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point partie du genre humain, mulieres homines non esse. Dans cet ouvrage, Acidalius explique tous les textes qui parlent du salut des femmes, de leur bien-être temporel. Il s’appuie sur cinquante témoignages tirés de l’Ecriture ; finit par demander aux femmes leur ancienne bienveillance pour lui ; quod si noluerint, dit-il, pereant bestiæ in sæcula sæculorum. Il en veut à la maniere d’expliquer l’Ecriture des Anabaptistes & des autres hérétiques ; mais son badinage est indécent.

Simon Gediccus, après l’avoir réfuté aussi maussadement qu’il soit possible de le faire, après l’avoir chargé d’injures théologiques, lui reproche enfin qu’il est un être bâtard, formé de l’accouplement monstrueux de satan avec l’espece humaine, & lui souhaite la perdition éternelle. (g)

Femme, (Droit nat.) en latin uxor, femelle de l’homme, considérée en tant qu’elle lui est unie par les liens du mariage. Voyez donc Mariage & Mari.

L’Etre suprème ayant jugé qu’il n’étoit pas bon que l’homme fût seul, lui a inspiré le desir de se joindre en société très-étroite avec une compagne, & cette société se forme par un accord volontaire entre les parties. Comme cette société a pour but principal la procréation & la conservation des enfans qui naîtront, elle exige que le pere & la mere consacrent tous leurs soins à nourrir & à bien élever ces gages de leur amour, jusqu’à ce qu’ils soient en état de s’entretenir & de se conduire eux-mêmes.

Mais quoique le mari & la femme ayent au fond les mêmes intérêts dans leur société, il est pourtant essentiel que l’autorité du gouvernement appartienne à l’un ou à l’autre : or le droit positif des nations policées, les lois & les coûtumes de l’Europe donnent cette autorité unanimement & définitivement au mâle, comme à celui qui étant doüé d’une plus grande force d’esprit & de corps, contribue davantage au bien commun, en matiere de choses humaines & sacrées ; ensorte que la femme doit nécessairement être subordonnée à son mari & obéir à ses ordres dans toutes les affaires domestiques. C’est-là le sentiment des jurisconsultes anciens & modernes, & la décision formelle des législateurs.

Aussi le code Frédéric qui a paru en 1750, & qui semble avoir tenté d’introduire un droit certain & universel, déclare que le mari est par la nature même le maître de la maison, le chef de la famille ; & que dès que la femme y entre de son bon gré, elle est en quelque sorte sous la puissance du mari, d’où découlent diverses prérogatives qui le regardent personnellement. Enfin l’Ecriture-sainte prescrit à la femme de lui être soûmise comme à son maître.

Cependant les raisons qu’on vient d’alléguer pour le pouvoir marital, ne sont pas sans replique, humainement parlant ; & le caractere de cet ouvrage nous permet de le dire hardiment.

Il paroît d’abord 1°. qu’il seroit difficile de démontrer que l’autorité du mari vienne de la nature ; parce que ce principe est contraire à l’égalité naturelle des hommes ; & de cela seul que l’on est propre à commander, il ne s’ensuit pas qu’on en ait actuellement le droit : 2°. l’homme n’a pas toûjours plus de force de corps, de sagesse, d’esprit, & de conduite, que la femme : 3°. le précepte de l’Ecriture étant établi en forme de peine, indique assez qu’il n’est que de droit positif. On peut donc soûtenir qu’il n’y a point d’autre subordination dans la société conjugale, que celle de la loi civile, & par conséquent rien n’empêche que des conventions particulieres ne puissent changer la loi civile, dès que la loi naturelle & la religion ne déterminent rien au contraire.

Nous ne nions pas que dans une société composée de deux personnes, il ne faille nécessairement que la loi délibérative de l’une ou de l’autre l’em-

porte ; & puisque ordinairement les hommes sont

plus capables que les femmes de bien gouverner les affaires particulieres, il est très-judicieux d’établir pour regle générale, que la voix de l’homme l’emportera tant que les parties n’auront point fait ensemble d’accord contraire, parce que la loi générale découle de l’institution humaine, & non pas du droit naturel. De cette maniere, une femme qui sait quel est le précepte de la loi civile, & qui a contracté son mariage purement & simplement, s’est par-là soûmise tacitement à cette loi civile.

Mais si quelque femme, persuadée qu’elle a plus de jugement & de conduite, ou sachant qu’elle est d’une fortune ou d’une condition plus relevée que celle de l’homme qui se présente pour son époux, stipule le contraire de ce que porte la loi, & cela du consentement de cet époux, ne doit-elle pas avoir, en vertu de la loi naturelle, le même pouvoir qu’a le mari en vertu de la loi du prince ? Le cas d’une reine qui, étant souveraine de son chef, épouse un prince au-dessous de son rang, ou, si l’on veut, un de ses sujets, suffit pour montrer que l’autorité d’une femme sur son mari, en matiere même de choses qui concernent le gouvernement de la famille, n’a rien d’incompatible avec la nature de la société conjugale.

En effet on a vû chez les nations les plus civilisées, des mariages qui soûmettent le mari à l’empire de la femme ; on a vû une princesse, héritiere d’un royaume, conserver elle seule, en se mariant, la puissance souveraine dans l’état. Personne n’ignore les conventions de mariage qui se firent entre Philippe II. & Marie reine d’Angleterre ; celles de Marie reine d’Ecosse, & celles de Ferdinand & d’Isabelle, pour gouverner en commun le royaume de Castille. Le lecteur en peut lire les détails dans M. de Thou, liv. XIII. ann. 1553, 1554. liv. XX. an.1558. Mariana, hist. d’Espagne, liv. XXIV. ch. v. Guicciardin, liv. VI. pag. 346. Et pour citer quelque chose de plus fort, nous le renvoyons à la curieuse dissertation de Palthénius, de Marito Reginæ, imprimée à Gripswald en 1707, in-4°.

L’exemple de l’Angleterre & de la Moscovie fait bien voir que les femmes peuvent réussir également, & dans le gouvernement modéré, & dans le gouvernement despotique ; & s’il n’est pas contre la raison & contre la nature qu’elles régissent un empire, il semble qu’il n’est pas plus contradictoire qu’elles soient maîtresses dans une famille.

Lorsque le mariage des Lacédémoniens étoit prêt à se consommer, la femme prenoit l’habit d’un homme ; & c’étoit-là le symbole du pouvoir égal qu’elle alloit partager avec son mari. On sait à ce sujet ce que dit Gorgone, femme de Léonidas roi de Sparte, à une femme étrangere qui étoit fort surprise de cette égalité : Ignorez-vous, répondit la reine, que nous mettons des hommes au monde ? Autrefois même en Egypte, les contrats de mariage entre particuliers, aussi-bien que ceux du roi & de la reine, donnoient à la femme l’autorité sur le mari. Diodore de Sicile, liv. I. ch. xxvij.

Rien n’empêche au moins (car il ne s’agit pas ici de se prévaloir d’exemples uniques & qui prouvent trop) ; rien n’empêche, dis-je, que l’autorité d’une femme dans le mariage ne puisse avoir lieu en vertu des conventions, entre des personnes d’une condition égale, à moins que le législateur ne défende toute exception à la loi, malgré le libre consentement des parties.

Le mariage est de sa nature un contrat ; & par conséquent dans tout ce qui n’est point défendu par la loi naturelle, les engagemens contractés entre le mari & la femme en déterminent les droits réciproques.