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qui se mettent dans les baies des croisées ou des portes. Voyez Limon.

Faux-marqué ou Contre-marqué, s. m. (Maréchall.) termes synonymes : le second est plus usité que le premier.

Le cheval contre-marqué est celui dans la table de la dent duquel on observe une cavité factice ou artificielle, & telle que l’animal paroît marquer : cette friponnerie n’est pas la seule dont les maquignons sont capables. Voyez Maquignon.

Ils commettent celle dont il s’agit, par le moyen d’un burin d’acier, semblable à celui que l’on employe pour travailler l’ivoire : ils creusent legerement les dents mitoyennes, & plus profondément celles des coins. Pour contrefaire ensuite le germe de feve, ils remplissent la cavité de poix résine, ou de poix noire, ou de soufre, ou bien ils y introduisent un grain de froment, après quoi ils enfoncent un fer chaud dans cette cavité, & réiterent l’insertion de la poix, du soufre ou du grain, jusqu’à ce qu’ils ayent parfaitement imité la nature : d’autres y vuident simplement de l’encre très-grasse, mais le piége est alors trop grossier.

L’impression du feu forme toûjours un petit cercle jaunâtre qui environne ces trous. Il est donc question de dérober & de soustraire ce cercle aux yeux des acheteurs. Aussi-tôt qu’il s’en présente, le maquignon glisse le plus adroitement qu’il lui est possible dans la bouche de l’animal une legere quantité de mie de pain très-seche, & pilée avec du sel ou quelqu’autre drogue prise & tirée des apophlegmatisans, & dont la propriété est d’exciter une écume abondante : cette écume couvre & cache le cercle, mais dès qu’on en nettoye la dent avec le doigt, il reparoît, & on le découvre bien-tôt ; d’ailleurs les traits du burin sont trop sensibles pour n’être pas aisément apperçus.

Le but ou l’objet de cette fraude ne peut être parfaitement dévoilé qu’autant que nous nous livrerons à quelques réflexions sur les marques & sur les signes auxquels on peut reconnoître l’âge du cheval.

La connoissance la plus particuliere & la plus sûre qu’on puisse en avoir, se tire de la dentition, c’est-à-dire du tems & de l’époque de la pousse des dents, & de la chûte de celles qui doivent tomber pour faire place à d’autres.

La situation des quarante dents dont l’animal est pourvû, est telle qu’il en est dans les parties latérales postérieures en-delà des barres, dans les parties latérales en-deçà des barres, & dans les parties antérieures de la bouche ; de-là leur division en trois classes.

La premiere est celle des dents qui, situées dans les parties latérales postérieures en-delà des barres, sont au nombre de vingt-quatre, six à chaque côté de chaque mâchoire : elles ne peuvent servir en aucune façon pour la connoissance & pour la distinction de l’âge, d’autant plus qu’elles ne sont point à la portée de nos regards. On les nomme mâchelieres ou molaires, mâchelieres du mot mâcher, molaires du mot moudre, parce que leur usage est de triturer, de broyer, de rompre les alimens ou le fourrage : opération d’autant plus nécessaire, que sans la mastication il ne peut y avoir de digestion parfaite.

La seconde classe comprend les dents qui, placées dans les parties latérales en deçà des barres, sont au nombre de quatre, une à chaque côté de chaque mâchoire. Les anciens les nommoient écaillons, nous les appellons crocs ou crochets ; ce sont en quelque façon les dents canines du cheval. Les jumens en sont communément privées, & n’ont par conséquent que trente-six dents : il en est néanmoins qui en ont quarante, mais leurs crochets sont toûjours très-petits, & elles sont dites brechaines. Beaucoup de personnes

les regardent comme admirables pour le service, & comme très-impropres pour le haras ; d’autres au contraire les apprécient pour le haras, & les rejettent pour le service. On peut placer ces idées différentes & ces opinions opposées, dans le nombre des erreurs qui, jusqu’à présent, ont infecté la science du cheval.

La troisieme classe renferme enfin les dents qui sont situées antérieurement, & qui sont au nombre de douze, six à chaque mâchoire : leur usage est de tirer le fourrage & de brouter l’herbe, pour ensuite ce fourrage être porté sous les molaires qui, ainsi que je l’ai dit, le broyent & le triturent : aussi ces dents antérieures ont-elles bien moins de force que les autres, & sont-elles bien plus éloignées du centre de mouvement.

L’ordre, la disposition des dents dans l’animal, n’est pas moins merveilleuse que leur arrangement dans l’homme : elles sont placées de maniere que les deux mâchoires peuvent se joindre, mais non pas par-tout en même tems, afin que l’action de tirer & de brouter, & celle de rompre & de triturer, soient variées selon le besoin & la volonté. Lorsque les dents molaires se joignent, les dents antérieures de la mâchoire supérieure avancent en-dehors ; elles couvrent, elles outre-passent en partie celles de la mâchoire inférieure qui leur répondent ; & quand les extrémités ou les pointes des dents antérieures viennent à se joindre, les molaires demeurent écartées.

Les unes & les autres ont, de même que toutes les parties du corps de l’animal, leur germe dans la matrice, & celles qui succedent à d’autres ne sont pas nouvelles ; car elles étoient formées, quoiqu’elles ne parussent point. Séparez les mâchoires du fœtus du cheval, vous y trouverez les molaires, les crochets, & les antérieures encore molles, distinguées par un interstice osseux, & dans chacune un follicule muqueux & tenace, d’où la dent sortira. Séparez encore ce rang de dents, vous en trouverez sous les antérieures un second, composé de celles qui sont destinées à remplacer celles qui doivent tomber ; je dis sous celui des antérieures, car les crochets & les molaires ne changent point. Les dents sont donc molles dans leur origine ; elles ne paroissent que comme une vessie membraneuse encore tendre & garnie à l’extérieur d’une humeur muqueuse : cette vessie abonde en vaisseaux sanguins & nerveux ; elle se durcit dans la suite par le desséchement de la matrice plâtreuse qui y aborde sans cesse, c’est ce qui fait le corps de la dent. La substance muqueuse, que j’ai dit être à l’extérieur, devient encore plus compacte par sa propre nature, & forme ce que l’on appelle l’émail.

Les dents antérieures du cheval different de celles de l’homme, en ce que cette petite vessie, qui dans nous est close & fermée en-dessus, est au contraire ouverte dans l’animal, ce qui fait que la cavité de la dent qui ne paroît point dans l’homme, parce qu’elle est intérieure, paroît au-dehors dans le cheval. C’est cette même cavité qui s’efface avec l’âge, dans laquelle on apperçoit, tant que l’animal est jeune, une espece de tache noire que l’on nomme germe de feve, & que les maquignons veulent imiter en contre-marquant l’animal.

L’origine de ce germe de féve ne peut être ignorée : la cavité de la dent est remplie par l’extrémité des vaisseaux qui lui appartiennent ; or dès que l’air aura pénétré dans cette cavité, il desséchera la superficie de ces mêmes extrémités ; il la réduira, il la noircira, & delà cette sorte de tache connue sous le nom de germe de feve.

Prenons à présent un poulain dès sa naissance : il n’a point de dents. Quelques jours après qu’il est né, il en perce quatre sur le devant de la mâchoire,