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15°. L’avortement indiqué prochain, qu’on n’a plus d’espérance de prévenir, ne peut ni ne doit être empêché par aucuns remedes, quels qu’ils puissent être.

16°. La femme grosse qui a la vérole au point d’en faire craindre les suites pour elle & pour son fruit, doit être traitée de cette maladie dans les premiers mois de sa grossesse, en suivant les précautions & les regles de l’art.

17°. Le danger principal de l’avortement, vient de l’hémorrhagie qui l’accompagne ordinairement.

18°. Celui que les femmes se procurent volontairement & par quelque cause violente, les met en plus grand péril de la vie que celui qui leur arrive sans l’exciter.

19°. Il est d’autant plus dangereux, que la cause qui le procure est violente, soit qu’il vienne par des remedes actifs pris intérieurement, ou par quelque blessure extérieure.

20°. La coûtume des accoucheuses qui ordonnent à une femme grosse, quand elle s’est blessée par une chûte ou autrement, d’avaler dans un œuf de la soie cramoisi découpée menu, de la graine d’écarlate, de la cochenille, ou autres remedes de cette espece ; cette coûtume, dis-je, n’est qu’une pure superstition.

21°. C’est un autre abus de faire garder le lit pendant 29 jours fixes aux femmes qui se sont blessées, & de les faire saigner au bout de ce tems-là, au lieu d’employer d’abord la saignée & autres remedes convenables, & de considérer que le tems de la garde du lit peut être plus court ou plus long, suivant la nature & la violence de l’accident.

En un mot, cette matiere présente quantité de faits & de principes, dont les Medecins & les Chirurgiens peuvent tirer de grands usages pour la pratique de leur profession ; mais ce sujet n’est pas moins digne de l’attention du législateur philosophe, que du medecin physicien.

L’avortement provoqué par des breuvages ou autres remedes de quelqu’espece qu’ils soient, devient inexcusable dans la personne qui le commet, & dans ceux qui y participent. Il est vrai qu’autrefois les courtisanes en Grece se faisoient avorter sans être blâmées, & sans qu’on trouvât mauvais que le medecin y concourût ; mais les autres femmes & filles qui se procuroient des avortemens, entraînées par les mêmes motifs qu’on voit malheureusement subsister aujourd’hui, les unes pour empêcher le partage de leurs biens entre plusieurs enfans, les autres pour se conserver la taille bien faite, pour cacher leur débauche, ou pour éviter que leur ventre devînt ridé, comme il arrive à celles qui ont eu des enfans, ut careat rugarum crimine venter ; de telles femmes, dis-je, ont été de tout tems regardées comme criminelles.

Voyez la maniere dont Ovide s’exprime sur leur compte ; c’est un homme dont la morale n’est pas sévere, & dont le témoignage ne doit pas être suspect : celle-là, dit-il, méritoit de périr par sa méchanceté, qui la premiere a appris l’art des avortemens.

Quæ prima instituit teneros avellere fœtus,
Malitiâ fuerat digna perire suâ.


Et il ajoûte un peu après,

Hæc neque in Armeniis tigres fecere latebris,
Perdere nec fœtus ausa leæna suos :
At teneræ faciunt, sed non impunè, puellæ ;
Sæpe suos utero quæ necat, ipsa perit.

Eleg. xjv. lib. II. amor.

Il est certain que les violens apéritifs ou purgatifs, les huiles distillées de genievre, le mercure, le safran des métaux, & semblables remedes abortifs, produisent souvent des incommodités très-fâcheuses pendant la vie, & quelquefois une mort cruelle.

On peut s’en convaincre par la lecture des observations d’Albrecht, de Bartholin, de Zacutus, de Mauriceau, & autres auteurs. Hippocrate, au V. & VI. livre des maladies populaires, rapporte le cas d’une jeune femme qui mourut en convulsion quatre jours après avoir pris un breuvage pour détruire son fruit. Tel est le danger des remedes pharmaceutiques employés pour procurer l’avortement.

Parlons à présent d’un étrange moyen qui a été imaginé depuis Hippocrate dans la même vûe. Comme il s’est perpétué jusqu’à nous, loin de le passer sous silence, je dois au contraire en publier les suites malheureuses. Ce moyen fatal se pratique par une piquûre dans l’utérus, avec une espece de stilet fait exprès. Ovide en reproche l’usage aux dames romaines de son tems, dans la même élegie que j’ai citée. Pourquoi, leur dit-il, vous percez-vous les entrailles avec de petits traits aigus ? Vestra quid effoditis subjectis viscera telis ? Mais Tertullien décrit l’instrument même en homme qui sait peindre & parler aux yeux. Voici ses paroles : est etiam æneum spiculum quo jugulatio ipsa dirigitur cœco latrocinio ; ἐμϐρυόσφακτον appellant, utique viventis infantis peremptorium. Tertull. de anima, cap. xxxv. ed. Rigalt. p. 328.

Qui n’admireroit qu’une odieuse & funeste invention se soit transmise de siecle en siecle jusqu’au nôtre, & que des découvertes utiles soient tombées dans l’oubli des tems ? En 1660 une sage-femme fut exécutée à Paris pour avoir mis en pratique le cœcum latrocinium dont parle Tertullien. « J’avoue, dit Guy-Patin, tom. I. lett. 191. ann. 1660.. qu’elle a procuré la fausse couche, en tuant le fœtus, par l’espece de poinçon qu’elle a conduit à-travers le vagin jusque dans la matrice, mais la mere en est morte dans un état misérable » : on n’en sera pas étonné si l’on considere les dangers de la moindre blessure de l’utérus, la délicatesse de cette partie, ses vaisseaux, & ses nerfs.

La raison & l’expérience ne corrigent point les hommes ; l’espoir succede à la crainte, le tems presse, les momens sont chers, l’honneur commande & devient la victime d’un affreux combat : voilà pourquoi notre siecle fournit les mêmes exemples & les mêmes malheurs que les siecles passés. Brendelius ayant ouvert en 1714 une jeune fille morte à Nuremberg de cette opération, qu’elle avoit tentée sur elle-même, a trouvé l’utérus distendu, enflammé, corrompu ; les ligamens, les membranes & les vaisseaux de ce viscere dilacérés & gangrenés. Ephém. acad. nat. curios. obs. 167. En un mot, les filles & les femmes qui languissent, & qui périssent tous les jours par les inventions d’un art si funeste, nous instruisent assez de son impuissance & de ses effets. La fin déplorable d’une fille d’honneur de la reine mere Anne d’Autriche, Mademoiselle de *** qui se servit des talens de la Constantin, sage-femme consommée dans la science prétendue des avortemens, sera le dernier fait public que je citerai de la catastrophe des fausses-couches procurées par les secours de l’industrie : le fameux sonnet de l’avorton fait par M. Hainaut à ce sujet, & que tout le monde sait par cœur, pourra servir à peindre les agitations & le trouble des femmes qui se portent à faire périr leur fruit.

Concluons trois choses de tout ce détail : 1°. que l’avortement forcé est plus périlleux que celui qui vient naturellement : 2°. qu’il est d’autant plus à craindre, qu’il procede de causes violentes dont les suites sont très-difficiles à fixer : 3°. enfin, que la femme qui avorte par art, est en plus grand danger de sa vie que celle qui accouche à terme.

Cependant puisque le nombre des personnes qui bravent les périls de l’avortement procuré par art est extrèmement considérable, rien ne seroit plus