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camp, &c. Ils portoient aussi leurs armes qu’ils n’abandonnoient jamais, & dont ils n’étoient pas plus embarrassés que de leurs mains, dit l’auteur que nous venons de citer. Ces différens fardeaux étoient si considérables, que l’historien Josephe dit, dans le second livre de la guerre des Juifs contre les Romains, qu’il y avoit peu de différence entre les chevaux chargés & les soldats romains.

Les travaux des siéges étoient fort pénibles, & ils regardoient uniquement les soldats.

« Durant la paix on leur faisoit faire des chemins, construire des édifices, & bâtir même des villes entieres, si l’on en croit Dion Cassius, qui l’assûre de la ville de Lyon. Il en est ainsi de la ville de Doesbourg dans les Pays-Bas, & dans la Grande-Bretagne, de cette muraille dont il y a encore des restes, & d’un grand nombre de chemins magnifiques ». Nieuport, coût. des Rom.

L’exercice des armes se faisoit tous les jours, en temps de paix & de guerre, par tous les soldats, excepté les vétérans. On les accoûtumoit à faire vingt milles de chemin d’un pas ordinaire en cinq heures d’été, & d’un pas plus grand, vingt-quatre milles dans le même tems. On les exerçoit aussi à courir, afin que dans l’occasion ils pûssent tomber sur l’ennemi avec plus d’impétuosité, aller à la découverte, &c. à sauter, afin de pouvoir franchir les fossés qui pourroient se rencontrer dans les marches & les passages difficiles : on leur apprenoit enfin à nager. « On n’a pas toûjours des ponts pour passer des rivieres : souvent une armée est forcée de les traverser à la nage, soit en poursuivant l’ennemi, soit en se retirant : souvent la fonte des neiges, ou des orages subits, font enfler les torrens, & faute de savoir nager, on voit multiplier les dangers. Aussi les anciens Romains, formés à la guerre par la guerre même, & par des périls continuels, avoient-ils choisi pour leur champ de Mars un lieu voisin du Tibre : la jeunesse portoit dans ce fleuve la sueur & la poussiere de ses exercices, & se délassoit en nageant de la fatigue de la course » Vegece, trad. de M. de Sigrais.

Pour apprendre à frapper l’ennemi, on les exerçoit à donner plusieurs coups à un pieu. « Chaque soldat plantoit son pieu de façon qu’il tînt fortement, & qu’il eût six piés hors de terre : c’est contre cet ennemi qu’il s’exerçoit, tantôt lui portant son coup au visage ou à la tête, tantôt l’attaquant par les flancs, & quelquefois se mettant en posture de lui couper les jarets, avançant, reculant & tâtant le pieu avec toute la vigueur & l’adresse que les combats demandent. Les maîtres d’armes avoient sur-tout attention que les soldats portassent leurs coups sans se découvrir ». Vegece, même trad. que ci-dessus.

On peut voir dans cet auteur le détail de tous les autres exercices des soldats romains : ils étoient d’un usage général ; les capitaines & les généraux mêmes ne s’en dispensoient pas dans les occasions importantes. Plutarque rapporte, dans la vie de Marius, que ce général desirant d’être nommé pour faire la guerre à Mithridate, « combattant contre la débilité de sa vieillesse, ne failloit point à se trouver tous les jours au champ de Mars, & à s’y exerciter avec les jeunes hommes, montrant son corps encore dispos & leger pour manier toutes sortes d’armes, & piquer chevaux ». Trad. d’Amyot.

Ce même auteur rapporte aussi que Pompée, dans la guerre civile contre César, exerçoit lui-même ses troupes, « & qu’il travailloit autant sa personne, que s’il eût été à la fleur de son âge ; ce qui étoit de grande efficace pour assûrer & encourager les autres de voir le grand Pompée, âgé de cinquante-huit ans, combattre à pié tout armé, puis à che-

val dégaigner son épée sans difficulté, pendant que

son cheval couroit à bride-abattue, & puis la rengaigner tout aussi facilement ; lancer le javelot, non-seulement avec dextérité, de donner à point nommé, mais aussi avec force, de l’envoyer si loin que peu de jeunes gens le pouvoient passer ». Vie de Pompée d’Amyot.

Il est aisé de sentir les avantages qui résultoient de l’usage continuel de ces exercices. Les corps étoient en état de soûtenir les fatigues extraordinaires de la guerre, & il arrivoit, comme le dit Josephe, que chez les Romains la guerre étoit une méditation, & la paix un exercice.

L’auteur de l’histoire de la milice françoise dit, avec beaucoup de vraissemblance, qu’il y a lieu de conjecturer que dès l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules il y avoit exercice pour les soldats. « Il est certain, dit-il, qu’on faisoit des revûes dans ce qu’on appelloit le champ de Mars, & qui fut depuis appelle le champ de Mai. On y examinoit avec soin les armes des soldats, pour voir si elles étoient en état ; & cette attention marque qu’on ne négligeoit pas les autres choses qui pouvoient contribuer aux succès de la guerre.

On commence à voir sous la troisieme race, dès le tems de Philippe I. ce que j’ai appellé, dit toûjours le P. Daniel, l’exercice général (c’est celui qui consiste à accoûtumer les soldats au travail & à la fatigue). Ce fut vers ce tems-là que commencerent les tournois, où les seigneurs & les gentilshommes s’exerçoient à bien manier un cheval, à se tenir fermes sur leurs étriers, à bien dresser un coup de lance, à se servir du bouclier, à porter & à parer les coups d’épées, à s’accoûtumer à supporter le faix du harnois, & aux autres choses utiles & nécessaires pour bien combattre dans les armées : mais pour ce qui est de l’exercice particulier, qui consiste dans les divers mouvemens qu’on fait faire aux, troupes dans un combat, je n’ai rien trouvé d’écrit sur ce sujet jusqu’au tems de Louis XI ». Histoire de la milice françoise, tom. I. pag. 376.

« Nous remarquons aujourd’hui, dit l’illustre & profond auteur des considérations sur les causes de la grandeur des Romains, que nos armées périssent beaucoup par le travail immodéré des soldats ; & cependant c’étoit par un travail immense que les Romains se conservoient. La raison en est je croi, dit cet auteur, que leurs fatigues étoient continuelles ; au lieu que nos soldats passent sans cesse d’un travail extrème à une extrème oisiveté, ce qui est la chose du monde la plus propre à les faire périr. Nous n’avons plus une juste idée des exercices du corps. Un homme qui s’y applique trop nous paroît méprisable, par la raison que la plûpart de ces exercices n’ont plus d’autre objet que les agrémens ; au lieu que chez les anciens, tous, jusqu’à la danse, faisoit partie de l’Art militaire ». Considérations sur la grandeur des Romains, &c.

L’invention de la poudre à canon a été la cause de la cessation totale, pour ainsi dire, de tous les exercices propres à endurcir le corps & à le fortifier pour supporter les grands travaux. Avant cette époque, la force particuliere du corps caractérisoit le héros ; on ne négligeoit rien pour se mettre en état de se servir d’armes fort pesantes. « On voit encore aujourd’hui dans l’abbaye de Roncevaux les massues de Roland & d’Olivier, deux de ces preux si fameux dans nos romanciers du tems de Charlemagne. Cette espece de massue est un bâton gros comme le bras d’un homme ordinaire ; il est long de deux piés & demi ; il a un gros anneau à un bout, pour y attacher un chaînon ou un cordon fort, afin que cette arme n’échappât pas de la main ; & à l’autre bout du bâton sont trois chaînons, auxquels est at-