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res, ou de quelqu’autre passion extrèmement vive : hors de-là, ils seroient déplacés : cependant nous avons des exemples de panégyriques d’orateurs fameux, qui entrent en matiere dès la premiere phrase, & pour ainsi dire, dès le premier mot, sans qu’aucune passion l’exige : tel est celui de Gorgias, qui commence son éloge de la ville & du peuple d’Elis par ces mots : Elis, beata civitas : & celui de saint Grégoire de Nazianze, à la loüange de saint Athanase : Athanasium laudans virtutem laudabo. Les exordes brusques & précipités étoient plus conformes au goût & aux mœurs des Grecs qu’au goût & aux mœurs des Romains.

Les qualités de l’exorde sont, 1°. la convenance, c’est-à-dire le rapport & la liaison qu’il doit avoir avec le reste du discours, auquel il doit être comme la partie est au tout, ensorte qu’il n’en puisse être détaché ni adapté dans une occasion différente, & peut-être contraire. Les anciens orateurs paroissent avoir été peu scrupuleux sur cette regle ; quelquefois leurs exordes n’ont rien de commun avec le reste du discours, si ce n’est qu’ils sont placés à la tête de leurs harangues.

2°. La modestie ou une pudeur ingénue, qui intéresse merveilleusement les auditeurs en faveur de l’orateur, & lui attire leur bienveillance. C’est ce que Cicéron loue le plus dans l’orateur Crassus : fuit enim in L. Crasso pudor quidam, qui non modo non obesset ejus orationi, sed étiam probitatis commendatione prodesset ; & il raconte de lui-même, qu’au commencement de ses harangues, un trouble involontaire agitoit son esprit, & qu’un tremblement universel s’emparoit de ses membres. Un air simple & naturel porte un caractere de candeur, qui fraie le chemin à la persuasion.

3°. La briéveté, c’est-à-dire qu’un exorde ne doit point être trop étendu, & encore moins chargé de détails inutiles ; ce n’est pas le lieu d’approfondir la matiere, ni de se livrer à l’amplification : il ne doit pas non plus être tiré de trop loin, tels que ceux de ces deux plaidoyers burlesques de la comédie des plaideurs, où les prétendus avocats remontent jusqu’au cahos, à la naissance du monde, & à la fondation des empires, pour parler du vol d’un chapon.

4°. Enfin le style doit en être périodique, noble, grave, mesuré ; c’est la partie du discours qui demande à être la plus travaillée, parce qu’étant écoutée la premiere, elle est aussi plus exposée à la critique. Aussi Cicéron a-t-il dit : vestibula aditusque ad causam facias illustres.

L’exorde est regardé par tous les Rhéteurs, comme une partie essentielle du discours ; cependant autrefois devant l’aréopage, on parloit sans exorde, sans mouvemens, sans péroraison, selon Julius Pollux ; mais il faut se souvenir que le tribunal de l’aréopage, si respectable d’ailleurs, n’étoit pas un juge sans appel sur le bon goût & sur les regles de l’éloquence. Voyez Aréopage. (G)

EXOSTOSE, ἐξώστωσις, (Med.) est une tumeur extraordinaire qui vient à un os, & qui est fréquente dans les maladies vénériennes. Voyez Os.

Les scorbutiques & les écroüelleux sont aussi fort sujets aux exostoses. Pour guérir les exostoses, il faut combattre la cause intérieure par les spécifiques, ou par les remedes généraux, s’il n’y a point de spécifique connu contre le principe de la maladie. Les causes d’exostose peuvent être détruites, & le vice local subsister ; on le voit journellement dans le gonflement des os par le virus vénérien. Il y a des exostoses qui suppurent, & dont la situation permet qu’on en fasse l’ouverture & l’extirpation : on peut employer dans ce cas tous les moyens dont on a parlé dans l’article de la carie & de l’exfoliation. Voyez ces mots.

En effet, le traité des maladies des os contient beaucoup d’observations importantes sur la nature, les causes & les moyens curatifs de l’exostose en particulier. L’auteur décrit ainsi la maniere d’attaquer les exostoses qui n’ont point fondu par le traitement de la vérole, ou de toute autre cause interne.

On doit découvrir la tumeur de l’os en faisant une incision cruciale ; on emporte une partie des angles, on panse à sec, on leve l’appareil le lendemain, & on se sert du trépan perforatif ; on fait plusieurs trous profonds & assez près les uns des autres, observant qu’ils occupent toute la tumeur qu’on veut emporter. On se sert ensuite d’un ciseau ou d’une gouge bien coupante, & d’un maillet de plomb avec lequel on frappe modérément, pour couper tout ce qui a été percé par le perforatif. Ces trous affoiblissent l’os ; il se coupe plus facilement, sans courir aucun risque de l’éclater en le coupant avec le ciseau. C’est un moyen dont se servent les Menuisiers pour éviter que leur bois ne s’éclate en travaillant avec le ciseau.

Si la tumeur est considérable, & qu’il faille répéter les coups de ciseau ou de maillet, on peut remettre le reste de l’opération au lendemain, parce que les coups réitérés pourroient ébranler la moelle au point de causer par la suite un abcès. Quand on a tout enlevé, on panse l’os comme il a été dit ; & pour que l’exfoliation soit prompte, on applique dessus la dissolution du mercure faite par l’eau-forte ou par l’esprit de nitre ; c’est un des meilleurs remedes qu’on puisse employer : on ne préfere le feu que lorsque la carie est profonde, qu’elle est avec vermoulure ou excroissance de chair considérable. (Y)

EXOTÉRIQUE & ESOTÉRIQUE, adj. (Hist. de la Philosophie.) Le premier de ces mots signifie extérieur, le second, intérieur.

Les anciens philosophes avoient une double doctrine ; l’une externe, publique ou exotérique ; l’autre interne, secrete ou ésotérique. La premiere s’enseignoit ouvertement à tout le monde, la seconde étoit reservée pour un petit nombre de disciples choisis. Ce n’étoit pas differens points de doctrine que l’on enseignoit en public ou en particulier, c’étoit les mêmes sujets, mais traités différemment, selon que l’on parloit devant la multitude ou devant les disciples choisis. Les philosophes des tems postérieurs composerent quelques ouvrages sur la doctrine cachée de leurs prédécesseurs, mais ces traités ne sont point parvenus jusqu’à nous ; Eunape, dans la vie de Porphyre, lui en attribue un, & Diogene de Laërce en cite un de Zacynthe. Voyez Eclectisme.

Les Grecs appelloient du même nom les secrets des écoles & ceux des mysteres, & les philosophes n’étoient guere moins circonspects à révéler les premiers, qu’on l’étoit à communiquer les seconds. La plûpart des modernes ont regardé cet usage comme un plaisir ridicule, fondé sur le mystere, ou comme une petitesse d’esprit qui cherchoit à tromper. Des motifs si bas ne furent pas ceux des philosophes : cette méthode venoit originairement des Egyptiens, de qui les Grecs l’emprunterent ; & les uns & les autres ne s’en servirent que dans la vûe du bien public, quoiqu’elle ait pû par la suite des tems dégénérer en petitesse.

Il n’est pas difficile de prouver que cette méthode venoit des Egyptiens, c’est d’eux que les Grecs tirerent toute leur science & leur sagesse. Hérodote, Diodore de Sicile, Strabon, Plutarque, tous les anciens auteurs en un mot, sont d’accord sur ce point : tous nous assûrent que les prêtres égyptiens, qui étoient les dépositaires des sciences, avoient une double philosophie ; l’une secrete & sacrée, l’autre publique & vulgaire.

Pour juger quel pouvoit être le but de cette conduite,