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l’abstinence, donne moins de prise au chatouillement du suc gastrique ; & parce que le cours du sang dans ce viscere se fait moins aisément quand il est flasque, que quand il est raisonnablement distendu.

2°. On ne sent pas de faim lorsque les parois de l’estomac sont couvertes d’une pituite épaisse : cela vient de deux raisons. La premiere, de ce que le ventricule étant relâché par cette abondance de pituite, son sentiment doit être émoussé. La seconde consiste en ce que les filtres sont remplis, & cette plénitude produit une compression qui émousse encore davantage la sensibilité de l’estomac.

3°. La faim seroit presque continuelle dans la bonne santé, si l’estomac, le duodenum, & les intestins se vuidoient promptement. Or c’est ce qui arrive dans certaines personnes, lorsqu’il y a chez elles une grande abondance de bile qui coule du foie dans les intestins ; car comme elle dissout parfaitement les alimens, elle fait que le chyle entre promptement dans les veines lactées, & par conséquent elle est cause que les intestins & l’estomac se vuident : enfin c’est un purgatif qui par son impression précipite les alimens & les excrémens hors du corps. Il y a quelquefois d’autres causes particulieres d’une faim vorace, même sans maladie ; c’est cette faim qu’on appelle orexie. Voyez Orexie.

4°. On peut donner de l’appétit par l’usage de certaines drogues : telles sont les amers qui tiennent lieu de bile, raniment l’action de l’estomac, & empêchent qu’il ne se relâche ; tel est aussi l’esprit de sel, parce qu’il picote le tissu nerveux dû ventricule. Enfin il y a une infinité de choses qui excitent l’appétit, parce qu’elles flatent le goût, piquent le palais, & mettent en jeu toutes les parties qui ont une liaison intime avec le ventricule.

5°. Dans les maladies aiguës, on n’a pas d’appétit ; soit parce que les humeurs sont viciées ; soit par l’inflammation des visceres, dont les nerfs communiquant à ceux de l’estomac, en resserrent le tissu, ou excitent un sentiment douloureux dans cet organe.

6°. Les jeunes gens ressentent la faim plus vivement que les autres ; cela doit être, parce que chez les jeunes gens il se fait une plus grande dissipation d’humeurs, le sang circule chez eux avec plus de promptitude, les papilles nerveuses de leur estomac sont plus sensibles.

7°. Si les tuniques du ventricule étoient fort relâchées, les nerfs le seroient aussi, le sentiment seroit moindre, & par conséquent l’appétit diminueroit : de-là vient, comme je l’ai dit ci-dessus, que lorsqu’il se filtre trop de pituite ou de suc stomacal, on ne sent plus de faim.

8°. Dès que l’estomac est plein, la sensation de l’appétit cesse jusqu’à ce qu’il soit vuide : c’est parce que dans la plénitude, les membranes du ventricule sont toutes fort tendues, & cette tension émousse la sensation ; d’ailleurs le suc salivaire & le suc gastrique étant alors mêlés avec les alimens, ils ne font plus d’impression sur l’estomac. Si même ce viscere est trop plein, cette distension produit une douleur ou une inquiétude fatigante.

9°. Quand le ventricule ne se vuide pas suffisamment, le dégoût succede. En voici les raisons. 1°. Dans ce cas, l’air qui se sépare des alimens & qui gonfle le sac qui les renferme, produit une sensation fatigante : or dès qu’il y a dans ce viscere une sensation fatigante, elle fait disparoître la sensation agréable, celle qui cause l’appétit ; c’est-là une de ces lois qu’a établi la nature par la nécessité de la construction. 2°. Le mauvais goût aigre, rancide, alkalin, que contractent les alimens par leur séjour dans le ventricule, donne de la répugnance pour

toutes sortes d’alimens semblables à ceux qui se sont altérés dans cet organe de la digestion. 3°. Il faut remarquer que dès qu’il y a quelque aliment qui fait une impression desagréable sur la langue ou sur le palais, aussi-tôt le dégoût nous saisit, & l’imagination se révolte.

10°. Elle suffit seule pour jetter dans le dégoût, & peut même faire desirer des matieres pernicieuses, ou des choses qui n’ont rien qui soit alimentaire. C’est en partie l’imagination qui donne un goût si capricieux aux filles attaquées de pâles couleurs : ces filles mangent de la terre, du plâtre, de la craie, de la farine, des charbons, &c. & il n’y a qu’une imagination blessée qui puisse s’attacher à de tels objets. On doit regarder cette sorte de goût ridicule comme le délire des mélancoliques, lesquels fixent leur esprit sur un objet extravagant : mais il est certain que l’impression que font ces matieres est agréable, car elles ne rebutent point les filles qui ont de telles fantaisies. Voyez Pales Couleurs.

De plus, qui ne sait que les femmes enceintes desirent, mangent quelquefois avec plaisir du poisson crud, des fruits verds, de vieux harengs, & autres mauvaises drogues, & que même elles les digerent sans peine ? Voilà néanmoins des matieres desagréables & nuisibles, qui flatent le goût des femmes grosses sans altérer leur santé, ou sans produire d’effets mauvais qui soient bien marqués. Il est donc certain que dans ces cas les nerfs ne sont plus affectés comme ils l’étoient dans la santé, & que des choses desagréables à ceux qui se portent bien, font des impressions flateuses lorsque l’économie animale est dérangée : c’est pour cela que les chates & d’autres femelles sont quelquefois exposées aux mêmes caprices que les filles par rapport au goût. Souvent les medecins industrieux ont éloigné ces idées extravagantes, en attachant l’esprit malade à d’autres objets : il est donc évident qu’en plusieurs cas, l’imagination conserve ses droits sur l’estomac ; elle peut même lui donner une force qu’il n’a pas naturellement. Ajoûtons que dans certains dégoûts les malades dont l’imagination est pour ainsi dire ingénieuse à rechercher ce qui pourroit faire quelque impression agréable, s’attachent comme par une espece de délire à des alimens bisarres, & quelquefois par un instinct de la nature, à des alimens salutaires.

On pourroit sans doute proposer plusieurs autres phénomenes de la faim, à l’explication desquels nos principes ne sauroient suffire, & nous sommes bien éloignés de le nier : mais la physiologie la plus savante ne l’est point assez pour porter la lumiere dans les détours obscurs du labyrinthe des sensations ; il s’y trouve une infinité de faits inexplicables, plusieurs autres encore qui dépendent du tempérament particulier, de l’habitude, & des jeux inconnus de la structure de notre machine.

Après ces réflexions, il ne nous reste qu’à dire en deux mots comment la faim se dissipe, même sans manger, moyen que tout le monde sait, & que l’instinct fait sentir aux bêtes : elle se dissipe outre cela, 1° en détrempant trop les sucs dissolvans, & en relâchant les fibres à force de boire des liqueurs aqueuses chaudes, telles que le thé : 2°. en bûvant trop de liquides huileux, qui vernissent & émoussent les nerfs, ou même en respirant continuellement des exhalaisons de matieres grasses, comme font par exemple les faiseurs de chandelle : 3°. lorsque l’ame est occupée de quelque passion qui fixe son attention, comme la mélancolie, le chagrin, &c. la faim s’évanoüit, tant l’imagination agit sur l’estomac : 4°. les matieres putrides ôtent la faim sur le champ, comme un seul grain d’œuf pourri, dont Bellini eut des rapports nidoreux pendant trois jours, &c. 5°. l’horreur ou la répugnance naturelle qu’on a pour certains alimens, pour