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réparé sa honte par des prodiges de valeur. Jamais les Romains ne firent de traités de paix que sous la condition que leurs enseignes leur fussent rendues : de-là les loüanges d’Auguste par Horace[1], cet empereur s’étant fait restituer les enseignes que les Parthes avoient pris à Crassus.

Il faudroit des volumes entiers pour rapporter tous les usages des anciens sur les enseignes ; encore ne pourroit-on pas toûjours se flater d’avoir démêlé la vérité dans ce chaos de variations successives qui ont produit à cet égard une infinité de changemens dans les pratiques de toutes les nations. Quelles difficultés n’éprouvons-nous pas seulement pour accorder entre eux nos propres auteurs[2] sur ce qu’ils ont écrit des enseignes dont on a fait usage dans les différens tems de notre monarchie ?

L’opinion commune est que l’oriflamme est le plus célebre & le plus ancien de tous nos étendards ; c’étoit celui de toute l’armée : on croit qu’il parut sous Dagobert en 630, & qu’il disparut sous Louis XI. Les histoires de France en parlent diversement. M. le président Hénault dit que Louis-le-Gros est le premier de nos rois qui ait été prendre l’oriflamme à Saint-Denis. On vit ensuite des gonfalons du tems de Charles II. dit le Chauve, en 840 ; il ordonna aux cornettes de faire marcher leurs vassaux sous leurs gonfalons.

Il y eut des étendards en 922. Charles III. dit le Simple en avoit un attaché à sa personne dans la bataille de Soissons contre Robert ; celui-ci portoit lui-même le sien, & celui de Charles étoit porté par un seigneur de la plus haute distinction, nommé Fulbert.

Depuis les rois de France ont eu pendant fort longtems un étendard attaché à leur personne, & distinctif de ceux des troupes ; on l’appelloit banniere du roi, pennon royal, ou cornete blanche du roi. D’anciens historiens ont parlé des étendards de Dagobert, de ceux de Pepin ; mais Ducange réfute ce qu’ils en ont dit, & prétend qu’ils n’ont pas existé.

Sous la troisieme race, les bannerets & les communes eurent des bannieres, & les chevaliers, bacheliers, écuyers, des pennons.

Le connétable avoit aussi une banniere ; il avoit droit, en l’absence du roi, de la planter à l’exclusion de tous autres sur la muraille d’une ville qu’il avoit prise.

Ce droit étoit très-considérable ; il occasionna un grand démêlé entre Philippe-Auguste & Richard roi d’Angleterre, lorsqu’ils passerent ensemble en Sicile. Ce dernier ayant forcé Messine y planta son étendard sur les murailles, Philippe s’en trouva fort offensé : « Eh quoi, dit-il, le roi d’Angleterre ose arborer son étendard sur le rempart d’une ville où il sait que je suis » ! À l’instant il ordonna à ses gens de l’arracher : A l’instant il ordonna à ses gens de l’arracher : à l’ôter ; mais que si l’on se mettoit en devoir de le prévenir, il y auroit bien du sang répandu. Philippe se contenta de cette soûmission, & Richard fit enlever l’étendard. Brantome ne fixe l’origine des étendards de la cavalerie legere que sous Louis XII. il y a cependant apparence qu’il y en avoit longtems auparavant.

Les guidons subsistent depuis la levée des compagnies d’ordonnance sous Charles IX. & sont affectés au corps de la gendarmerie.

Les gardes-du-corps ont des enseignes, & les grenadiers à cheval un étendard ; les gendarmes & les chevaux-legers de la garde du roi ont des enseignes, les mousquetaires ont des enseignes & des étendards ;

les dragons ont des enseignes & des étendards, ces deux corps étant destinés à servir & à pié & à cheval.

On dit servir à la cornete, quand on parle du service militaire près de la personne du roi.

Les cornetes sont connus depuis Charles VIII. À la bataille d’Ivri (1590) Henri IV. dit à ses troupes en leur montrant son panache blanc : « Enfans, si les cornetes vous manquent, voici le signal du ralliement, vous le trouverez au chemin de la victoire & de l’honneur ».

Il est souvent parlé dans l’histoire de ces tems de la cornete blanche ; c’étoit l’étendard du roi, ou en son absence celui du général. Il y a encore dans la maison du roi une charge de porte-cornete blanche, & dans la compagnie colonelle du régiment colonel général de la cavalerie une autre charge de cornete blanche. Ducange a prétendu que la cornete blanche du roi a remplacé l’oriflamme vers le regne de Charles VI : mais cela lui a été contesté.

Des étymologistes ont dit que le nom de cornete qu’on a donné aux étendards, vient de ce qu’une reine attacha la sienne au bout d’une lance pour rassembler autour d’elle ses troupes débandées : d’autres prétendent que l’origine de ce nom est tiré d’une espece de cornete de taffetas, que les seigneurs de distinction portoient sur leur casque ; elle étoit de la couleur de la livrée de celui qui la portoit, pour qu’il pût être aisément reconnu des siens, & cela paroît plus vraissemblable. Il y avoit encore d’autres raisons qui faisoient porter de ces sortes de cornetes, comme pour empêcher que l’ardeur du Soleil n’échauffât trop l’acier de ce casque, & que par cette raison il ne causât des maux de tête violens, ou pour que la pluie ne les rouillât pas, & n’en gâtât pas les ornemens qui étoient précieux. Le nom de cornete est resté aux officiers qui portent les étendards. Ce sont les troisiemes officiers des compagnies ; ils se font un principe de ne jamais rendre leur étendard qu’avec le dernier soupir.

Dans l’ordre de bataille, chaque étendard est à-peu-près au centre du premier rang de la compagnie de la droite & de la gauche, où il est attaché. Si l’escadron est formé sur trois rangs, sa place est à la tête de la cinquieme file en comptant par le flanc ; & si l’escadron est sur deux rangs, il est à la septieme file.

Plusieurs officiers de cavalerie ont pensé qu’il seroit avantageux de réformer un des deux étendards qu’il y a par escadron, & de les réduire à un seul comme dans les dragons. On ne peut disconvenir qu’à certains égards la réforme d’un étendard ne fût un embarras de moins pour la cavalerie : mais s’il est de la plus grande conséquence que les escadrons soient à la même hauteur pour se couvrir mutuellement les flancs & pour la défense réciproque les uns des autres, & s’il faut nécessairement que les flancs de l’infanterie soient gardés par les ailes de cavalerie, on sera forcé de reconnoître qu’il est absolument indispensable, pour que tous les corps puissent s’aligner entre eux, d’avoir deux étendards par chaque escadron.

S’il n’y avoit qu’un étendard, il seroit possible qu’il n’y eût pas deux escadrons sur le même alignement, & que cependant ils parussent tous ensemble être exactement alignés ; les uns pourroient présenter leur front, & les autres leur flanc dans un aspect tout contraire, de sorte qu’ils seroient à découvert dans leur partie la plus foible : il pourroit encore arriver de ce défaut d’étendards, que l’escadron de la droite de l’aile droite fût à la juste hauteur du bataillon qui forme la pointe droite de l’infanterie, & que cependant le flanc de cette infanterie fût dénué de cavalerie, & qu’il y eût un jour favorable à l’ennemi pour se couler derriere elle, parce que la gauche de l’aile droite de cavalerie en seroit trop éloignée. Si l’on ré-

  1. Et signa nostro restituit Jovi,
    Direpta Parthorum superbis
    Hostibus. Liv. IV. Ode xv.

  2. Claude Beneton est l’auteur qui en ait écrit le plus au long. Imprimé à Paris, in-12. 1742.