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minauder, à faire des nœuds & des tracasseries ; après avoir rendu quelque honnête-homme malheureux, s’être livrée à un fat, s’être prêtée à une foule de sots, cette folle change de rôle, passe d’un théatre sur un autre ; & ne pouvant plus être Phryné, croit pouvoir être Aspasie.

Je suis sûr qu’aucune femme ne se reconnoîtra dans le portrait de Chloé ; en effet il y en a peu dont la vie ait eu ses périodes aussi marqués.

Il est une femme qui a de l’esprit pour se faire aimer, non pour se faire craindre, de la vertu pour se faire estimer, non pour mépriser les autres ; assez de beauté pour donner du prix à sa vertu. Egalement éloignée de la honte d’aimer sans retenue, du tourment de n’oser aimer, & de l’ennui de vivre sans amour, elle a tant d’indulgence pour les foiblesses de son sexe, que la femme la plus galante lui pardonne d’être fidele ; elle a tant de respect pour les bienséances, que la plus prude lui pardonne d’être tendre. Laissant aux folles dont elle est entourée, la coquetterie, la frivolité, les caprices, les jalousies, toutes ces petites passions, toutes ces bagatelles qui rendent leur vie nulle ou contentieuse ; au milieu de ces commerces contagieux, elle consulte toûjours son cœur qui est pur, & sa raison qui est saine, préférablement à l’opinion, cette reine du monde, qui gouverne si despotiquement les insensés & les sots. Heureuse la femme qui possede ces avantages, plus heureux celui qui possede le cœur d’une telle femme !

Enfin il en est une autre plus solidement heureuse encore ; son bonheur est d’ignorer ce que le monde appelle les plaisirs, sa gloire est de vivre ignorée. Renfermée dans les devoirs de femme & de mere, elle consacre ses jours à la pratique des vertus obscures : occupée du gouvernement de sa famille, elle regne sur son mari par la complaisance, sur ses enfans par la douceur, sur ses domestiques par la bonté : sa maison est la demeure des sentimens religieux, de la piété filiale, de l’amour conjugal, de la tendresse maternelle, de l’ordre, de la paix intérieure, du doux sommeil, & de la santé : économe & sédentaire, elle en écarte les passions & les besoins ; l’indigent qui se présente à sa porte, n’en est jamais repoussé ; l’homme licentieux ne s’y présente point. Elle a un caractere de reserve & de dignité qui la fait respecter, d’indulgence & de sensibilité qui la fait aimer, de prudence & de fermeté qui la fait craindre ; elle répand autour d’elle une douce chaleur, une lumiere pure qui éclaire & vivifie tout ce qui l’environne. Est-ce la nature qui l’a placée, ou la raison qui l’a conduite au rang suprème où je la vois ? Cet article est de M. Desmahis.

Femme, (Jurisp.) on comprend en général sous ce terme, toutes les personnes du sexe féminin, soit filles, femmes mariées ou veuves ; mais à certains égards les femmes sont distinguées des filles, & les veuves des femmes mariées.

Toutes les femmes & filles sont quelquefois comprises sous le terme d’hommes. L. 1. & 152. ff. de verb. signif.

La condition des femmes en général est néanmoins différente en plusieurs choses de celle des hommes proprement dits.

Les femmes sont plûtôt nubiles que les hommes, l’âge de puberté est fixé pour elles à douze ans ; leur esprit est communément formé plûtôt que celui des hommes, elles sont aussi plûtôt hors d’état d’avoir des enfans : citiùs pubescunt, citiùs senescunt.

Les hommes, par la prérogative de leur sexe & par la force de leur tempérament, sont naturellement capables de toutes sortes d’emplois & d’engagemens ; au lieu que les femmes, soit à cause de la fragilité de leur sexe & de leur délicatesse naturelle,

sont excluses de plusieurs fonctions, & incapables de certains engagemens.

D’abord, pour ce qui regarde l’état ecclésiastique, les femmes peuvent être chanoinesses, religieuses, abbesses d’une abbaye de filles ; mais elles ne peuvent posséder d’évêché ni d’autres bénéfices, ni être admises aux ordres ecclésiastiques, soit majeurs ou mineurs. Il y avoit néanmoins des diaconesses dans la primitive Eglise, mais cet usage ne subsiste plus.

Dans certains états monarchiques, comme en France, les femmes, soit filles, mariées ou veuves, ne succedent point à la couronne.

Les femmes ne sont pas non plus admises aux emplois militaires ni aux ordres de chevalerie, si ce n’est quelques-unes, par des considérations particulieres.

Suivant le droit romain, qui est en ce point suivi dans tout le royaume, les femmes ne sont point admises aux charges publiques ; ainsi elles ne peuvent faire l’office de juge, ni exercer aucune magistrature, ni faire la fonction d’avocat ou de procureur. L. 2. ff. de regul. jur.

Elles faisoient autrefois l’office de pair, &, en cette qualité, siégeoient au parlement. Présentement elles peuvent bien posséder un duché-fémelle & en prendre le titre, mais elles ne font plus l’office de pair. Voyez Pair & Pairie.

Autrefois en France les femmes pouvoient être arbitres, elles rendoient même en personne la justice dans leurs terres ; mais depuis que les seigneurs ne sont plus admis à rendre la justice en personne, les femmes ne peuvent plus être juges ni arbitres.

Elles peuvent néanmoins faire la fonction d’experts, en ce qui est de leur connoissance, dans quelqu’art ou profession qui est propre à leur sexe.

On voit dans les anciennes ordonnances, que c’étoit autrefois une femme qui faisoit la fonction de bourreau pour les femmes, comme lorsqu’il s’agit d’en fustiger quelqu’une Voyez ci-dev. au mot Exécuteur de la Haute-Justice.

On ne les peut nommer tutrices ou curatrices que de leurs propres enfans ou petits-enfans ; il y a néanmoins des exemples qu’une femme a été nommée curatrice de son mari prodigue, furieux & interdit.

Les femmes sont exemptes de la collecte des tailles & autres impositions.

Mais elles ne sont point exemptes des impositions, ni des corvées ou autres charges, soit réelles ou personnelles. La corvée d’une femme est évaluée à 6 deniers par la coûtume de Troyes, article 192. & celle d’un homme à 12 deniers.

Quelques femmes & filles ont été admises dans les académies littéraires ; il y en a même eu plusieurs qui ont reçû le bonnet de docteur dans les universités. Hélene-Lucrece Piscopia Cornara demanda le doctorat en Théologie dans l’université de Padoue ; le cardinal Barbarigo, évêque de Padoue, s’y opposa : elle fut réduite à se contenter du doctorat en Philosophie, qui lui fut conféré avec l’applaudissement de tout le monde, le 25 Juin 1678. Bayle, œuvres, tome I. p. 361. La demoiselle Patin y reçut aussi le même grade ; & le 10 Mai 1732, Laure Bassi, bourgeoise de la ville de Boulogne, y reçut le doctorat en Medecine en présence du sénat, du cardinal de Polignac, de deux évêques, de la principale noblesse, & du corps des docteurs de l’université. Enfin en 1750, la signora Maria-Gaetana Agnesi fut nommée pour remplir publiquement les fonctions de professeur de Mathématique à Boulogne en Italie.

On ne peut prendre des femmes pour témoins dans des testamens, ni dans des actes devant notaires ; mais on les peut entendre en déposition, tant en matiere civile que criminelle. Voyez l’édit du 15 Novembre 1394 ; Joly, aux addit. t. II. p. 20. Fontanon,