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ordre dans aucun cas. Cette méthode, dit la Nouë dans ses disc. milit. « donne un grand fondement à la victoire ». C’est par-là que du tems de cet auteur, la cavalerie allemande avoit la réputation d’être la meilleure de l’Europe. Les rangs de cette cavalerie ne paroissoient pas seulement serrés en marchant & en combattant, « ains collés les uns avec les autres, ce qui procede, dit ce savant officier, d’une ordinaire accoûtumance qu’ils ont de se tenir toûjours en corps, ayant appris, tant par connoissance naturelle que par épreuve, que le fort emporte toûjours le foible. Et ce qui rend bon témoignage, ajoûte-t-il, qu’ils ne faillent guere en ceci, est que quand ils sont rompus, ils se retirent & fuyent sans se separer, étant tous joints ensemble ». Discours milit. du seigneur de la Nouë, pag. 310.

Terminons cet article par quelques réflexions de M. le chevalier de Folard, sur l’exercice des troupes pendant la paix.

« Dans la paix, la paresse, la négligence, & le relâchement des lois militaires, sont d’une très grande conséquence pour un état ; car la guerre survenant, on en reconnoît aussi-tôt le mal, & ce mal est sans remede. Ce ne sont plus les mêmes soldats ni les mêmes officiers. Les peines & les travaux leur deviennent insupportables ; ils ne voyent rien qui ne leur paroisse nouveau, & ne connoissent rien des pratiques des camps & des armées. Si la paix n’a pas été assez longue pour faire oublier aux vieux soldats qu’ils vivoient autrefois selon les lois d’une discipline reglée & exacte, on peut leur en rappeller la pratique par des moyens doux & faciles ; mais si la paix a parcouru un espace de plusieurs années, ces vieux soldats, qui sont l’ame & l’esprit des corps où ils ont vieilli, seront morts ou renvoyés comme inutiles, obligés de mendier leur pain, à moins qu’ils n’entrent aux invalides : mais cette ressource ne se trouve pas dans tous les royaumes, & en France même elle n’est pas trop certaine : souvent une infirmité feinte, aidée de la faveur, y usurpe une place qui n’a été destinée qu’aux infirmités réelles : les autres, qui ne sont venus que vers la fin d’une guerre, auront oublié dans la paix, ce qu’ils auront acquis d’expérience dans les exercices militaires, & entreront en campagne très-corrompus & très-ignorans. Les vieux officiers seront retirés ou placés ; s’il en reste quelques-uns dans les corps, ils passeront (si la corruption ne les a pas gagnés) pour des radoteurs & des censeurs incommodes parmi cette foule de jeunes débauchés & de fainéans sans application & sans expérience. Ceux qui aimeront leur métier sans l’avoir pratiqué, pour être venus après la guerre, seront en si petit nombre, qu’ils se verront sans pouvoir, sans autorité, inconnus à la cour ; & ce sera une espece de prodige s’ils peuvent échapper aux railleries & à l’envie des autres, dont la conduite est différente de la leur. Je ne donne pas ceci, dit M. de Folard, comme une chose qui peut arriver, mais comme un fait d’expérience journaliere… Mais faut-il beaucoup de tems pour corrompre la discipline militaire & les mœurs des soldats & des officiers ? Bien des gens, sans aucune expérience du métier, se l’imaginent : ils se trompent ; un quartier d’hyver suffit… Les délices de Capoue sont célebres dans l’histoire : ce ne fut pourtant qu’une affaire de cinq mois d’hyver ; & ces cinq mois firent plus de tort aux Carthaginois, que la bataille de Cannes n’en avoit fait aux Romains ».

Pour éviter ces inconvéniens, M. de Folard propose « de former plusieurs camps en été, où les officiers généraux exerceroient eux-mêmes leurs troupes dans les grandes manœuvres de la guerre,

c’est-à-dire dans la Tactique, que les soldats non plus que les officiers, ne peuvent apprendre que par l’exercice. On formeroit par cette méthode des soldats expérimentés, d’excellens officiers, & des généraux capables de commander les armées ». Comment. sur Polybe, vol. II. p. 286. & suiv. C’est ce qu’on observe en France depuis quelques années, & dans quelques autres états de l’Europe. Moyen excellent pour entretenir les troupes dans l’habitude des travaux militaires, & pour faire acquérir aux officiers supérieurs l’usage du service & du commandement. (Q).

A ces réflexions générales de M. le Blond sur les exercices, M. d’Authville a cru pouvoir ajoûter les observations particulieres qui suivent.

Pour concevoir tout ce qu’on doit enseigner & apprendre aux exercices, on doit se représenter les troupes suivant leurs différentes especes & dans tous les différens cas où elles peuvent se trouver : on réunit ces cas sous quatre points de vûe.

1°. Lorsqu’elles sont sous les armes pour s’instruire de ce qu’elles doivent faire dans toutes les circonstances de la guerre.

2°. Lorsque pour les endurcir & les fortifier, on les fait ou travailler ou marcher.

3°. Lorsque loin de l’ennemi elles sont sous les armes, soit en marche, soit pour passer des revûes, soit pour faire des exercices de parade, pour rendre des honneurs, faire des réjoüissances, ou assister à des exécutions.

4°. Lorsqu’en présence de l’ennemi, elles attendent l’occasion de le combattre avec avantage, le cherchent, l’attaquent, le poursuivent, ou font retraite.

Pour parvenir à rendre le soldat capable de remplir tous ces objets, les exercices doivent être très-fréquens ; c’est le plus sûr moyen d’établir & maintenir dans les armées une bonne discipline.

Il faut s’appliquer à entretenir les anciens soldats dans l’usage de tout ce qu’ils ont appris & de tout ce qu’ils ont fait pendant la guerre, & les instruire sur les nouvelles découvertes faites au profit des armes, qui sont ordinairement le fruit & la suite des progrès faits à la guerre ; on doit avec encore plus de soin former les nouveaux soldats, & les exercer plus souvent dans tout ce que les uns & les autres sont obligés de savoir.

Les exercices se renferment en cinq parties principales :

1°. Maniement des armes propres à chaque espece de troupes, on y doit comprendre l’art de monter à cheval. Voyez Maniement des Armes, & tout ce qui a rapport à lÉquitation.

2°. La marche, mouvement par lequel une troupe, soit à pié soit à cheval, se porte avec ordre enavant ou de tout autre côté. Voyez Mouvement.

3°. Les évolutions : on entend par-là tous les changemens de figure qu’on fait subir à une troupe. Voy. Evolution.

4°. Le travail, qui consiste dans la construction des retranchemens, forts, ou d’autres ouvrages faits pour l’attaque & défense des places & des camps, & dans le transport des choses qui y sont nécessaires.

5°. La connoissance des signaux, tels que les divers sons de la trompette, des tambours, &c. Voyez Signaux.

L’ordonnance du 6 Mai, quant aux exercices de l’infanterie, & celle du 22 Juin 1755, en ce qui concerne la cavalerie, sont si étendues qu’il seroit impossible de les rapporter ici. Avant que de fixer ce qui doit être exécuté dans les exercices, le ministere de la guerre a cru qu’il devoit consulter chaque corps de troupes en particulier ; pour cet effet il a été adressé à tous les régimens de cavalerie & d’in-