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Faisons en particulier quelques réflexions sur chacune de ces matieres.

Il y a long-tems que les Physiciens ont remarqué que l’eau faisoit la matiere principale de l’évaporation. Pour se convaincre de cette vérité, il a suffi de remarquer que les corps liquides ou humides étoient les plus susceptibles d’évaporation, & que les particules qui s’élevent par cette voie de presque tous les corps, même solides, reçûes & amassées dans des vaisseaux convenables, se présentoient sous une forme liquide. Or l’eau étant la base de tous les liquides de la nature, il étoit facile d’en déduire que les corps perdoient principalement de l’eau par l’évaporation. Il n’y a pas plus de difficulté par rapport à l’air : ce fluide étant contenu abondamment dans toute sorte d’eau, il est clair qu’il doit s’elever avec elle dans l’atmosphere. Nous verrons dans la suite que cet air rendu élastique par la chaleur, contribue à accélérer l’évaporation de l’eau.

Par l’évaporation il s’éleve aussi dans l’atmosphere des molécules de nature terreuse : mais ces molécules sont par elles-mêmes incapables de s’élever dans l’air ; elles n’acquierent cette propriété, qu’autant qu’elles contractent une union intime avec des molécules d’eau. Ainsi, par exemple, les terres pures, animales ou végétales, bien loin d’être susceptibles d’évaporation, résistent au contraire à la plus grande violence du feu : ces mêmes terres combinées avec l’eau, dans les huiles, les sels acides, les sels alkalis volatils, deviennent propres à s’élever avec elle dans l’atmosphere.

Ce que je viens de dire des molécules terreuses, se peut appliquer au principe inflammable. Les molécules de ce corps principe sont à la vérité très-déliées, & s’elevent dans l’air avec une extrème facilité, lorsqu’elles sont libres & dégagées : mais il est tellement fixé dans tous les corps, où il n’est pas combiné avec l’eau, qu’il ne s’y trouve jamais libre & propre à s’élever dans l’atmosphere par une évaporation proprement dite ; on le trouvera, au contraire, constamment combiné avec l’eau dans tous les corps, d’où il peut s’élever dans l’air par cette voie. Mais quoique le principe inflammable ne s’éleve point seul dans l’atmosphere par une évaporation proprement dite ; cependant combiné d’une certaine maniere avec les molécules terreuses & l’eau, il rend ces corps susceptibles d’une évaporation beaucoup plus rapide. C’est une vérité connue des Chimistes, & qu’il seroit aisé de prouver par un grand nombre d’exemples ; je me contenterai d’alléguer celui de l’acide sulphureux volatil. L’acide vitriolique est moins volatil que les autres ; il s’évapore même plus difficilement que l’eau, quoiqu’il ne soit pas concentré : combinez cet acide d’une certaine maniere avec le principe inflammable, il en résulte l’acide sulphureux volatil, dont l’évaporation est, comme nous l’avons dit plus haut, vingt fois plus rapide que celle de l’esprit-de-vin.

Ce que je viens d’avancer, que le principe inflammable ne s’éleve point seul dans l’atmosphere par l’évaporation, paroîtra peut-être sujet à une difficulté. On pourra m’objecter que plusieurs métaux imparfaits exposés à l’air libre, se rouillent, ou, ce qui revient au même, perdent leur principe inflammable sans le secours d’aucune chaleur étrangere ; & qu’au moins dans ce cas, le principe inflammable peut s’élever dans l’atmosphere seul & par une véritable évaporation : mais il n’est pas difficile de répondre à cette difficulté. Pour la résoudre il suffis de remarquer que dans ce cas le principe inflammable ne s’éleve pas dans l’atmosphere par une simple évaporation ; mais qu’avant de s’y élever, il souffre une opération préliminaire, une calcination qu’on appelle par voie humide. V. Rouille.

L’eau que l’air dépose sur les métaux, aidée peut-être de l’acide universel répandu dans l’air, les attaque insensiblement, les décompose ; & dégageant le principe inflammable de la terre qui le fixoit, elle le rend propre à s’élever avec elle dans l’atmosphere.

Si les réflexions que je viens de faire sur les terres pures & le principe inflammable sont justes ; si ces corps principes ne s’élevent dans l’atmosphere par l’évaporation proprement dite, qu’autant que l’eau se trouve combinée avec eux ; ne sommes-nous pas en droit d’en conclure que l’eau doit être regardée, pour ainsi dire, comme la base ou le fondement de toute évaporation ? On doit seulement en excepter celle du mercure ; encore pourroit-on soupçonner, avec le célebre M. Roüelle (Voyez ses cahiers, ann. 1747.), que l’eau qui se trouve unie à ce fluide, contribue beaucoup à le rendre évaporable ; & que ce n’est qu’en lui enlevant cette eau, qu’on peut par des opérations assez simples, & qui n’alterent pas sa nature, lui donner un degré de fixité, tel qu’il résiste pendant long-tems à un feu assez violent.

De quelle maniere, par quel méchanisme singulier les particules dont nous venons de parler, peuvent-elles s’élever dans l’atmosphere & s’y soûtenir ? Ces particules & celles du fluide dans lequel elles s’élevent, se refusant par leur extrème ténuité aux sens & aux expériences, les Physiciens ont tâché de répondre à cette question par des hypotheses : mais ces hypothéses quoique très-ingénieuses, paroissent toutes avoir le défaut général de ces sortes de systèmes, d’être gratuites & de s’éloigner de la nature. Nous allons donner une idée aussi exacte qu’il nous sera possible, de ces différentes suppositions, & marquer en même tems les difficultés qu’elles paroissent souffrir. L’Encyclopédie étant destinée à transmettre à la postérité les connoissances, ou, si l’on veut, les idées de ce siecle, je me crois aussi obligé de transcrire ici ce que j’ai donné sur cette matiere, dans un mémoire qui doit être imprimé à la fin des mémoires de l’académie des Sciences, pour l’année 1751.

Les corps susceptibles d’évaporation s’évaporent d’autant plus rapidement, qu’ils sont plus échauffés. C’est sans doute cette observation toute simple qui a donné lieu à l’hypothèse la plus généralement adoptée, sur le méchanisme de l’évaporation. On a supposé que les molécules d’eau étant raréfiées par la chaleur, ou, ce qui revient au même, par l’adhésion des particules ignées, leur pesanteur spécifique diminuoit à tel point que les molécules, devenues plus legeres que l’air, pouvoient s’élever dans ce fluide, jusqu’à ce qu’elles fussent parvenues à une couche de l’atmosphere, dont la pesanteur spécifique fût égale à la leur. Les vapeurs, dit s’Gravesande (Elém. de Phys. prem. édit. §. 2543.), s’élevent en l’air & sont soûtenues à différentes hauteurs, suivant la différence de leur constitution, aussi-bien que de celle de l’air ; & à cette occasion il cite le parag. 1477, où il dit : Si on suppose que le fluide & le solide sont de même gravité spécifique, ce corps ne montera ni ne descendra, mais restera suspendu dans le fluide à la hauteur où on l’aura mis.

Les paroles de cet homme respectable que je viens de rapporter, suffiront pour donner une idée précise de ce sentiment. Tâchons de faire voir en peu de mots qu’il est contraire à l’observation. Je demanderai premierement aux physiciens qui adoptent cette opinion, quel degré de chaleur ils croyent nécessaire pour raréfier les molécules d’eau, au point qu’elles deviennent spécifiquement plus legeres que l’air. S’ils consultent les observations, ils seront obligés de fixer ce degré beaucoup au-dessous du terme de la glace, puisque la glace s’évapore même dans les froids les plus rigoureux. Voyez la diss. sur la glace de