Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mentation du mouvement qui leur survient, ils sont réellement distincts de cette cause.

50°. Que les corps ou les objets qui occasionnent nos sensations par le mouvement, n’étant eux-mêmes ni le mouvement ni la cause du mouvement, ils ne sont pas la cause primitive de nos sensations ; car ce n’est que par le mouvement qu’ils sont la cause conditionnelle de nos sensations.

51°. Que notre ame ou notre être sensitif ne pouvant se causer lui-même ses sensations, & que les corps ou les objets de nos sensations n’en étant pas eux-mêmes la cause primitive, cette premiere cause est réellement distincte de notre être sensitif, & des objets de nos sensations.

52°. Que nous sommes assûrés par nos sensations, que ces sensations elles-mêmes, tous les effets & tous les changemens qui arrivent dans les corps, sont produits par une premiere cause ; que c’est l’action de cette même cause qui vivifie tous les corps vivans, qui constitue essentiellement toutes les formes actives, sensitives, & intellectuelles ; que la forme essentielle & active de l’homme, entant qu’animal raisonnable, n’est point une dépendance du corps & de l’ame dont il est composé ; car ces deux substances ne peuvent agir, par elles-mêmes, l’une sur l’autre. Ainsi on ne doit point chercher dans le corps ni dans l’ame, ni dans le composé de l’un & de l’autre, la forme constitutive de l’homme moral, c’est-à-dire du principe actif de son intelligence, de sa force d’intention, de sa liberté, de ses déterminations morales, qui le distinguent essentiellement des bêtes. Ces attributs résultent de l’acte même du premier principe de toute intelligence & de toute activité ; de l’acte de l’Etre suprème qui agit sur l’ame, qui l’affecte par des sensations, qui exécute ses volontés décisives, & qui éleve l’homme à un degré d’intelligence & de force d’intention, par lesquelles il peut suspendre ses décisions, & dans lesquelles consiste sa liberté. Cette premiere cause, & son action qui est une création continuelle, nous est évidemment indiquée ; mais la maniere dont elle agit sur nous, les rapports intimes entre cette action & notre ame, sont inaccessibles à nos lumieres naturelles ; parce que l’ame ne connoît pas intuitivement le principe actif de ses sensations, ni le principe passif de sa faculté de sentir : elle n’apperçoit sensiblement en elle d’autre cause de ses volontés & de ses déterminations que ses sensations mêmes.

53°. Que la cause primitive des formes actives sensitives, intellectuelles, est elle-même une cause puissante, intelligente & directrice ; car les formes actives qui consistent dans des mouvemens & dans des arrangemens de causes corporelles ou instrumentales, d’où résultent des effets déterminés, sont elles-mêmes des actes de puissance, d’intelligence, de volonté directrice. Les forme, sensitives dans lesquelles consistent toutes les différentes sensations de lumiere, de couleurs, de bruit, de douleur, de plaisir, d’étendue, &c. ces formes par lesquelles toutes ces sensations ont entr’elles des différences essentielles, par lesquelles les êtres sensitifs les distinguent nécessairement les unes des autres, & par lesquelles ils sont eux-mêmes assujettis à ces sensations, sont des effets produits dans les êtres sensitifs par des actes de puissance, d’intelligence, & de volonté décisive, puisque les sensations sont les effets de ces actes, qui par les sensations mêmes qu’ils nous causent, sont en nous la source & le principe de toute notre intelligence, de toutes nos déterminations, & de toutes nos actions volontaires. Les formes intellectuelles dans lesquelles consistent les liaisons, les rapports & les combinaisons des idées, & par lesquelles nous pouvons déduire de nos idées actuelles d’autres idées ou d’autres connoissances, consis-

tent essentiellement aussi dans des actes de puissance,

d’intelligence, & de volonté décisive ; puisque ces actes sont eux-mêmes la cause constitutive, efficiente, & directrice de nos connoissances, de notre raison, de nos intentions, de notre conduite, de nos décisions. La réalité de la puissance, de l’intelligence, des intentions ou des causes finales, nous est connue évidemment par les actes de puissance, d’intelligence, d’intentions & de déterminations éclairées que nous observons en nous-mêmes ; ainsi on ne peut contester cette réalité. On ne peut pas contester non plus que ces actes ne soient produits en nous par une cause distincte de nous-mêmes : or une cause dont les actes produisent & constituent les actes mêmes de notre puissance, de notre intelligence, est nécessairement elle-même puissante & intelligente ; & ce qu’elle exécute avec intelligence, est de même nécessairement décidé avec connoissance & avec intention. Nous ne pouvons donc nous refuser à l’évidence de ces vérités que nous observons en nous-mêmes, & qui nous prouvent une puissance, une intelligence, & des intentions décisives dans tout ce que cette premiere cause exécute en nous & hors de nous.

54°. Que chaque homme est assûré par la connoissance intime des fonctions de son ame, que tous les hommes & les autres animaux qui agissent & se dirigent avec perception & discernement, ont des sensations & un être qui a la propriété de sentir ; & que cette propriété rend tous les êtres sensitifs susceptibles des mêmes fonctions naturelles purement relatives à cette même propriété ; puisque dans les êtres sensitifs, la propriété de sentir n’est autre chose que la faculté passive de recevoir des sensations, & que toutes les fonctions naturelles, relatives à cette faculté, s’exercent par les sensations mêmes. Des êtres réellement différens par leur essence, peuvent avoir des propriétés communes. Par exemple, la substantialité, la durée, l’individualité, la mobilité, &c. sont communs à des êtres de différente nature. Ainsi la propriété de sentir n’indique point que l’être sensitif des hommes & l’être sensitif des bêtes soient de même nature. Nos lumieres naturelles ne s’étendent pas jusqu’à l’essence des êtres. Nous ne pouvons en distinguer la diversité, que par des propriétés qui s’excluent essentiellement les unes les autres. Nos connoissances ne peuvent s’étendre plus loin que par la foi. En effet j’apperçois dans les animaux l’exercice des mêmes fonctions sensitives que je reconnois en moi-même ; ces fonctions en général se reduisent à huit, au discernement, à la remémoration, aux relations, aux indications, aux abstractions, aux déductions, aux inductions, & aux passions. Il est évident que les animaux discernent, qu’ils se ressouviennent de ce qu’ils ont appris par leurs sensations ; qu’ils apperçoivent les relations ou les rapports qu’il y a entr’eux & les objets qui les intéressent, qui leur sont avantageux ou qui leur sont nuisibles : qu’ils ont des sensations indicatives qui les assûrent de l’existence des choses qu’ils n’apperçoivent pas par l’usage actuel des sens ; que la seule sensation, par exemple, d’un bruit qui les inquiete, leur indique sûrement une cause qui leur occasionne cette sensation ; qu’ils ne peuvent avoir qu’une idée abstraite générale de cette cause quand ils ne l’apperçoivent pas ; que par conséquent ils ont des idées abstraites : que leurs sensations actuelles les conduisent encore par déduction ou raisonnement tacite à d’autres connoissances ; que, par exemple, un animal juge par la grandeur d’une ouverture & par la grosseur de son corps s’il peut passer par cette ouverture. On ne peut pas non plus douter des inductions que les animaux tirent de leurs sensations, & d’où resultent les déterminations de leurs volontés : on apperçoit aussi qu’ils aiment,