lorsque les causes paroissent cachées : cette conduite est sans doute bien imitable pour tous ceux qui écrivent en ce genre.
Mais la reserve que l’on doit avoir à entreprendre de rendre raison des phénomènes singuliers que présente la nature, doit-elle être tellement générale qu’elle tienne toûjours l’imagination enchaînée ? La foiblesse de la vûe n’est pas une raison pour ne point faire usage de ses yeux ; lors même qu’on est réduit à marcher à tâtons, on arrive quelquefois à son but. Ainsi il semble qu’il doive être permis de tenter des explications : quelque peu d’espérance qu’on ait de le faire avec succès, il suffit de n’en être pas absolument privé, & qu’il puisse être utile de réussir ; ce qui a lieu, ce semble, lorsqu’on donne pour fondement aux explications des principes reçûs, qu’elles ne sont que des conséquences qu’on en tire, & qu’on peut faire une application avantageuse de ces conséquences. C’est dans cette idée que l’on croit être autorisé à proposer ici un sentiment sur la cause du changement qui survient à la voix des enfans mâles, dès qu’ils atteignent l’âge de puberté, & par conséquent sur la raison pour laquelle les femmes & les eunuques n’éprouvent point ce changement.
Ce sentiment a pour base l’opinion de M. Ferrein sur le méchanisme de la voix. Ce célebre anatomiste l’attribue, comme on sait, aux vibrations des bords de la glotte, semblables à celles qui s’observent dans les instrumens à cordes : ce sentiment est admis par plusieurs physiologistes, & a droit de figurer en effet parmi les hypothèses ingénieuses & plausibles ou au moins soûtenables.
Il en est, selon ce système, des bords de la glotte, que l’auteur appelle rubans, parce que ceux-là sont comme des cordes plates ; il en est de ces bord comme des cordes dans les instrumens, où elles sont les moyens du son : puisque ces rubans produisent des sons plus hauts ou plus bas, à proportion qu’ils sont plus ou moins tendus par les organes propres à cet effet, qu’ils sont par conséquent susceptibles de vibrations plus ou moins nombreuses. Ces sons doivent aussi être aigus ou graves, tout étant égal, à proportion que ces rubans sont gros ou grêles, de même que les instrumens à cordes produisent des sons aigus ou graves, selon la différente grosseur des cordes dont ils sont montés.
Cela supposé, nous considérerons, 1°. que le fluide séminal qui est préparé dans les testicules à l’âge de puberté, n’est pas destiné seulement à servir pour la génération, hors de l’individu qui le fournit, mais qu’il a aussi une très-grande utilité, entant qu’il est repompé de ses reservoirs par les vaisseaux absorbans, & que porté dans la masse des humeurs, il s’unit à celle avec laquelle il a le plus d’analogie, qui est sans doute la lymphe nourriciere, à en juger par les effets simultanés ; qu’il donne à cette lymphe, que l’on pourroit plûtôt appeller l’essence des humeurs, la propriété de fournir à l’entretien, à la réparation des élémens du corps, de ses fibres premieres, d’une maniere plus solide, en fournissant des molécules plus denses que celles qu’elles remplacent. 2°. Que ce fluide rend ainsi la texture de toutes les parties plus forte, plus compacte ; ce qui établit dès-lors la différence de constitution entre les deux sexes. 3°. Que cette augmentation de forces dans les fibres qui composent le corps des mâles, est une cause surajoûtée à celle qui produit l’augmentation de forces commune aux deux sexes, entant que celle-ci n’est que l’effet du simple accroissement, par laquelle cause surajoûtée se forme une sorte de rigidité dans les fibres des hommes en puberté, qui leur devient propre. 4°. Que c’est cette rigidité, tout étant égal, qui rend les hommes plus robustes, plus vigoureux en général que les femmes,
plus susceptibles qu’elles de supporter la fatigue, la violence même des exercices, des travaux du corps, &c. Ne s’ensuit-il pas de-là que cette rigidité s’établissant proportionnément dans toutes les parties du corps, dans l’état naturel, ne doit rendre nulle part les changemens qui s’ensuivent, aussi sensibles que dans les organes dont la moindre altération fait appercevoir plus aisément que dans les autres, une différence marquée dans l’exercice de leurs fonctions ? ces organes sont, sans contredit, les bords de la glotte, relativement aux modifications des sons qu’ils ont la faculté de produire par leurs vibrations causées par le frotement des colonnes ou filets d’air qui agissent comme un archet, in modum plectri, sur ces bords membraneux & flexibles : ceux-ci devenus plus épais, plus forts, par la cause surajoûtée qui est commune à tous les organes dans les mâles, c’est-à-dire l’addition du fluide séminal à la lymphe nourriciere, doivent être ébranlés plus difficilement, & n’être susceptibles, cæteris paribus, que d’un moindre nombre de vibrations, mais plus étendues : par conséquent les sons qu’elles produisent doivent être moins aigus, & ensuite devenir graves de plus en plus, en raison inverse de l’augmentation d’épaisseur & de rigidité dans les fibres qui composent les cordes vocales : ce qu’il falloit établir pour l’explication dont il s’agit. Delà s’ensuit celle de tout ce qui a rapport au phénomène principal, qui est le changement de la voix, dans le tems où la semence commence à se séparer dans les testicules.
On se rend aisément raison de ce que les eunuques n’éprouvent pas ce changement à cet âge ; ils suivent, à tous égards, le sort des femmes : le corps de ceux-là, comme de celles-ci, ne se fortifie que par la cause unique de l’accroissement qui leur est commune ; ils restent par conséquent débiles, foibles comme elles ; avec une voix grêle, comme elles, ils sont privés, comme elles, de la marque ostensible de virilité, qui est la barbe, pour l’accroissement de laquelle il faut apparemment un fluide nourricier plus plastique, tel que celui qui est préparé dans le corps des mâles, en un plus grand degré de force systaltique dans les solides en général ; force qui produit cet effet au menton & d’autres proportionnés, dans toutes les parties du corps, tels qu’une plus grande vigueur dans les muscles, plus d’activité dans les organes des secrétions, &c.
Ces conjectures sur les causes du défaut de barbe, semblent d’autant plus fondées, que l’on voit les hommes d’un tempérament délicat & comme féminin, n’avoir presque point ou très-peu de cette sorte de poil ; & au contraire, les femmes vigoureuses & robustes avoir au menton, sur la levre supérieure sur-tout, des poils assez longs & assez forts pour qu’on puisse leur donner aussi le nom de barbe ; car on doit observer, à ce sujet, que toutes les femmes ont du poil sur ces parties du visage, comme sur plusieurs autres parties du corps ; mais que ce poil est ordinairement follet & peu sensible, sur-tout aux blondes ; que les hommes ont aussi du poil sur presque toutes les parties du corps, mais plus fort, tout étant égal, que celui des femmes ; qu’il en est cependant de celles-ci qui sont plus velues que certains hommes, dont il en est qui ont très-peu de poil, les eunuques sur-tout, à proportion qu’ils sont d’un tempérament plus délicat, plus efféminé, & vice versà. C’est de cette observation qu’est né le proverbe, vir pilosus & fortis & luxuriosus : voilà par conséquent encore une sorte de correspondance entre les poils & les parties de la génération ; d’où on peut tirer une conséquence avantageuse à l’explication donnée : d’où on est toûjours plus en droit de conclure que la différente complexion semble faire toute la différence dans les deux sexes ; & que