Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce blasphème, fait dire aux témoins que Naboth a béni Dieu & le roi : viri diabolici dixerunt contra eum testimonium coram multitudine ; benedixit Naboth Deum & regem. Reg. III. cap. xxj. v. 10. & 13. Le mot de bénir est employé dans le même sens au livre de Job, c. j. v. 5.

C’est ainsi que dans ces paroles de Virgile, auri sacra fames, se prend par euphémisme pour execrabilis. Tout homme condamné au supplice pour ses mauvaises actions, étoit appellé sacer, dévoüé ; de-là, par extension autant que par euphémisme, sacer signifie souvent méchant, exécrable : homo sacer is est quem populus judicavit, ex quo quivis homo malus atque improbus sacer appellari solet, parce que tout méchant mérite d’être dévoüé, sacrifié à la justice.

Cicéron n’a garde de dire au sénat que les domestiques de Milon tuerent Clodius : ils firent, dit-il, ce que tout maître eût voulu que ses esclaves eussent fait en pareille occasion. Cic. pro Milone, n. 29.

La mer Noire, sujette à de fréquens naufrages, & dont les bords étoient habités par des hommes extrèmement féroces, étoit appellée Pont-Euxin, c’est-à-dire mer hospitaliere, mer favorable à ses hôtes, ἔξινος, hospitalis. C’est ce qui fait dire à Ovide que le nom de cette mer est un nom menteur :

Quem tenet Euxini mendax cognomine littus.

Ovid. Trist. l. V. el. x. v. 13.

Malgré les mauvaises qualités des objets, les anciens qui personnifioient tout, leur donnoient quelquefois des noms flateurs, comme pour se les rendre favorables, ou pour se faire un bon présage ; ainsi c’étoit par euphémisme & par superstition, que ceux qui alloient à la mer que nous appellons aujourd’hui mer Noire, la nommoient mer hospitaliere, c’est-à-dire mer qui ne nous sera point funeste, où nous serons reçûs favorablement, quoiqu’elle soit communément pour les autres une mer funeste.

Les trois furies, Alecto, Tisiphone & Mégere, ont été appellées Euménides, Εὐμενεῖς, c’est-à-dire douces, bienfaisantes, benevolæ. On leur a donné ce nom par euphémisme, pour se les rendre favorables. Je sai bien qu’il y a des auteurs qui prétendent que ce nom leur fut donné quand elles eurent cessé de tourmenter Oreste ; mais cette aventure d’Oreste est remplie de tant de circonstances fabuleuses, que j’aime mieux croire que les furies étoient appellées Euménides avant qu’Oreste fût venu au monde : c’est ainsi qu’on traite tous les jours de bonnes les personnes les plus aigres & les plus difficiles, dont on veut appaiser l’emportement ou obtenir quelque bienfait.

Il y a bien des occasions où nous nous servons aussi de cette figure pour écarter des idées desagréables, comme quand nous disons le maître des hautes-œuvres, ou que nous donnons le nom de velours-maurienne à une sorte de gros drap qu’on fait en Maurienne, contrée de Savoie, & dont les pauvres Savoyards sont habillés. Il y a aussi une grosse étoffe de fil qu’on honore du nom de damas de Caux.

Nous disons aussi Dieu vous assiste, Dieu vous bénisse, plûtôt que de dire, je n’ai rien à vous donner.

Souvent pour congédier quelqu’un on lui dit : voilà qui est bien, je vous remercie, au lieu de lui dire, allez-vous-en. Souvent ces façons de parler, courage, tout ira bien, cela ne va pas si mal, &c. sont autant d’euphémismes.

Il y a, sur-tout en Medecine, certains euphémismes qui sont devenus si familiers qu’ils ne peuvent plus servir de voile, les personnes polies ont recours à d’autres façons de parler (F)

EUPHONIE, s. f. terme de Grammaire, prononciation facile. Ce mot est grec, εὐφωνία, R R. εὖ, bene, & φωνή, vox ; ainsi euphonie vaut autant que voix bonne, c’est-à-dire prononciation facile, agréable.

Cette facilité de prononciation dont il s’agit ici, vient de la facilité du méchanisme des organes de la parole. Par exemple, on auroit de la peine à prononcer ma ame, ma épée ; on prononce plus aisément mon ame, mon épée. De même on dit par euphonie, mon amie, & même m’amie, au lieu de ma amie.

C’est par la raison de cette facilité dans la prononciation, que pour éviter la peine que cause l’hiatus ou bâillement toutes les fois qu’un mot finit par une voyelle, & que celui qui suit commence par une voyelle, on insere entre ces deux voyelles certaines consonnes qui mettent plus de liaison, & par conséquent plus de facilité dans le jeu des organes de la parole. Ces consonnes sont appellées lettres euphoniques, parce que tout leur service ne consiste qu’à faciliter la prononciation. Ces mots prosum, profui, profueram, &c. sont composés de la préposition pro & du verbe sum ; mais si le verbe vient à commencer par une voyelle, on insere une lettre euphonique entre la préposition & le verbe ; le d est alors cette lettre euphonique, pro-d-est, pro-d-eram, pro-d-ero, &c. Ce service des lettres euphoniques est en usage dans toutes les langues, parce qu’il est une suite naturelle du méchanisme des organes de la parole.

C’est par la même cause que l’on dit m’aime-t-il ? dira-t-on ? Le t est la lettre euphonique ; il doit être entre deux divisions, & non entre une division & une apostrophe, parce qu’il n’y a point de lettre mangée : mais il faût écrire va-t’en, parce que le t est-là le singulier de vous. On dit va-t’en, comme on dit allez-vous en, allons-nous en. V. Apostrophe.

On est un abregé de homme ; ainsi comme on dit l’homme, on dit aussi l’on, si l’on veut : l interrompt le bâillement que causeroit la rencontre de deux voyelles, i, o, si on, &c.

S’il y a des occasions où il semble que l’euphonie fasse aller contre l’analogie grammaticale, on doit se souvenir de cette réflexion de Cicéron, que l’usage nous autorise à préférer l’euphonie à l’exactitude rigoureuse des regles : impetratum est à consuetudine, ut peccare suavitatis causâ liceret. Cic. Orat. c. xcvij. (F)

EUPHORBE, s. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante de la classe des tithymales ; elle est ainsi nommée, dit-on, d’Euphorbe, medecin du roi Juba, & frere du célebre Antoine Musa, medecin d’Auguste ; mais Saumaise a prouvé que cette plante étoit connue sous ce nom long-tems avant le medecin du roi de Lybie.

Voici ses caracteres : sa fleur, son fruit & son lait ressemblent à ceux du tithymale ; sa forme est anguleuse, de même que dans le cierge ; elle est ornée de piquans, & presque dénuée de feuilles. Boerhaave & Miller en comptent dix à douze especes, & ce dernier auteur y joint la maniere de les cultiver ; mais nous ne parlerons que de l’espece d’où découle la gomme dite euphorbe. Elle s’appelle euphorbium antiquorum verum dans Commellin, hort. med. Amst. 23. & par les Malais scadidacalli. Hort. malab. vol. II. tab. lxxxj. &c.

C’est un arbrisseau qui vient dans les terres sablonneuses, pierreuses & stériles des pays chauds, à la hauteur de dix piés & davantage. Sa racine est grosse, se plonge perpendiculairement dans la terre, & jette des fibres de tous côtés ; elle est ligneuse intérieurement, couverte d’une écorce brune en-dehors, & d’un blanc de lait en dedans. Sa tige qui est simple, a trois ou quatre angles ; elle est comme articulée & entrecoupée de différens nœuds, & les angles sont garnis d’épines roides, pointues, droites, brunes & luisantes, placées deux à deux. Elle est composée d’une écorce épaisse, verte-brune, & d’une pulpe humide, blanchâtre, pleine de lait, & sans partie ligneuse. Elle se partage en plusieurs branches