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chets de la mâchoire supérieure précedent ceux de la mâchoire inférieure. Rien n’est au surplus moins certain que la forme & le tems de l’éruption de ces dents. Quoiqu’on prétende qu’une connoissance parfaite de la dentition à cet égard soit presque la seule qu’on doive chercher à acquérir, je peux certifier que j’ai vû nombre de chevaux qui n’étoient âgés que de cinq ans, & dont néanmoins les crochets étoient ronds & émoussés.

Nous avons conduit l’animal jusqu’à l’âge de quatre ans & demi, cinq ans, cherchons à étendre nos découvertes ; mais voyons auparavant si celles dont les auteurs nous ont fait part, ne portent point avec elles un caractere d’incertitude, source de la diversité de nos opinions.

Dès que les pinces & les mitoyennes sont déchaussées ou hors de leurs alvéoles, elles font leur crue en quinze jours ; il n’en est pas de même des coins, & c’est à cette différence à laquelle on s’est attaché. On a crû en effet que la dent de coin & les crochets devoient uniquement fixer nos regards depuis l’âge de quatre ans & demi, cinq ans, c’est-à-dire dès que le cheval a tout mis ; & comme les coins sont les dernieres dents qui rasent, on s’est contenté de s’arrêter à l’examen du plus ou moins de progrès que faisoit, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, le remplissage de la dent, pour décider si le cheval a cinq & demi, six ans ou sept ans ; car dès que la cavité cesse de paroître, on dit qu’il a rasé, ce qu’il fait environ à huit années. Il suffit d’exposer le système de M. de Soleysel sur ce point, système généralement reçû, pour être convaincu que rien n’est plus équivoque que ce qui résulte de ses principes.

Premierement, il avance que les coins de dessus percent avant ceux de dessous ; mais cette regle n’est pas invariable : car souvent les coins de la mâchoire inférieure devancent & précedent ceux de la mâchoire supérieure. D’ailleurs, comment s’en rapporter sérieusement aux observations suivantes ?

Dès que la dent de coin paroît, dit-il, elle borde seulement la gencive, le dedans & le dehors sont garnis de chair jusqu’à cinq ans ; ainsi la dent de coin dans cet état fait présumer que le cheval mange dans ces cinq ans, & qu’il ne les a pas encore à cinq ans faits, la chair que l’on apperçoit dans cette dent est entierement retirée : de cinq ans à cinq ans & demi, la dent demeure creuse : de cinq ans & demi à six ans, ce creux qui paroissoit occupe le milieu de la dent, qui dès-lors est égale au-dehors & au-dedans : à sept ans cette cavité diminue & se remplit : à huit ans elle est effacée, c’est-à-dire que le cheval a rasé. En un mot, continue-t-il, le coin dès sa naissance est de l’épaisseur d’un écu ; à cinq ans, cinq ans & demi, de l’épaisseur de deux écus ; à six ans, de l’épaisseur du petit doigt ; à sept ans, de l’épaisseur du second ; à huit ans, de l’épaisseur du troisieme.

Il est singulier que M. de Soleysel ait pû croire que la nature s’assujettissoit toûjours exactement à ces dimensions & à ces mesures ; sa remarque, juste par hasard sur la bouche d’un cheval, n’aura pas lieu, si l’on fait attention aux coins placés dans la bouche de cent autres. Ajoûtons que tels chevaux, en qui les coins bordent seulement la gencive, sont âgés de sept ans ; & d’ailleurs seroit-il bien possible de juger précisément & sainement du point de diminution de la cavité, pour distinguer parfaitement l’âge de six ou sept années ? J’ose me flater que la voie & la méthode que j’indiquerai, seront & plus sûres & plus faciles.

La même regle qui a été suivie dans la pousse des dents, subsiste dans leur changement & dans leur forme.

Les premieres dents qui ont paru sont tombées le

premieres, & ont fait place aux pinces : le poulain a eu alors deux ans & demi, trois ans. Les secondes sont tombées les secondes, & ont fait place aux mitoyennes : l’animal a eu dès-lors trois ans & demi, quatre ans. La chûte des troisiemes enfin a fait place aux coins, & le poulain est parvenu à quatre ans & demi, cinq ans. Les pinces raseront donc les premieres, & leur cavité remplie ; l’animal aura six ans : les mitoyennes raseront ensuite, l’animal aura sept ans : enfin les coins étant rasés, le cheval en aura huit.

Pour connoître & distinguer son âge, lorsqu’il ne marque plus, on a eu recours à une observation non moins fautive que les autres. On a pensé que selon que les crochets sont plus ou moins arrondis, & que les cannelures sont effacées, il doit être déclaré plus ou moins vieux. Il faut partir d’un principe plus constant : ayez égard aux marques des dents antérieures de la mâchoire supérieure ; car quoique les inférieures ayent rasé, les supérieures marquent encore ; & s’attachant au tems où elles cesseront de marquer, & où leur cavité s’effacera, on pourra suivre sûrement l’âge de l’animal, après qu’il aura atteint celui de huit années. Les pinces de la mâchoire supérieure rasent en effet à huit ans & demi, neuf ans ; les mitoyennes, à neuf ans & demi, dix ans ; & les dents de coin, à dix ans & demi, onze ans, & quelquefois à douze.

Je ne prétends pas que cette loi ne souffre aucune exception, la nature varie toûjours dans ses opérations ; il est cependant des points dans lesquels sa marche est plus uniforme que dans d’autres. J’avois observé avant l’impression de mes élémens d’Hippiatrique, ce fait sur plus de deux cents chevaux, & je n’en avois trouvé que quatre dont les dents supérieures déposent contre sa certitude ; elle a été confirmée depuis par l’aveu de tous ceux qui ont cherché à s’en assûrer, & je ne pense pas que quelques preuves très-rares du contraire suffisent pour anéantir cette regle : car il seroit absolument impossible alors d’en reconnoître une seule qui fût fixe & invariable. On ne seroit pas plus autorisé en effet à la contester à la vûe de quelques cas qui peuvent la démentir, que l’on seroit fondé à soûtenir que les chevaux marquent toûjours, parce que l’on en trouve qui ne rasent point, & dont le germe de féve ne s’efface jamais.

Ceux-ci sont nommés en général chevaux beguts ; les jumens & les chevaux hongres sont plus sujets à l’être que les chevaux entiers ; les polonois, les cravates, les transsylvains, le sont presque tous.

J’en distingue trois especes : la premiere comprend ceux qui marquent toûjours, & à toutes les dents : la seconde est composée de ceux qui ne marquent qu’aux mitoyennes & aux coins : la troisieme enfin est formée par ceux dans lesquels le germe de féve subsiste toûjours, & je nomme ces derniers faux-beguts.

Nous avons déjà dit qu’un cheval a cinq ans faits, lorsqu’on apperçoit une cavité dans les pinces, les mitoyennes & les coins. Nous sommes encore convenus que les coins ne croissent que peu-à-peu & par succession de tems : or si nous appercevons que la dent de coin est égale au-dedans & au-dehors, & que la cavité que l’on y remarque soit assez diminuée pour que l’animal soit parvenu à sa sixieme année, la dent de pince doit avoir rasé ; & que si elle n’est pas entierement pleine, l’animal est begut. Ajoûtez à cet indice la preuve qui suit ; car dans ce cas la cavité des dents n’est pas telle qu’elle doit être, puisqu’elles sont toutes également creuses. Or vous savez que lorsque l’animal approche de cinq ans & demi, & qu’il a cinq ans faits, les pinces qui doivent raser les premieres, ont une moindre cavité que les