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paysans y étant tous esclaves. Des nobles sont exclus de ces assemblées.

En Suede au contraire on distingue quatre états ou ordres différens de citoyens ; savoir la noblesse, le clergé, les bourgeois, & les paysans.

Dans la plûpart des autres pays on distingue trois états ; le clerge, la noblesse, & le tiers-état ou troisieme ordre, composé des magistrats municipaux, des notables bourgeois, & du peuple. Telle est la division qui subsiste présentement en France ; mais les choses n’ont pas été toujours réglées de même à cet égard.

Avant la conquête des Gaules par Jules César, il n’y avoit que deux ordres ; celui des druides, & celui des chevaliers : le peuple étoit dans une espece d’esclavage, & n’étoit admis à aucune délibération. Lorsque les Francs jetterent les fondemens de la monarchie françoise, ils ne reconnoissoient qu’un seul ordre dans l’état, qui étoit celui des nobles ou libres ; en quoi ils conserverent quelque tems les mœurs des Germains dont ils tiroient leur origine. Dans la suite le clergé forma un ordre à part, & obtint même le premier rang dans les assemblées de la nation. Le tiers-état ne le forma que long-tems après sous la troisieme race.

Quelques historiens modernes ont qualifié très improprement d’états, les assemblées de la nation qui, sous la premiere race, se tenoient au mois de Mars, & sous la seconde, au mois de Mai : d’où elles furent appellées champ de Mars & champ de Mai. On leur donnoit encore divers autres noms, tels que ceux de colloquium, concilium, judicium Francorum, placitum Malium ; & sous le regne de Pepin elles commencerent à prendre le nom de parlemens. Ces anciens parlemens, dont celui de Paris & tous les autres tirent successivement leur origine, n’étoient pas une simple assemblée d’états, dans le sens que ce terme se prend aujourd’hui ; c’étoit le conseil du roi & le premier tribunal de la nation, où se traitoient toutes les grandes affaires. Le roi présidoit à cette assemblée, ou quelqu’autre personne par lui commise à cet effet. On y déliberoit de la paix & de la guerre, de la police publique & administration du royaume ; on y faisoit les lois ; on y jugeoit les crimes publics, & tout ce qui touchoit la dignité & la sureté du roi, & la liberté des peuples.

Ces parlemens n’étoient d’abord composés que des nobles, & ils furent ensuite réduits aux seuls grands du royaume, & aux magistrats qui leur furent associés. Le clergé ne formoit point encore un ordre à part, desorte que les prélats ne furent admis à ces parlemens qu’en qualité de grands vassaux de la couronne. On ne connoissoit point encore de tiers-état ; ainsi ces anciens parlemens ne peuvent être considérés comme une assemblée des trois états. Il s’en faut d’ailleurs beaucoup que les assemblées d’états ayent jamais eu le même objet ni la même autorité, ainsi qu’on le reconnoîtra sans peine en considérant la maniere dont les états ont été convoqués, & dont les affaires y ont été traitées.

On ne connut pendant long-tems dans le royaume que deux ordres, la noblesse & le clergé.

Le tiers-état, composé du peuple, étoit alors presque tout serf ; il ne commença à se former que sous Louis-le-Gros, par l’affranchissement des serfs, lesquels par ce moyen devinrent bourgeois du roi, ou des seigneurs qui les avoient affranchis.

Le peuple ainsi devenu libre, & admis à posséder propriétairement ses biens, chercha les moyens de s’élever, & eut bientôt l’ambition d’avoir quelque part au gouvernement de l’état. Nos rois l’éleverent par degrés en l’admettant aux charges, & en communiquant la noblesse à plusieurs roturiers ; ce qu’ils

firent sans doute pour balancer le crédit des deux autres ordres, qui étoient devenus trop puissans.

Il n’y eut cependant, jusqu’au tems de Philippe-le-Bel, point d’autre assemblée représentative de la nation, que le parlement, lequel étoit alors composé seulement des grands vassaux de la couronne, & des magistrats, que l’on choisissoit ordinairement entre les nobles,

Philippe-le-Bel fut le premier qui convoqua une assemblée des trois états ou ordres du royaume, en la forme qui a été usitée depuis.

La premiere assemblée d’états généraux fut convoquée par des lettres du 23 Mars 1301, que l’on comptoit à Rome 1302. Ces lettres ne subsistent plus, mais on les connoît par la réponse qu’y fit le clergé ; elles furent adressées aux barons, archevêques, évêques & prélats ; aux églises cathédrales, universités, chapitres & colléges, pour y faire trouver leurs députés ; & aux baillis royaux, pour faire élire par les villes des syndics ou procureurs.

Ce fut à la persuasion d’Enguerrand de Marigny son ministre, que Philippe-le-Bel assembla de cette maniere les trois états, pour parvenir plus facilement à lever sur les peuples une imposition pour soûtenir la guerre de Flandres, qui continuoit toûjours, & pour fournir aux autres dépenses de Philippe-le-Bel, qui étoient excessives. Le roi cherchoit par-là à appaiser le peuple & à gagner les esprits, sur-tout à cause de ses démélés avec Boniface VIII. qui commençoient à éclater.

Ces états tinrent plusieurs séances, depuis la mi-Carême jusqu’au 10 Avril qu’ils s’assemblerent dans l’église de Notre-Dame de Paris. Philippe-le-Bel y assista en personne : Pierre Flotte son chancelier y exposa les desseins que le roi avoit de réprimer plusieurs abus, notamment les entreprises de Boniface VIII. sur le temporel du royaume. Il représenta aussi les dépenses que le roi étoit obligé de faire pour la guerre, & les secours qu’il attendoit de ses sujets ; que si l’état populaire ne contribuoit pas en personne au service militaire, il devoit fournir des secours d’argent. Le roi demanda lui-même que chaque corps formât sa résolution, & la déclarât publiquement par forme de conseil.

La noblesse s’étant retirée pour délibérer, & ayant ensuite repris ses places, assura le roi de la résolution ou elle étoit de le servir de sa personne & de ses biens.

Les ecclésiastiques demanderent un délai pour délibérer amplement, ce qui leur fut refusé. Cependant sur les interrogations que le roi leur fit lui-même, savoir de qui ils tenoient leurs biens temporels, & de ce qu’ils pensoient être obligés de faire en conséquence, ils reconnurent qu’ils tenoient leurs biens de lui & de sa couronne ; qu’ils devoient défendre sa personne, ses enfans & ses proches, & la liberté du royaume ; qu’ils s’y étoient engagés par leur serment, en prenant possession des grands fiefs dont la plûpart étoient revêtus ; & que les autres y étoient obligés par fidélité. Ils demanderent en même tems permission de se rendre auprès du pape pour un concile, ce qui leur fut encore refusé, vû que la bulle d’indication annonçoit que c’étoit pour procéder contre le roi.

Le tiers-état s’expliqua par une requête qu’il présenta à genoux, suppliant le roi de conserver la franchise du royaume. Quelques auteurs mal informés ont cru que c’étoit une distinction humiliante pour le tiers-état, de présenter ainsi ses cahiers à genoux ; mais ils n’ont pas fait attention que c’étoit autrefois l’usage observé par les trois ordres du royaume : & en effet ils présenterent ainsi leurs cahiers en 1576. La preuve de ce fait se trouve fol 19 v°. 47 v°. 58 v°. d’un recueil sommaire des propositions & conclusions