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la privation de quelque droit dont on joüissoit auparavant dans la communion ou dans la société dont on est membre. Cette peine renferme ou la privation des choses saintes, ou celle des choses communes, ou celle des unes & des autres tout à-la-fois ; elle est imposée par une sentence humaine, pour quelque faute ou réelle ou apparente, avec espérance néanmoins pour le coupable de rentrer dans l’usage des choses dont cette sentence l’a privé. Voyez Selden, liv. I. ch. vij. de synedriis.

Les Hébreux avoient deux sortes d’excommunications, l’excommunication majeure, & l’excommunication mineure : la premiere éloignoit l’excommunié de la société de tous les hommes qui composoient l’Eglise : la seconde le séparoit seulement d’une partie de cette société, c’est-à-dire de tous ceux de la synagogue ; ensorte que personne ne pouvoit s’asseoir auprès de lui plus près qu’à la distance de quatre coudées, excepté sa femme & ses enfans. Il ne pouvoit être pris pour composer le nombre de dix personnes nécessaire pour terminer certaines affaires. L’excommunié n’étoit compté pour rien, & ne pouvoit ni boire ni manger avec les autres. Il paroît pourtant par le talmud, que l’excommunication n’excluoit pas les excommuniés de la célébration des fêtes, ni de l’entrée du temple, ni des autres cérémonies de religion. Les repas qui se faisoient dans le temple aux fêtes solennelles, n’étoient pas du nombre de ceux dont les excommuniés étoient exclus ; le talmud ne met entr’eux & les autres que cette distinction, que les excommuniés n’entroient au temple que par le côté gauche, & sortoient par le côté droit ; au lieu que les autres entroient par le côté droit, & sortoient par le côté gauche : mais peut-être cette distinction ne tomboit-elle que sur ceux qui étoient frappés de l’excommunication mineure.

Quoi qu’il en soit, les docteurs juifs comptent jusqu’à vingt-quatre causes d’excommunication, dont quelques-unes paroissent très-legeres, & d’autres ridicules ; telles que de garder chez soi une chose nuisible ; telles qu’un chien qui mord les passans, sacrifier sans avoir éprouvé son couteau en présence d’un sage ou d’un maître en Israël, &c. L’excommunication encourue pour ces causes, est précedée par la censure qui se fait d’abord en secret ; mais si celle-ci n’opere rien, & que le coupable ne se corrige pas, la maison du jugement, c’est-à-dire l’assemblée des juges, lui dénonce avec menaces qu’il ait à se corriger : on rend ensuite la censure publique dans quatre sabbats, où l’on proclame le nom du coupable & la nature de sa faute ; & s’il demeure incorrigible, on l’excommunie par une sentence conçûe en ces termes : qu’un tel soit dans la séparation ou dans l’excommunication, ou qu’un tel soit séparé.

On subissoit la sentence d’excommunication ou durant la veille ou dans le sommeil. Les juges ou l’assemblée, ou même les particuliers, avoient droit d’excommunier, pourvû qu’il y eût une des 24 causes dont nous avons parlé, & qu’on eût préalablement averti celui qu’on excommunioit, qu’il eût à se corriger ; mais dans la regle ordinaire c’étoit la maison du jugement ou la cour de justice qui portoit la sentence de l’excommunication solennelle. Un particulier pouvoit en excommunier un autre ; il pouvoit pareillement s’excommunier lui-même, comme, par exemple, ceux dont il est parlé dans les Actes, ch. xxiij. v. 12. & dans le second livre d’Esdras, ch. x. v. 29. qui s’engagent eux-mêmes, sous peine d’excommunication, les uns à observer la loi de Dieu, les autres à se saisir de Paul mort ou vif. Les Juifs lançoient quelquefois l’excommunication contre les bêtes, & les rabbins enseignent qu’elle fait son effet jusque sur les chiens.

L’excommunication qui arrivoit pendant le som-

meil, étoit lorsqu’un homme voyoit en songe les juges

qui par une sentence juridique l’excommunioient, ou même un particulier qui l’excommunioit ; alors il se tenoit pour véritablement excommunié, parce que, selon les docteurs, il se pouvoit faire que Dieu, ou par sa volonté, ou par quelqu’un de ses ministres, l’eût fait excommunier. Les effets de cette excommunication sont tous les mêmes que ceux de l’excommunication juridique, qui se fait pendant la veille.

Si l’excommunié frappé d’une excommunication mineure, n’obtenoit pas son absolution dans un mois après l’avoir encourue, on la renouvelloit encore pour l’espace d’un mois ; & si après ce terme expiré il ne cherchoit point à se faire absoudre, on le soûmettoit à l’excommunication majeure, & alors tout commerce lui étoit interdit avec les autres ; il ne pouvoit ni étudier ni enseigner, ni donner ni prendre à loüage. Il étoit réduit à-peu-près dans l’état de ceux auxquels les anciens Romains interdisoient l’eau & le feu. Il pouvoit seulement recevoir sa nourriture d’un petit nombre de personnes ; & ceux qui avoient quelque commerce avec lui durant le tems de son excommunication, étoient soûmis aux mêmes peines ou à la même excommunication, selon la sentence des juges. Quelquefois même les biens de l’excommunié étoient confisqués & employés à des usages sacrés, par une sorte d’excommunication nommée cherem, dont nous allons dire un mot. Si quelqu’un mouroit dans l’excommunication, on ne faisoit point de deuil pour lui, & l’on marquoit, par ordre de la justice, le lieu de sa sépulture, ou d’une grosse pierre ou d’un amas de pierres, comme pour signifier qu’il avoit mérité d’être lapide.

Quelques critiques ont distingué chez les Juifs trois sortes d’excommunications, exprimées par ces trois termes, nidui, cherem, & schammata. Le premier marque l’excommunication mineure, le second la majeure, & le troisieme signifie une excommunication au-dessus de la majeure, à laquelle on veut qu’ait été attachée la peine de mort, & dont personne ne pouvoit absoudre. L’excommunication nidui dure 30 jours. Le cherem est une espece de réaggravation de la premiere ; il chasse l’homme de la synagogue, & le prive de tout commerce civil. Enfin le schammata se publie au son de 400 trompettes, & ôte toute espérance de retour à la synagogue. On croit que le maranatha dont parle S. Paul, est la même chose que le schammata ; mais Selden prétend que ces trois termes sont souvent synonymes, & qu’à proprement parler les Hébreux n’ont jamais eu que deux sortes d’excommunications, la mineure & la majeure.

Les rabbins tirent la maniere & le droit de leurs excommunications, de la maniere dont Débora & Barac maudissent Meroz, homme qui, selon ces docteurs, n’assista pas les Israélites. Voici ce qu’on en lit dans le Livre des juges, ch. v. v. 23. Maudissez Meroz, dit l’ange du Seigneur : maudissez ceux qui s’asseyeront auprès de lui, parce qu’ils ne sont pas venus au secours du Seigneur avec les forts. Les rabbins voyent évidemment, à ce qu’ils prétendent, dans ce passage, 1° les malédictions que l’on prononce contre les excommuniés ; 2° celles qui tombent sur les personnes qui s’asseyent auprès d’eux plus près qu’à la distance de quatre coudées ; 3° la déclaration publique du crime de l’excommunié, comme on dit dans le texte cité, que Meroz n’est pas venu à la guerre du Seigneur ; 4° enfin la publication de la sentence à son de trompe, comme Barac excommunia, dit-on, Meroz au son de 400 trompettes : mais toutes ces cérémonies sont récentes.

Ils croyent encore que le patriarche Hénoch est l’auteur de la formule de la grande excommunication dont ils se servent ençore à-présent, & qu’elle leur