Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/440

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux articles ; les ongles fermes & recourbés, les ailes longues. Les signes de force & de courage sont les mêmes pour le gerfault, &c. & pour le tiercelet, qui est le mâle, dans toutes les especes d’oiseaux de proie, & qu’on appelle ainsi parce qu’il est d’un tiers plus petit que la femelle. Une marque de bonté moins équivoque dans un oiseau, c’est de chevaucher le vent, c’est-à-dire de se roidir contre, & se tenir ferme sur le poing lorsqu’on l’y expose. Le pennage d’un bon faucon doit être brun & tout d’une piece, c’est-à-dire de même couleur. La bonne couleur des mains est le verd d’eau : ceux dont les mains & le bec sont jaunes, ceux dont le plumage est semé de taches, ce qu’on appelle égalé ou haglé, sont moins estimés que les autres. On fait cas des faucons noirs ; mais quel que soit leur plumage, ce sont toûjours les plus forts en courage qui sont les meilleurs.

Outre la conformation, il faut encore avoir égard à la santé de l’oiseau. Il faut voir s’il n’est point attaqué du chancre, qui est une espece de tartre qui s’attache au gosier & à la partie inférieure du bec ; s’il n’a point sa molette empelotée, c’est-à-dire si la nourriture ne reste point par pelotons dans son estomac ; s’il se tient sur la perche tranquillement & sans vaciller ; si sa langue n’est point tremblante ; s’il a les yeux perçans & assûrés ; si les émeuts sont blancs & clairs : les émeuts bleus sont un symptome de mort.

Le choix d’un oiseau ainsi fait, on passe aux soins nécessaires pour le dresser. On commence par l’armer d’entraves appellées jets, au bout desquels on met un anneau sur lequel est écrit le nom du maître : on y ajoûte des sonnettes, qui servent à indiquer le lieu où il est lorsqu’il s’écarte à la chasse. On le porte continuellement sur le poing ; on l’oblige de veiller : s’il est méchant & qu’il cherche à se défendre, on lui plonge la tête dans l’eau ; enfin on le contraint par la faim & la lassitude à se laisser couvrir la tête d’un chaperon qui lui enveloppe les yeux. Cet exercice dure souvent trois jours & trois nuits de suite ; il est rare qu’au bout de ce tems les besoins qui le tourmentent, & la privation de la lumiere, ne lui fassent pas perdre toute idée de liberté. On juge qu’il a oublié sa fierté naturelle, lorsqu’il se laisse aisément couvrir la tête, & que découvert il saisit le pât ou la viande qu’on a soin de lui présenter de tems en tems. La répetition de ces leçons en assûre peu-à-peu le succès. Les besoins étant le principe de la dépendance de l’oiseau, on cherche à les augmenter, en lui nettoyant l’estomac par des cures. Ce sont de petits pelotons de filasse qu’on lui fait avaler, & qui augmentent son appétit ; on le satisfait après l’avoir excité, & la reconnoissance attache l’oiseau à celui même qui l’a tourmenté. Lorsque les premieres leçons ont réussi, & qu’il montre de la docilité, on le porte sur le gason dans un jardin. Là on le découvre, & avec l’aide de la viande on le fait sauter de lui-même sur le poing. Quand il est assûré à cet exercice, on juge qu’il est tems de lui donner le vif, & de lui faire connoître le leurre.

Ce leurre est une représentation de proie, un assemblage de piés & d’ailes, dont les fauconniers se servent pour réclamer les oiseaux, & sur lequel on attache leur viande. Cet instrument étant destiné à rappeller les oiseaux & à les conduire, il est important qu’ils y soient non-seulement accoûtumés, mais affriandés. Quelques fauconniers sont dans l’usage d’exciter l’oiseau à plusieurs reprises dans la même leçon, lorsqu’ils l’accoûtument au leurre. Dès qu’il a fondu dessus, & qu’il a seulement pris une bécade, ils le retirent sous prétexte d’irriter sa faim, & de l’obliger à y revenir encore ; mais par cette méthode on court risque de le rebuter : il est plus sûr, lorsqu’il a fait ce qu’on attendoit de lui, de le paître

tout-à-fait, & ce doit être la récompense de sa docilité. Le leurre est l’appas qui doit faire revenir l’oiseau lorsqu’il sera élevé dans les airs ; mais il ne seroit pas suffisant sans la voix du fauconnier, qui l’avertit de se tourner de ce côté-là. Il faut donc que le mouvement du leurre soit toûjours accompagné du son de la voix & même des cris du fauconnier, afin que l’un & l’autre annoncent ensemble à l’oiseau que ses besoins vont être soulagés. Toutes ces leçons doivent être souvent répetées, & par le progrès de chacune le fauconnier jugera de celles qui auront besoin de l’être davantage. Il faut chercher à bien connoître le caractere de l’oiseau, parler souvent à celui qui paroît moins attentif à la voix. laisser jeûner celui qui revient moins avidement au leurre, veiller plus long-tems celui qui n’est pas assez familier, couvrir souvent du chaperon celui qui craint ce genre d’assujettissement. Lorsque la docilité & la familiarité d’un oiseau sont suffisamment confirmées dans le jardin, on le porte en plaine campagne, mais toûjours attaché à la filiere, qui est une ficelle longue d’une dixaine de toises : on le découvre ; & en l’appellant à quelques pas de distance, on lui montre le leurre. Lorsqu’il fond dessus, on le sert de la viande, & on lui en laisse prendre bonne gorge, pour continuer de l’assûrer. Le lendemain on le lui montre d’un peu plus loin, & il parvient enfin à fondre dessus du bout de la filiere : c’est alors qu’il faut faire connoître & manier plusieurs fois à l’oiseau le gibier auquel on le destine : on en conserve de privés pour cet usage ; cela s’appelle donner l’escap. C’est la derniere leçon, mais elle doit se répeter jusqu’à ce qu’on soit parfaitement assûré de l’oiseau : alors on le met hors de filiere, & on le vole pour bon.

La maniere de leurrer que nous avons indiquée, ne s’employe pas à l’égard des faucons & tiercelets destinés à voler la pie, ou pour champ, c’est-à-dire pour le vol de la perdrix. Lorsque ceux-là sont assûrés au jardin, & qu’ils sautent sur le poing, on leur fait tuer un pigeon attaché à un piquet, pour leur faire connoître le vif. Après cela on leur donne un pigeon volant, au bout d’une filiere ; & lorsqu’on les juge assez sûrs pour être mis hors de filiere eux-mêmes, on leur donne un pigeon volant librement, mais auquel on a sillé les yeux. Ils le prennent, parce qu’il se défend mal. Alors, si l’on compte sur leur obéissance, on cherche à les rebuter sur les pigeons & sur tous les gibiers qu’ils ne doivent pas voler : pour cela on les jette après des bandes de pigeons, qui se défendent trop bien pour être pris, & on ne les sert de la viande, que quand on leur a fait prendre le gibier auquel on les destine. Le faucon pour corneille se dresse de la même maniere, mais sans qu’on le serve de pigeons : c’est une corneille qu’on lui donne à tuer au piquet ; & après cela on lui donne plusieurs fois l’escap au bout d’une filiere mince & courte, jusqu’à ce qu’on le juge assez confirmé pour le voler pour bon.

Les auteurs qui ont écrit sur la Fauconnerie, donnent encore d’autres méthodes dont nous ne parlerons point ; soit parce qu’elles sont contenues en substance dans ce que nous avons dit ; soit parce que l’expérience & l’usage d’aujourd’hui les ont abrégées. Un mois doit suffire pour dresser un oiseau. Il y en a qui sont lâches & paresseux : d’autres sont si fiers, qu’ils s’irritent contre tous les moyens qu’on employe pour les rendre dociles. Il faut abandonner les uns & les autres. En général, les niais sont les plus aisés ; les sors le sont un peu moins, mais plus que les hagards qui, selon le langage des Fauconniers, sont souvent curieux, c’est-à-dire moins disposés par leur inquiétude à se préter aux leçons.

Le soin des oiseaux de proie, soit en santé, soit en maladie, étant une partie principale de la Fauconne-