Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous ridicules & faux, si on les soûmettoit à cette épreuve ? L’exécution sévere des regles, je ne puis trop le répeter, est le soûtien des Beaux arts, comme les licences en sont la ruine. Dans celui de la Peinture, la perspective linéale est un des plus fermes appuis de l’illusion qu’elle produit  : cette perspective donne les regles des rapports des objets  ; & puisque nous ne jugeons des objets réels que par les rapports qu’ils ont entr’eux, comment espere-t-on tromper les regards, si l’on n’imite précisément ces rapports de proportions par lesquels nos sens perçoivent & nous excitent à juger ? Les grands peintres ont étudié avec soin l’Architecture indépendamment de la Perspective, & ils ont trouvé dans cette étude les moyens de rendre leurs compositions variées, riches & vraissemblables. Il seroit à souhaiter que les Architectes pussent s’enrichir aussi des connoissances & du goût qu’inspire l’art de la Peinture, en le pratiquant ; ils y puiseroient à leur tour des beautés & des graces qu’on voit souvent manquer dans l’exécution de leur composition. Les Arts ne doivent-ils pas briller d’un plus vif éclat, lorsqu’ils réünissent leurs lumieres ? Voyez Perspective, Ruines, &c. Cet article est de M. Watelet.

FABULEUX, adj. (Hist. anc.) On appelle tems fabuleux ou héroïques, la période où les Payens ont feint que regnoient les dieux & les héros.

Varron a divisé la durée du monde en trois périodes : la premiere est celle du tems obscur & incertain, qui comprend tout ce qui s’est passé jusqu’au déluge, dont les Payens avoient une tradition constante ; mais ils n’avoient aucun détail des évenemens qui avoient précédé ce déluge, excepté leurs fictions sur le cahos, sur la formation du monde & sur l’âge d’or.

La seconde période est le tems fabuleux, qui comprend les siecles écoulés depuis le déluge jusqu’à la premiere olympiade, c’est-à-dire 1552 ans, selon le P. Pétau ; ou jusqu’à la ruine de Troye, arrivée l’an 308 après la sortie des Hébreux de l’Egypte, & 1164 après le déluge. Voyez l’article Fable. Dictionn. de Trévoux & Chambers. (G)

* FABULINUS, (Myth.) dieu de la parole. Les Romains l’invoquoient & lui faisoient des sacrifices lorsque leurs enfans commençoient à bégayer quelques mots.

FABULISTE, s. m. (Littér.) auteur qui écrit des fables, fabulas, c’est-à-dire des narrations fabuleuses, accompagnées d’une moralité qui sert de fondement à la fiction.

Non-seulement un fabuliste doit se proposer sous le voile de la fiction, d’annoncer quelque vérité morale, utile pour la conduite des hommes, mais encore l’annoncer d’une maniere qui ne rebute point l’amour-propre, toûjours rebelle aux préceptes directs, & toûjours favorable à ces déguisemens heureux qui ont l’art d’instruire en amusant.

Les enfans nouveaux venus dans le monde, n’en connoissent pas les habitans, ils ne se connoissent pas eux-mêmes ; mais il convient de les laisser dans cette ignorance le moins qu’il est possible. Il leur faut apprendre ce que c’est qu’un lion, un renard, un singe, & pour quelle raison on compare quelquefois un homme à de tels animaux : c’est à quoi les fables sont destinées, & les premieres notions de ces choses proviennent d’elles ; ensuite par les raisonnemens & les conséquences qu’on peut tirer des fables, on forme le jugement & les mœurs des enfans. Plûtôt que d’être réduits à corriger nos mauvaises habitudes, nos parens devroient travailler à les rendre bonnes, pendant qu’elles sont encore indifférentes au bien & au mal ; or les fables y peuvent contribuer infiniment, & c’est ce qui a fait dire à Lafontaine qu’elles étoient descendues du ciel pour servir à notre instruction  :

L’apologue est un don qui vient des immortels,
Ou si c’est un présent des hommes,
Quiconque nous l’a fait, mérite des autels.

Esope, suivant tous les critiques, mérite ces autels : c’est à lui qu’on est redevable de ce beau présent ; c’est lui qui a la gloire de cette invention, ou du moins qui a si bien manié ce sujet, qu’on l’a regardé dans l’antiquité comme le pere ou le principal auteur des apologues : c’est ce qui a engagé Philostrate à embellir cette vérité par une fiction ingénieuse. « Esope, dit-il, étant berger, menoit souvent paître ses troupeaux près d’un temple de Mercure où il entroit quelquefois, faisant au dieu de petites offrandes, comme de fleurs, d’un peu de lait, de quelques rayons de miel, & lui demandant avec instance quelques rayons de sagesse. Plusieurs se rendoient aussi dans le même temple pour le même dessein, & faisoient au dieu des offrandes très-considérables. Mercure voulant reconnoître leur piété, donna aux uns le don de l’Astrologie, aux autres le don de l’Éloquence, & à quelques-uns le don de la Musique. Il oublia par malheur Esope ; mais comme son intention étoit de le récompenser, il lui donna le don de faire des fables » … Revenons à l’histoire.

Esope a cela de commun avec Homere, qu’on ignore le vrai lieu de sa naissance ; néanmoins l’opinion générale le fait sortir d’un bourg de Phrygie. Il florissoit du tems de Solon, c’est-à-dire vers la 52e olympiade ; il naquit esclave, & servit en cette qualité plusieurs maîtres. Il apprit à Athenes la pureté de la langue greque, comme dans sa source ; perfectionna ses talens par les voyages, & se distingua par ses réponses dans l’assemblée des sept sages. Sa haute réputation étant parvenue jusqu’aux oreilles de Crésus roi de Lydie, ce monarque le fit venir à sa cour, le prit en affection, & l’honora de sa confiance. Mais l’étude favorite d’Esope fut toûjours la Philosophie morale, dont il remplit son ame & son esprit, convaincu de l’inconstance & de la vanité des grandeurs humaines : on sait son bon mot sur cet article. Chylon lui ayant demandé quelle étoit l’occupation de Jupiter, remporta d’Esope cette réponse merveilleuse : Jupiter abaisse les choses hautes, & éleve les choses basses. Cependant il fut traité comme sacrilege ; car ayant été envoyé par Crésus au temple de Delphes, pour offrir en son nom des sacrifices, ses discours sur la nature des dieux indisposerent les Delphiens, qui le condamnerent à la mort. En vain Esope leur raconta la fable de l’aigle & de l’escarbot pour les ramener à la clémence, cette fable ne toucha point leur cœur ; ils précipiterent Esope du haut de la roche d’Hyampie, & s’en repentirent trop tard.

Après sa mort les Athéniens se croyant en droit de se l’approprier, parce qu’il avoit eu pour son premier maître Démarchus citoyen d’Athenes, lui érigerent une statue, que l’on conjecture avoir été faite par Lysippe. Enfin pour consoler la Grece entiere qui pleuroit sa perte, les Poëtes furent obligés de feindre que les dieux l’avoient ressuscité. Voilà tout ce qu’on sait d’Esope, même en rassemblant divers passages d’Hérodote, d’Aristophane, de Plutarque, de Diogene de Laërce & de Suidas. M. de Méziriac en a fait un bel usage dans la vie de ce fabuliste, qu’il a publiée en 1632.

Il n’est pas facile de décider si l’inventeur de l’apologue composa ses fables de dessein formé, pour en faire une espece de code qui renfermât dans des fictions allégoriques toute la morale qu’il vouloit enseigner ; ou bien si les différentes circonstances dans lesquelles il se trouva, y ont successivement donné lieu. De quelque façon & dans quelque vûe qu’il ait composé ses fables, il est certain qu’elles ne sont pas