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traire il s’échauffe, il en peut dissoudre davantage. L’expérience qui suit me paroît démontrer évidemment la vérité de ce que je viens d’avancer.

» Vers le commencement du mois d’Août de l’année derniere, le tems étant fort serein, je pris une bouteille ronde de verre blanc : je la bouchai exactement ; elle ne contenoit que de l’air, dont la chaleur étoit ce jour là au vingtieme degré du thermometre de M. de Reaumur : je laissai cette bouteille sur ma fenêtre, & quelques jours après j’observai le matin, que le froid de la nuit ayant fait descendre mon thermometre au quinzieme degré, ce froid avoit déja fait précipiter une partie de l’eau dissoute dans l’air renfermé dans ma bouteille. Cette eau étoit ramassée en petites gouttelettes, à la partie supérieure, qui étant la plus exposée, devoit se refroidir la premiere. Après cette premiere observation, je transportai ma bouteille sur la plate-forme de notre observatoire ; je l’y fixai sur le porte-lunette de la machine parallactique ; je mis au même endroit un thermometre : visitant ma bouteille tous les matins, j’observai qu’au 15e degré, il se formoit une petite rosée dans l’intérieur & à la partie supérieure de la bouteille, & que cette rosée étoit d’autant plus considérable, que le froid de la nuit avoit fait descendre le thermometre plus bas ; enfin vers le sixieme degré, la rosée qui se formoit dans l’intérieur de la bouteille étoit si considérable, que j’ai cru pouvoir en conclure, qu’une grande partie du poids de l’air, au moins en été, doit être attribuée à l’eau qu’il tient en dissolution. Lorsque la chaleur étoit assez forte, l’air contenu dans la bouteille dissolvoit dans le jour l’eau qui s’étoit précipitée pendant la nuit.

» Voici une autre expérience qui, dans le fond, ne differe point de la précédente, & qui demande beaucoup moins de tems. Je prends un jour d’été un globe de verre blanc[1] ; je bouche exactement son ouverture[2] ; examinant ce globe avec toute l’attention possible, on n’y peut pas découvrir une seule gouttelette d’eau. Ce globe étant ainsi préparé, je le place sur un grand gobelet plein d’eau refroidie presqu’au terme de la glace ; de maniere qu’une partie du globe soit contiguë à l’eau : après avoir laissé les choses dans cet état pendant trois ou quatre minutes, je retire le globe, & ayant essuyé la partie mouillée, qui étoit contiguë à l’eau, on la trouve couverte intérieurement de petites gouttes d’eau : cette eau se redissout à mesure que le globe se réchauffe ; ensuite laissant échauffer l’eau contenue dans le gobelet, & y exposant le globe à diverses reprises, on observe que moins l’eau du gobelet est froide, moins est grande la quantité d’eau qui se précipite, & qu’enfin au-dessus d’un certain degré, il ne se précipite plus rien. Dans cette expérience, je mets seulement une partie du globe dans l’eau froide, afin de concentrer dans un petit espace l’eau qui se précipite : si on plongeoit le globe tout entier dans l’eau froide, l’eau qui se précipiteroit ne seroit pas en assez grande quantité pour être bien

sensiblement étendue sur toute la surface intérieure du globe.

» On pourroit penser que, quoique je ne me serve que de globes tout neufs, l’air auroit cependant pû y porter des particules d’eau qui, étendues sur toute la surface du globe, ne s’appercevroient pas, & ne deviendroient sensibles dans cette expérience, que parce que l’inégalité de chaleur des parois du globe les feroit se ramasser dans l’endroit le plus froid. Cette idée pourroit faire douter, si l’expérience dont il s’agit est effectivement démonstrative ; c’est pourquoi j’ai cru qu’il ne seroit pas inutile de prévénir cette objection par l’expérience qui suit. J’ai pris un globe de verre, bouché comme je l’ai dit ci-dessus : dans l’expérience dont il s’agit, l’eau refroidie au huitieme degré, produisoit une précipitation bien sensible sur la partie du globe qui lui étoit contiguë. Au dixieme degré, il ne se faisoit aucune précipitation : l’eau étant froide à ce degré, j’ai exposé ce globe au soleil. Il est certain que dans ce dernier cas, la chaleur des parties du globe qui étoit hors de l’eau, surpassoit plus la chaleur de la partie du globe qui étoit contiguë à l’eau, que lorsque le globe étoit dans la chambre, & que l’eau étoit froide au huitieme degré : cependant il ne se faisoit aucune précipitation ; d’où il résulte, que l’inégalité de chaleur des différentes parties du globe, ne suffit pas pour produire cet effet ; que par conséquent les gouttelettes d’eau, qui dans cette expérience se précipitent sur la partie du globe contiguë à l’eau froide, n’étoient point auparavant étendues sur toute la surface intérieure du globe ; & en un mot, que cette expérience démontre effectivement ce que nous avions dessein de prouver.

» Nous avons démontré dans l’article précédent, que l’eau se soûtient dans l’air, dans l’état d’une véritable dissolution[3]. Maintenant si l’on pese attentivement toutes les circonstances des deux expériences que je viens de rapporter, on sera obligé de convenir qu’elles démontrent tout ce que nous avons avancé au commencement de cet article. Nous devons encore remarquer, que de même que les sels en se crystallisant, retiennent une partie de l’eau qui les tenoit en dissolution ; ainsi l’eau qui se précipite, retient une partie de l’air qui la tenoit en dissolution : de même que plusieurs sels privés de leur eau de crystallisation, la reprennent s’ils sont exposés à l’air ; ainsi l’eau dépouillée, s’il est permis de parler ainsi, de son air de crystallisation, le reprend bien-tôt après : d’où il suit qu’il y a une parfaite analogie entre la dissolution des sels dans l’eau, & celle de l’eau dans l’air ; de sorte que le physicien, qui pourra développer le méchanisme de la dissolution des sels dans l’eau, expliquera en même tems le méchanisme de l’élevation & de la suspension de l’eau dans l’air, & donnera, pour ainsi dire, la clé de l’explication entiere & exacte de la formation de plusieurs météores ».

Quoique les deux articles de mon mémoire, que je viens de transcrire, paroissent suffisans pour établir ce que je m’étois proposé, que l’eau se soûtient dans l’air dans l’état de dissolution, & que cette dissolution a les mêmes propriétés que celle des sels dans l’eau : je crois cependant qu’il ne sera pas inutile d’ajoûter le troisieme article, sur la maniere de déterminer les causes qui font varier la quantité d’eau que l’air tient en dissolution, parce que les

    passage de l’état de véritable dissolution d’un corps dans un menstrue à l’état de simple division méchanique ». Des corps qui de l’état de dissolution ont passé à celui de division méchanique, les uns tombent au fond de la liqueur, d’autres se ramassent à sa surface, d’autres y restent suspendus.

  1. « Je me sers de globes tout neufs, afin qu’on ne puisse pas soupçonner qu’on y ait mis de l’eau. Plus ce globe est grand, plus le succès de cette expérience est manifeste, la surface des globes n’augmentant pas dans la même raison que la quantité d’air qu’ils contiennent. »
  2. « Je mets premierement sur l’ouverture un morceau de carte, ensuite plusieurs couches de cire fondue ; par-dessus la cire je mets du lut ordinaire bien étendu & bien séché sans aucune crevasse : enfin je couvre le tout d’un linge enduit d’un lut fait avec le blanc d’œuf & la chaux ».
  3. « Outre l’eau véritablement dissoute, l’air contient souvent de l’eau surabondante qui trouble sa transparence, & forme les nuées & les brouillards. On voit bien qu’il ne s’agit ici que de la premiere ».