Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/521

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut raisonnablement l’espérer, qu’après de nouvelles dépenses & de nouveaux soins.

On voit que le labourage est une entreprise qui demande une fortune déjà commencée. Si le fermier n’est pas assez riche, il deviendra plus pauvre d’année en année, & ses terres s’appauvriront avec lui. Que le propriétaire examine donc quelle est la fortune du fermier qui se présente ; mais qu’il ne néglige pas non plus de s’assûrer de ses talens. Il est essentiel qu’ils soient proportionnés à l’étendue de la ferme dont on lui remet le soin.

Un homme ordinaire peut être chargé sans embarras de l’emploi de quatre voitures. Une voiture suffit à cent vingt-cinq arpens de terre d’une qualité moyenne ; & la voiture est composée pour ces terres de trois ou quatre chevaux, selon les circonstances, & la profondeur qu’on veut donner au labour. Nous parlerons ailleurs de la culture à laquelle on employe des bœufs. Voyez Labour.

Une ferme qui n’est composée que de terres labourables, peut souvent tromper, ou du moins ne pas remplir entierement les espérances du fermier. Il est très-avantageux d’y joindre des prés, des pâturages, des arbres fruitiers, de ces bois plantes dans les haies, dont on élague les branches, le fourrage & les fruits peuvent servir de dédommagement dans les années médiocres. Le produit des haies dispense le laboureur d’acheter du bois ; & pour le plus grand nombre d’entr’eux, épargner, c’est plus que gagner. Une ferme de cette étendue, & ainsi composée, fournit à un homme intelligent les moyens de développer une industrie qui est toûjours plus active en grand, parce qu’elle est plus intéressée. Il résulte delà, que si l’on a deux petites fermes, dont les terres soient contigues, il est toûjours avantageux de les réunir. Elles auront ensemble plus de valeur ; il y aura moins de bâtimens à entretenir, & un fermier vivra seul avec aisance, où deux se seroient peut-être ruinés.

Pour fixer le prix d’une ferme, il faut qu’un propriétaire connoisse bien la nature de ses terres, & qu’il juge des avantages ou des desavantages qui peuvent résulter de leur quantité combinée avec leur mélange. On regarde ordinairement comme une chose fâcheuse d’avoir une telle quantité de terres, qu’elle ne soit pas entièrement proportionnée à un certain nombre de voitures : par exemple, d’en avoir plus que trois voitures n’en peuvent cultiver, & pas assez pour en occuper quatre. Et moi je dis, heureux le bon laboureur qui est dans ce cas-là ! Il aura quatre voitures ; ses labours, ses semailles, le transport de ses fumiers, tout sera fait plus promptement. Si quelques-uns de ses chevaux deviennent malades, rien n’en sera retardé ; & la nécessité le rendant industrieux, il trouvera mille moyens avantageux d’employer le tems superflu de sa voiture.

La nature & l’assemblage des terres ne sont pas les seules choses à considérer avant de se décider sur le prix. Il varie encore dans les différens lieux en proportion de la rareté de l’argent, de la consommation des denrées, de la commodité des chemins, & de l’incertitude des récoltes qui n’est pas égale par-tout. Nous ne pouvons donc rien dire de précis là-dessus, & nous devons nous borner à montrer les objets sur lesquels il faut être attentif.

Les redevances en denrées sont celles qui coûtent le moins à la plûpart des fermiers. Ils sont plus attachés à l’argent, parce qu’ils en ont moins, que tous les jours ils sont dans le cas d’en dépenser nécessairement, & que d’ailleurs cette sorte de richesse n’est point embarrassante. Les autres réalisent leur argent ; pour eux acquérir de l’argent, c’est réaliser.

Si le propriétaire est en doute sur la valeur juste de ses terres, il est de son intérêt de laisser l’avantage

du côté du fermier. L’avarice la plus sujette à manquer son but, est celle qui fait outrer le prix d’une ferme. Elle expose à ne trouver pour fermiers que de ces malheureux qui risquent tout, parce qu’ils n’ont rien à perdre, qui épuisent les terres par de mauvaises récoltes, & sont contraints de les abandonner, après les avoir perdues. L’Agriculture est trop pénible, pour que ceux qui la professent, ne retirent pas un profit honnête de leur attention suivie & de leurs travaux constans. Aussi les fermiers habiles & déjà riches ne se chargent-ils pas d’un emploi sans une espece de certitude d’y amasser de quoi établir leur famille, & s’assûrer une retraite dans la vieillesse. Il n’y a guere que les imprudens auxquels l’agriculture ne procure pas cet avantage, à moins que des accidens extraordinaires & répétés n’alterent considérablement les récoltes : telles sont une grêle, une rouille généralement répandue sur les blés, &c. C’est alors que le propriétaire est contraint de partager la perte avec son fermier ; mais pour remplir à cet égard ce qu’on doit aux autres & à soi-même, il est nécessaire de bien distinguer ce qu’on ne peut attribuer qu’au malheur d’avec ce qui pourroit venir de la négligence. Il faut des lumieres pour être juste & bon. Il est des fermiers pour qui une indulgence poussée trop loin deviendroit ruineuse, sur qui la crainte d’être forcés au payement est plus puissante que l’intérêt même ; race lâche & paresseuse, une exigence dure les oblige à des efforts qui les menent quelquefois à la fortune.

Il n’est que trop vrai, que dans toute convention faite avec des hommes, on a besoin de précautions contre l’avidité & la mauvaise foi ; il faut donc que le propriétaire prévienne dans les clauses d’un bail, & empêche pendant sa durée l’abus qu’on pourroit faire de sa confiance. Par exemple, dans les lieux où la marne est en usage, le fermier s’oblige ordinairement à marner chaque année un certain nombre d’arpens de terre ; mais si l’on n’y veille pas, il épargnera peut-être sur la quantité de cet engrais durable, & la terre n’en recevra qu’une fécondation momentanée. On stipule souvent, & avec raison, que les pailles ne soient point vendues, mais qu’elles soient consommées par les bestiaux, & au profit des fumiers. Cela s’exécute sans difficulté dans tous les lieux éloignés des villes ; mais par-tout où la paille se vend cher, c’est une convention que le plus grand nombre des fermiers cherche à éluder. Ce n’est pas qu’il n’y ait réellement un plus grand avantage à multiplier les engrais, sans lesquels on ne doit point attendre de grandes récoltes ; mais l’avarice est aveugle, ou ne voit que ce qui est près d’elle. La vente actuelle des pailles touche plus ces laboureurs, que l’espérance bien fondée d’une suite de bonnes récoltes. Il faut donc qu’un propriétaire ait toûjours les yeux ouverts sur cet objet : il n’en est point de plus intéressant pour lui, puisque la conservation du fonds même de sa terre en dépend ; cependant dans les années & dans les lieux où la paille est à un très-haut prix, on peut procurer à son fermier l’avantage d’en vendre ; mais il faut exiger que la voiture qui porte ce fourrage à la ville, revienne à la ferme chargée de fumier. Cette condition est une de celles sur lesquelles on ne doit jamais se relâcher.

On voit par-là qu’un propriétaire qui a donné ses terres à bail, seroit imprudent s’il les regardoit comme passées dans des mains étrangeres. Une distraction totale l’exposeroit à les retrouver après quelques années dans une dégradation ruineuse. L’attention devient moins nécessaire, lorsqu’on a pû s’assûrer d’un fermier riche & intelligent ; alors son intérêt répond de ses soins. La mauvaise foi, en Agriculture, est presque toûjours un effet de la pauvreté ou du défaut de lumieres. Cet homme étant trouvé,