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tionnaires on fait exorcisme & conjuration synonymes ; cependant la conjuration n’est proprement qu’une partie de l’exorcisme, & l’exorcisme est la cérémonie entiere, la conjuration n’étant que la formule par laquelle on ordonne au démon de sortir.

Les exorcismes sont en usage dans l’église romaine ; on en peut distinguer d’ordinaires, qui ont lieu dans les cérémonies du baptême & dans la bénédiction de l’eau qui se fait tous les dimanches ; & d’extraordinaires qu’on fait sur les démoniaques, contre les maladies, les insectes, les orages, &c.

Si l’on en croit l’historien Josephe, Salomon avoit composé des charmes & des exorcismes très-puissans contre les maladies ; mais le silence de l’Ecriture sur cet article, a plus de poids que l’autorité de Josephe. Ce qu’il y a de certain, c’est que l’usage des exorcismes est aussi ancien que l’Eglise. Jesus-Christ même, ses apôtres & ses disciples, & depuis les évêques, les prêtres & les exorcistes, l’ont pratiqué dans tous les siecles. M. Thiers, dans son traité des superstitions, rapporte différentes formules de ces exorcismes, & cite en particulier l’exemple de S. Grat, qui par le moyen des exorcismes, obtint de Dieu qu’il n’y auroit plus de rats dans le pays d’Aost, ni à trois milles à la ronde. Le même auteur pense qu’on peut encore aujourd’hui se servir des exorcismes pour une bonne fin, contre les rats, les souris, les chenilles, les sauterelles, le tonnerre, &c. mais il assûre que pour cela il faut avoir le caractere requis & approuvé par l’Eglise ; se servir des mots & des prieres qu’elle autorise, sans quoi ces exorcismes sont des abus & des superstitions.

Dans les tems où les épreuves avoient lieu, les exorcismes y entroient pour quelque chose ; on exorcisoit l’eau froide ou bouillante, le fer chaud, le pain, &c. avec lesquels devoit se faire l’épreuve. Ces pratiques étoient fréquentes en Angleterre du tems d’Edouard III. le pain ainsi exorcisé se nommoit corsned. Lendinbrock rapporte des exemples d’exorcismes avec le pain d’orge, d’autres avec le pain & le fromage qu’on faisoit avaler à l’accuse tenu de se justifier. On croit que c’est de-là qu’est venue cette imprécation populaire : que ce morceau m’étrangle, si je ne dis pas la vérité. Voyez Épreuve, Ordalie, &c. Dictionn. de Trévoux & Chambers.

On trouve aussi dans Delrio, disquisit. magic. les formules des exorcismes usitées en pareil cas. (G)

Exorcisme magique, (Divinat.) formule dont se servent les magiciens ou sorciers pour conjurer, c’est-à-dire attirer ou chasser les esprits avec lesquels ils prétendent avoir commerce.

Nous tirerons tout ce qu’on va lire sur cette matiere du mémoire de M. Blanchard de l’académie des Belles-Lettres, concernant les exorcismes magiques, & qu’on trouve dans le XII. vol. des mémoires de cette académie.

« Agrippa, dit cet académicien, rapporte trois manieres de conjurer les esprits ; la premiere naturelle, qui se fait par le moyen des mixtes avec lesquels ils ont de la sympathie ; la seconde qui est céleste, se fait par le moyen des corps célestes, dont on employe la vertu pour attirer ou pour chasser les esprits ; la troisieme qui est divine & la plus forte, se fait par le moyen des noms divins & des cérémonies sacrées : cette derniere conjuration ne lie pas seulement les esprits, mais aussi toutes sortes de créatures, les déluges, les tempêtes, les incendies, les serpens, les maladies épidémiques, &c.

» Il y a outre cela des fumigations propres pour attirer les esprits, & il y en a d’autres pour les chasser ; il faut savoir les mêler & s’en servir à-propos. Les anciens magiciens ont crû que l’homme en vertu des sacremens qui lui sont propres, peut

commander aux esprits, & les contraindre de lui obéir ; parce qu’en usant de ces instrumens sacrés, il tient la place des dieux, & est en quelque sorte élevé à leur ordre. Comme ces instrumens sacrés viennent des dieux qui les donnent aux hommes, il ne faut pas s’étonner s’ils ont une vertu qui les éleve au-dessus des esprits. Le livret intitulé, enchiridion Leonis papa, a servi à gâter les esprits, quoiqu’il n’y ait rien que de bon, dit M. Blanchard, dans les oraisons qu’il contient ; mais la grande quantité de croix dont il est plein, marque de la superstition ».

L’auteur ajoûte qu’il a lû dans cet ouvrage une conjuration pour se mettre à couvert de toutes les armes offensives, qui lui paroît illicite, parce qu’elle confond témérairement les noms adorables de Dieu, & les instrumens sacrés de la passion de Jesus-Christ, avec les noms des saints & les instrumens de leur martyre… On trouve dans le même livret des paroles attribuées à Adam, lorsqu’il descendit aux lymbes, & l’on prétend que tout homme qui les porte écrites sur lui, n’a rien à craindre dans quelque danger qu’il se trouve ; on assûre même qu’en les mettant sur un bœuf ou sur un mouton, le boucher ne pourra les tuer.

Parmi les croix qui doivent accompagner les exorcismes magiques, il doit y en avoir de rouges, faites avec du sang de l’index ou du pouce, à certains tems de la Lune, à certaines heures de la nuit, à des jours marqués ; d’autres noires avec du charbon beni : toutes pratiques superstitieuses & condamnables. Il en est de même de la verveine, & de l’usage de la cueillir, en se tournant du côté de l’orient, en appuyant la main gauche sur l’herbe, en prononçant certaines paroles. Les cercles sont encore d’un grand usage dans toutes ces opérations : on les trace avec de la craie exorcisée : ils sont employés pour renfermer les esprits, afin qu’ils ne nuisent ni à l’opérateur, ni aux assistans. Tout le monde sait l’analogie de la figure circulaire avec l’unité qui est le symbole parfait de Dieu. La différence de ces cercles consiste dans les noms & les figures qui y sont ou différentes, ou indifféremment placées, & ce changement a ses raisons dans les proportions numériques.

On ne rapportera de tous ces exorcismes, que celui qui se fait sur le livre magique ; piece suffisante pour faire juger que ces extravagances sont l’ouvrage de quelques théologiens ignorans & impies. En voici la formule :

« Je vous conjure tous, & je vous commande à tous tant que vous êtes d’esprits, de recevoir ce livre qui vous est dédié, afin qu’autant de fois qu’on le lira, vous ayez à paroître sans délai, & en forme humaine douce & agréable, à ceux qui liront ce livre, en telle façon qu’il leur plaira, soit en général, soit en particulier, c’est-à-dire un ou plusieurs, au desir du lecteur, sans nuire ni faire aucun mal à qui que ce soit de la compagnie, ni au corps, ni à l’ame, ni à moi qui le commande ; qu’aussi-tôt que la lecture en sera faite, vous ayez à comparoître, ou plusieurs, ou un en particulier, au choix de l’exorcisant, sans bruit, sans éclat, rupture, tonnere ni scandale, sans illusion, mensonge ou fascination : je vous en conjure par tous les noms de Dieu qui sont écrits dans ce livre. Que si celui ou ceux qui seront appellés, ne peuvent apparoître, ils seront tenus d’en envoyer d’autres, qui diront leur nom, & pourront faire leur même fonction & exercer leur pouvoir, & qui feront un serment solemnel & inviolable d’obéir aux ordres du lecteur incontinent & aussi-tôt qu’il voudra, sans qu’il ait besoin d’autre secours, aide, ou force, & autorité. Venez donc au nom de toute la cour céleste, & obéissez au nom du pere, du fils,