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Or dès que dans ces écoles nous sommes certains par ce mélange heureux, de pouvoir parer au dégoût qu’inspireroit naturellement une carriere toûjours hérissée d’épines, au milieu desquelles on n’appercevroit pas la moindre fleur, il ne nous reste qu’à chercher les moyens d’y mettre un ordre, & de donner à ces établissemens une forme qui en assûre à jamais l’utilité.

Académie. Architecture. Je ne prétends point que nous devrions nécessairement imiter dans la construction de nos académies la splendeur de ces lieux, autrefois appellés gymnases, ou les magnifiques éphébées que l’on remarquoit au milieu des portiques des thermes, & qui étoient destinés aux différens exercices, qui faisoient parmi les anciens l’occupation & l’amusement de la jeunesse. Si les maisons qui en tiennent lieu parmi nous, étoient des édifices stables & perpétuellement consacrés à ce seul objet, sans doute qu’elles annonceroient au-dehors & à l’intérieur la grandeur du souverain-dont le nom en décore l’entrée. Quand on considere cependant l’immensité dont devroient être ces colléges militaires, eu égard au terrein que demandent des maneges couverts & découverts (voyez Manege), des écuries pour les chevaux sains & pour les chevaux malades (voyez Ecurie), des fenils & des greniers pour les approvisionnemens de toute espece, des cours différentes pour y construire des forges (voyez Forges), des travails (voyez Travail), & pour y déposer les fumiers ; des appartemens pour les écuyers, pour les officiers & pour les domestiques de l’hôtel, pour les cuisines, les offices & les salles à manger, des salles d’exercices, des chapelles, des logemens multipliés & appropriés aux divers âges des pensionnaires, à leur état, à leur faculté, à leur suite plus ou moins nombreuse, &c. on est étonné que l’on ait imaginé pouvoir rassembler & réunir toutes ces vûes dans des lieux souvent si resserrés, qu’à peine certains particuliers pourroient-ils y établir & y fixer leur domicile. Il seroit par conséquent à souhaiter que les villes, qui ont l’avantage de renfermer dans leur sein de semblables écoles, fussent tenues de construire & d’entretenir des bâtimens convenables, & toûjours affectés à ces colléges ; non-seulement les éleves y seroient plus décemment, mais l’état en général se ressentiroit des sommes qu’une foule d’étrangers, également attirés par l’attention avec laquelle ces sortes d’établissemens seroient alors soûtenus & envisagés, & par la réputation de ceux qui en seroient les chefs, répandroient dans le royaume ; & chacune de ces villes en particulier seroit par leur abord & par l’affluence des académistes nationnaux, amplement dédommagée des dépenses dans lesquelles elles auroient été primordialement engagées. Je conviens que ces premiers frais seroient au-dessus des forces des villes de la plûpart des provinces ; mais de pareils projets ne peuvent avoir leur exécution que dans de grandes villes, soit parce qu’il est plus facile d’y fixer d’excellens maîtres en tout genre, soit parce qu’elles trouvent plus aisément en elles-mêmes, & dans leur propre opulence, les ressources nécessaires. Le vaste édifice élevé depuis peu par la ville de Strasbourg, & le plan de celui dont la ville d’Angers se propose de jetter incessamment les fondemens, nous en offrent une preuve. D’ailleurs si telle étoit leur impuissance que cette loi leur fût réellement à charge, & qu’elles en souffrissent véritablement, on pourroit exiger une sorte de contribution des villes & des provinces que leur proximité mettroit en quelque façon dans le district de ces académies ; car dès que ces mêmes provinces profiteroient de ces écoles, il est juste qu’elles y concourent proportionnément à leurs facultés.

Chefs d’académie. L’opinion de ceux qui limitent les devoirs des chefs d’académie dans l’enceinte étroite de

leur manege, seroit-elle un préjugé dont ils ne pourroient revenir ? Pluvinel & la Broue ne pensoient pas ainsi ; ils étendoient ces devoirs à tout, & se recrioient avec raison l’un & l’autre sur la difficulté de rencontrer des hommes d’un mérite assez éminent pour les remplir.

Exercices du corps. Ne fournir à de jeunes gens dans le manege que des instructions qui n’ont pour tout fondement qu’une aveugle routine, & ne les faire agir que conséquemment à ce que nous pratiquons nous-mêmes simplement par habitude, c’est leur proposer notre ignorance pour modele, c’est leur faire envisager l’art par des difficultés qu’il leur sera impossible de surmonter, & que des maîtres qui enseignent ainsi, n’ont jamais eux-mêmes vaincues. L’exécution est d’une nécessité indispensable, j’en conviens ; nos écoles doivent être pourvûes de chevaux de toute espece, susceptibles de tous les mouvemens possibles, dressés à toutes sortes d’airs ; il est de plus important que nous leur suggérions plus ou moins de finesse, que nous les approprions à la force & à l’avancement de nos éleves, que nous les divisions en différentes classes, pour ainsi dire, afin de faire insensiblement parcourir à nos disciples cette sorte d’échelle, s’il m’est permis d’user de cette expression, qui marque les différentes gradations des lumieres & des connoissances : or croira-t-on que toutes ces attentions puissent avoir lieu par le secours de la pratique seule, & imaginera-t-on sérieusement qu’il soit permis de former une liaison, un enchaînement utile de principes, dès qu’on n’en est pas éclairé soi-même ? Que résulteroit-il d’une école dont le chef ne rapporteroit d’autre titre de son savoir, qu’une expérience toûjours stérile, dès qu’elle est informe, ou dont tout le mérite consisteroit dans le frivole avantage, ou plûtôt dans la honte réelle d’avoir inutilement vieilli ; d’un côté ce même maître deviendroit avec raison le juste objet du mépris des personnes instruites ; & de l’autre les académistes doüés de la faculté de se mouvoir, & non de refléchir & d’observer, seroient à-peu-près à cet égard semblables à ces machines & à ces automates qui n’agissent que sans choix & par ressort. Saint Evremont dit, que les docteurs de morale s’en tiennent ordinairement à la théorie, & descendent rarement à la pratique. Ne pourroit-on pas appliquer le sens contraire de cette vérité à la plûpart des écuyers ? Il est cependant certain que sans la théorie, sans des préceptes dont le cheval atteste sur le champ, dès qu’ils sont mis en usage, la certitude & l’évidence par son obéissance & par sa soûmission ; il est absolument impossible de montrer, d’applanir, & d’abréger les routes de la science, d’assûrer les pas des éleves, & de créer des sujets. Des leçons particulieres sur les principes de l’art, données chaque jour de travail, à une heure fixe, aux commençans, par les maîtres chargés de les initier, aux disciples plus avancés, par le chef même de l’école, seroient donc essentielles & faciliteroient l’intelligence des maximes, qu’on ne peut entierement développer dans le cours de l’exercice. Mais bien loin de satisfaire la curiosité des académistes, on blâme communément, dans la plus grande partie d’entre eux, le desir loüable de s’instruire ; quels que soient les vains dehors dont on se pare, on a toûjours un sentiment intime & secret de son insuffisance : on redoute donc les épreuves, on élude jusqu’aux moindres questions ; parce qu’elles sont la pierre de touche de la capacité, & qu’elles ne peuvent que provoquer la chûte du masque dont on se couvre.

Les courses de tête & de bague sont sans doute utiles. Ces sortes de jeux militaires, qui de tous ceux que l’on pratiquoit autrefois sont les seuls en usage parmi nous, donnent à de jeunes gens de l’adresse, de la vigueur, & excitent en eux une noble émula-