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Etats des Villes, sont l’assemblée particuliere des officiers, principaux habitans & notables bourgeois des villes, lorsque le roi leur permet de s’assembler en forme d’états, pour délibérer de leurs affaires communes. (A)

Etat, (Medecine.) ἀκμὴ : ce terme est employé pour désigner le tems de la maladie auquel les symptomes n’augmentent plus ni en nombre ni en violence, & subsistent dans le dernier degré de leur accroissement : c’est alors que la maladie est dans toute sa force.

On se sert aussi du même terme à l’égard de l’augmentation fixée des symptomes qui accompagnent le redoublement ou l’accès dans les maladies qui en sont susceptibles. Voyez Maladie, Fievre, Tems, Redoublement, Paroxysme ou Accès. (d)

Etat de la Guerre. Ce que l’on appelle l’état de la guerre, c’est la disposition & les arrangemens nécessaires pour la faire avantageusement. C’est proprement le plan de conduite qu’on doit suivre, relativement à la nature & au nombre des troupes qu’on peut mettre en campagne, à celles de l’ennemi, & au caractere du général qui doit les commander.

Ainsi un prince qui ne peut avoir des armées aussi fortes que celles de son ennemi, doit lui faire une guerre de chicane ou défensive. L’état de la guerre formé par son général, consistera à éviter les affaires décisives, & à se poster toûjours assez avantageusement pour détruire les projets & les desseins de l’ennemi, sans s’exposer à être forcé de combattre. Un général dont la cavalerie sera supérieure à celle de l’ennemi, réglera l’état de la guerre, pour la faire agir ; c’est-à-dire que cet état consistera à faire ensorte d’attirer l’ennemi dans les plaines, & à le tirer des endroits fourrés, propres à l’infanterie. Si au contraire il est plus fort en infanterie, ou que la sienne soit meilleure que celle de l’ennemi, il occupera les lieux forts, où la cavalerie ne peut manœuvrer que difficilement. Enfin, dans quelque situation qu’il se trouve, l’état de la guerre consiste à régler tout ce que l’on peut faire de mieux pour tirer le plus d’avantage possible de ses troupes, arrêter les desseins de l’ennemi, & lui faire, autant que l’on peut, supporter tous les malheurs de la guerre.

Il n’appartient qu’aux généraux du premier ordre de pouvoir régler avec succès l’état de la guerre qu’ils doivent faire ; c’est le fruit de la Science militaire, d’une expérience consommée & réfléchie, d’une grande connoissance du pays qui doit être le théatre de la guerre, de la nature des troupes qu’on aura à combattre, de l’habileté & du caractere des généraux qui doivent les commander, &c. Nous sommes fort éloignés de vouloir effleurer seulement cette importante matiere, sur laquelle il y a peu de détails satisfaisans dans les auteurs militaires. Nous renvoyons les lecteurs à la seconde partie de l’Art de la guerre, par M. le Maréchal de Puysegur ; au Commentaire sur Polybe, de M. le chevalier Folard, tome V. pag. 342 & suiv. aux Mémoires de Montecuculli, &c. Nous ajoûterons seulement ici deux exemples de projets de guerre bien entendus & bien exécutés, qui pourront donner quelques idées de l’importance de cette partie essentielle de la guerre dans un général.

En 1674, les ennemis avoient formé le dessein de nous chasser entierement de l’Alsace. Ils avoient, selon M. le marquis de Feuquiere, une armée de plus de soixante mille hommes, & M. de Turenne n’en avoit pas vingt mille effectifs. M. de Louvois étoit, dit-on, d’avis de ne faire qu’un bucher de cette province, pour empêcher les ennemis de s’y établir & d’y prendre des quartiers d’hyver ; « mais M. de Turenne, que le grand nombre d’ennemis n’effraya jamais, fut effrayé d’une telle résolution. Ce grand

capitaine fut d’un avis contraire à celui du ministre ; il regla l’état d’une campagne d’hyver qu’il communiqua au roi, & lui promit de faire ensorte que les quartiers d’hyver des Impériaux en Alsace. & la conquête de cette province importante, deviendroient une pure imagination, par le dessein qu’il s’étoit formé, & les mesures qu’il s’étoit résolu de prendre ». C’est ce qu’il effectua ensuite ; car il enleva tous les quartiers de l’armée ennemie les uns après les autres, & il chassa toute cette armée établie en-deçà du Rhin, bien au-delà de ce fleuve, pour aller chercher des quartiers ailleurs. On voit par-là un dessein pris & arrêté sur ce que l’ennemi pouvoit faire. M. de Turenne avoit prévû que les Impériaux ne pourroient pas marcher ensemble en corps d’armée, ni demeurer unis, par la difficulté de trouver des vivres. Sur cette considération il prend le parti de s’arranger pour les battre en détail, sans qu’ils pussent se secourir les uns & les autres. Voilà un état de guerre, ou, si l’on veut, un projet de guerre réglé, bien entendu, & également bien exécuté.

Le second exemple qu’on rapportera, est celui de la campagne de 1677, de M. le Maréchal de Créqui. Ce général devoit agir contre M. le duc de Lorraine, qui avoit une armée supérieure à la sienne ; mais dès le commencement de la campagne M. de Créqui avoit écrit au roi que cette armée supérieure ne feroit rien, & qu’il finiroit lui-même cette campagne par la prise de Fribourg : c’est-à-dire qu’il avoit réglé un état de guerre défensive, suivant lequel l’ennemi ne pourroit rien entreprendre contre lui. En effet, « ce maréchal durant quatre mois, dit M. de Feuquiere, ne perdit jamais son ennemi de vûe, & s’opposa toûjours de front à tous les mouvemens en-avant qu’il voulut faire, soit du côté de la Sarre, soit pour passer la Meuse du côté de Mouzon : sans que dans aucun des mouvemens hardis que M. le Maréchal de Créqui fit faire à son armée, M. de Lorraine pût trouver l’occasion de le combattre ; parce que M. de Créqui, qui vouloit éviter un engagement général, compassa si sagement jusqu’à ses moindres mouvemens, qu’il ne donna jamais à ce prince aucun tems qui pût lui procurer la possibilité de l’attaquer avec l’apparence d’un succès heureux. La campagne s’écoula presque toute entiere dans ces mouvemens, qui produisirent aux ennemis une grande perte d’hommes, un grand dépérissement des chevaux de leur cavalerie, & de leurs équipages ».

Le mauvais état de cette armée ayant obligé M. le duc de Lorraine de la séparer avant celle du roi, comme M. de Créqui l’avoit prévû : « Notre général, dit le savant officier qu’on vient de citer, qui fort secretement s’étoit préparé au siége de Fribourg, eut le tems de prendre cette place avant que M. de Lorraine pût seulement rassembler une partie de sa cavalerie pour marcher au secours de cette ville ». Mémoires de M. le marquis de Feuquiere, tome II. de l’édition in-12.

Il est difficile de refuser son admiration à des projets de campagne tels que ceux dont on vient de parler ; on les voit aussi habilement exécutés que judicieusement conçûs. Il faut sans doute de très grands talens pour produire de ces exemples de la science du général ; ceux qui les possedent bien, font de grandes choses avec de petites armées. Les esprits ordinaires se contentent de pousser le tems bien ou mal ; les combinaisons des différens desseins de l’ennemi, & des moyens propres à arrêter ces desseins, leur paroissent difficiles, & elles le sont en effet. Il est plus commode d’agir selon les occasions ; mais lorsqu’on n’a point de projet ou d’objet antérieur, on parvient rarement à faire de grandes cho-