Dieu soit un point indivisible : le tems a donc précédé l’existence des créatures. Par ces conséquences ils croyent faire tomber en contradiction leurs adversaires : car si la durée de Dieu est indivisible, sans passé ni avenir, il faut que le tems & les créatures ayent commencé ensemble ; & si cela est, comment peut-on dire que Dieu existoit avant l’existence des créatures ?

On ne prend pas garde, continuent les Scotistes, qu’en faisant l’éternité un instant indivisible, on affoiblit l’hypothese du commencement des créatures. Comment prouvez-vous que le monde n’a pas toûjours existé ? n’est-ce pas par la raison qu’il y avoit une nature infinie qui existoit pendant qu’il n’existoit pas ? Mais la durée de cette nature peut-elle mettre des bornes à celle du monde ? peut-elle empêcher que la durée du monde ne s’étende au-delà de tous les commencemens particuliers que vous lui voudriez marquer ? Il s’en faut un point de durée indivisible, me direz-vous, que les créatures ne soient sans commencement ; car, selon vous, elles n’ont été précédées que de la durée de Dieu, qui est un instant indivisible. Elles n’ont donc pas commencé, vous répondra-t-on ; car s’il ne s’en falloit qu’un point (je parle d’un point mathématique) qu’un bâton n’eût quatre piés, il auroit certainement toute l’étendue de quatre piés. Voilà une instance que l’on peut fonder sur la définition de Boëce, qui dit que l’éternité est interminabilis vitæ tota simul & perfecta possessio ; car si l’on ne peut concevoir que tous les membres d’un homme demeurent distincts l’un de l’autre sous l’étendue d’un point mathématique, comment concevra-t-on qu’une durée qui n’a ni commencement ni fin, & qui co-existe avec la durée successive de toutes les créatures, s’est renfermée dans un instant indivisible ?

Cette hypothese fournit une autre difficulté en faveur de ceux qui soûtiennent que les créatures n’ont point eu de commencement. Si le decret de la création n’enferme pas un moment particulier, il n’a jamais existé sans la créature ; car on doit concevoir ce decret sous cette phrase : je veux que le monde soit. Il est visible qu’en vertu d’un tel decret le monde a dû exister en même tems que cet acte de la volonté de Dieu. Or puisque cet acte n’a point de commencement, le monde n’en a point aussi. Disons donc que le decret fut conçû en cette maniere : je veux que le monde existe en un tel moment. Mais comment pourrons-nous dire cela, si la durée de Dieu est un point indivisible ? Peut-on choisir ce moment-là ou celui-ci plûtôt que tout autre, dans une telle durée ? Il semble donc que si la durée n’est point successive, le mende n’ait pû avoir de commencement.

Ce sont-là les principales raisons dent les Scotistes fortifient leur opinion. Voici celles sur lesquelles les Thomistes appuient la leur. 1°. Dans toute succession de durée, disent-ils, on peut compter par mois, années, siecles, &c. Si l’éternité est successive, elle renferme donc une infinité de siecles : or une succession infinie de siecles ne peut jamais être épuisée ni écoulée ; c’est-à-dire qu’on n’en peut jamais voir la fin, parce qu’étant épuisée elle ne sera plus infinie. D’où l’on conclut que s’il y avoit une éternité successive, ou une succession infinie de siecles jusqu’à ce jour, il seroit impossible qu’on sût parvenu jusqu’aujourd’hui, puisque cela n’a pû se faire sans franchir une distance infinie ; & qu’une distance infinie ne peut être franchie, parce qu’elle seroit infinie & ne le seroit pas.

2°. L’éternité est une perfection essentielle à Dieu ; or une perfection essentielle à Dieu peut-elle être successive ? Dieu ne doit-il pas toûjours la posséder toute entiere ? D’ailleurs, si une perfection essentielle à Dieu pouvoit être successive, ou ce seroit chaque partie en particulier qui seroit cette perfection, ou ce seroit la liaison de toutes ces parties successives : or on ne peut soutenir ni l’une ni l’autre de ces deux opinions. Dira-t-on que chaque partie en particulier est cette perfection essentielle ? non sans doute, parce que chaque partie en particulier étant tantôt présente, tantôt passée, tantôt future, il faudroit dire qu’une perfection essentielle peut éprouver les mêmes changemens. Dira-t-on que cette perfection essentielle consiste dans la liaison de toutes ces parties successives ? il faut donc accorder en même tems que Dieu, pendant toute l’éternité, est destitué d’une perfection qui lui est essentielle, parce qu’il ne possede jamais en même tems la liaison de toutes ces parties. Voyez Tems. Article de M. Formey.

Nous rapportons ces objections des Thomistes & des Scotistes, 1° parce qu’elles appartiennent à l’histoire de la Philosophie, qui est l’objet de notre ouvrage : 2° parce qu’elles servent à montrer dans quel labyrinthe on se jette, quand on veut raisonner sur ce qu’on ne conçoit pas.

* Eternité, s. f. (Mytholog.) divinité des Romains, qui n’a jamais eu de temples ni d’autels. On la représentoit sous la figure d’une femme qui tient le soleil d’une main & la lune de l’autre. Elle avoit encore pour symbole le phénix, le globe, & l’éléphant.

ETERNÛMENT, s. m. (Medecine.) C’est une des fonctions secondaires des organes de la respiration, qui consiste dans une forte expiration excitée par un mouvement convulsif, qui determine l’air expiré à passer principalement par les narines, pour en emporter la cause de l’irritation, qui a mis en jeu les puissances qui servent à la respiration. Le méchanisme de l’éternûment peut être plus particulierement exposé, de la maniere qui suit.