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sang passeroit avec bien plus de facilité dans les veines que dans les vaisseaux secrétoires, dont les plis, la longueur & la flexibilité lui opposeroient une résistance beaucoup plus grande ; donc toutes les secrétions seroient fort diminuées, & par conséquent celle des esprits animaux ne seroit plus assez abondante pour entretenir la circulation. Je crois que de semblables propositions ne prouvent pas plus l’utilité des Mathématiques dans la Medecine, que la supputation des jours critiques dans les maladies, ne prouve le besoin de l’Arithmétique.

Les passions & l’imagination ont beaucoup de force sur les personnes d’un tempérament délicat ; ce pouvoir est inexplicable, aussi-bien que l’observation singuliere de Juncker, qui assûre que l’évanoüissement est plus prompt & plus décidé quand l’homme succombe à la crainte de l’avenir, que quand il est frappé d’un mal présent. Peut-être Juncker a fait cette comparaison pour favoriser le système de Stahl, qui explique avec une facilité suspecte plusieurs bisarreries apparentes dans les causes de la syncope.

Dans l’évanoüissement profond ou dans la syncope les arteres ne battent point, la respiration est obscure ou insensible, ce qui le distingue de l’apoplexie ; on ne voit point de mouvemens convulsifs considérables, comme dans l’épilepsie ; les fortes passions hystériques en different aussi, non-seulement par le pouls, mais encore par la rougeur du visage, par un sentiment de suffocation qui prend le gosier, &c.

On explique ordinairement le vertige & le tintement d’oreille, qui précedent l’évanoüissement, par la pression des arteres voisines sur les nerfs optiques & acoustiques ; mais on a beaucoup de peine à concevoir comment ces arteres peuvent presser les nerfs, lorsqu’elles sont épuisées après de grandes hémorrhagies : l’expérience de Baglivi paroît venir au secours. Cet auteur observant la circulation du sang dans la grenouille, remarqua que lorsque l’animal étoit près d’expirer, le mouvement progressif du sang se rallentissoit, & se changeoit en un mouvement confus des molécules du fluide vers les bords du vaisseau. Cette expérience fait connoître que l’affoiblissement du cœur augmente la pression latérale dans les arteres capillaires.

Le poids de l’estomac & des intestins produit un tiraillement incommode, quand l’antagonisme des muscles du bas-ventre & du diaphragme cesse, de même que la pesanteur des extrémités fatigue les muscles qui y sont attachés, lorsqu’ils ne se font plus équilibre. Un pouls petit, rare & intermittent, découvre l’atonie des arteres, la langueur des forces vitales, & la grandeur des obstacles qui retardent la circulation. L’aphonie précede quelquefois la perte des autres fonctions, sans doute à cause de la sympathie des nerfs récurrens avec les nerfs cardiaques. Le refroidissement & la pâleur des extrémités viennent de l’affaissement des membranes des vaisseaux capillaires, qui ne sont plus frappées d’un sang chaud & actif. La respiration est insensible, parce que le mouvement du diaphragme & des muscles intercostaux est suspendu. Cælius Aurelianus, morborum acutorum, lib. II. cap. xxxij. vers. finem, & Walæus, ont observé des mouvemens irréguliers & convulsifs dans les levres. On doit regarder ces legeres convulsions d’un côté de la bouche, comme l’effet de la paralysie des muscles du côté opposé. La matiere de la sueur & de la transpiration insensible, condensée par le froid, se rassemble en petites gouttes gluantes, qui s’échappent à-travers les pores de la peau, en plus grande abondance aux endroits où le tissu de la peau est plus délié ; aux tempes, au cou, vers le cartilage xyphoide. Quand l’évanoüissement est mortel par sa durée, ou à la suite d’une longue maladie, le cou se tourne ; & la couleur du visage tirant sur le

verd, annonce le commencement de la putréfaction des humeurs. Que si le malade revient d’un long évanoüissement, il pousse de profonds soupirs : ce mouvement automatique est nécessaire pour ranimer la circulation du sang.

Hippocrate nous apprend, aphorisme xlj. du deuxieme livre, que ceux qui s’évanoüissent fréquemment, fortement & sans cause manifeste, meurent subitement. Il faut bien prendre garde à ces trois conditions, comme Galien le prouve par divers exemples dans son commentaire sur cet aphorisme. On voit la raison de cet aphorisme dans le détail des causes de l’évanoüissement. On voit aussi pourquoi des personnes qui s’évanoüissent fréquemment, tombent ensuite dans des fievres inflammatoires. Aretée a observé que des gens qui ont été attaqués de syncope, ont quelquefois des legeres inflammations, la langue seche ; qu’ils ne peuvent suer ; qu’ils sont engourdis, & souffrent une espece de contraction : ceux-là, dit-il, tombent dans la consomption.

Une perte de sang excessive après un accouchement laborieux & des efforts imprudens, la suppression des vuidanges, jettent souvent dans des défaillances mortelles. Il y a peu à espérer, quand la syncope succede à la suffocation hystérique ; il y a moins de danger lorsqu’elle l’accompagne. De fréquentes défaillances sont de très-mauvais augure au commencement des maladies aiguës & des fievres malignes, ou lorsqu’elles tendent à la crise qui les termine ; cependant les malades ne sont pas alors absolument desespérés. Les plus terribles syncopes sont celles qu’occasionnent une ardeur & une douleur insupportables dans les petites véroles, au tems de la suppuration ; un violent accès de colere, un émétitique dans un homme déjà affoibli ; l’érosion de l’estomac par les vers, dans les enfans ; l’irritation du poumon par la fumée du charbon, ou par un air infecté ; le reflux des gangrenes seches & humides ; le virus cancéreux. On a vû des syncopes qui ont duré jusqu’à trente-six heures, sans qu’elles ayent été suivies de la mort. Les défaillances dans les maladies chroniques, sont moins dangereuses que dans les maladies aiguës ou dans les fievres malignes. En général l’habitude diminue le danger, & l’examen de la cause doit régler le prognostic.

Aretée a fort bien remarqué que le traitement de la syncope étoit fort difficile, & demandoit une extrème prudence de la part du medecin.

Dans les évanoüissemens legers on se contente de jetter de l’eau fraîche sur le visage ; on frote les levres de sel commun ; on applique sur la langue du poivre ou du sel volatil ; on approche des narines du vinaigre fort, de l’eau de la reine d’Hongrie ; on employe les sternutatoires, & on relâche les habits lorsqu’ils sont trop serrés. Il n’est pas inutile de froter les paupieres avec quelques gouttes d’une eau spiritueuse ; d’appliquer sur la poitrine & sur les autres parties, des linges trempés dans quelqu’eau fortifiante. Si ces secours sont inefficaces, il faut secoüer le malade, l’irriter par des frictions, des impressions douloureuses, préférables aux forts spiritueux. Il faut craindre pourtant l’effet d’une grande agitation dans des corps épuisés. La premiere impression du chaud & du froid, est aussi avantageuse que l’application continue peut être nuisible. Des noyés ont été rappellés à la vie par la chaleur du soleil, du lit, des bains. On étend quelquefois le corps sur le pavé froid ; on fait tomber de fort haut & par jets, de l’eau froide sur les membres.

Un officier qui avoit couru la poste plusieurs jours de suite pendant les grandes chaleurs, arriva à Montpellier, & en descendant de cheval, tomba dans un évanoüissement qui résista à tous les remedes ordinaires. M. Gauteron, l’auteur des mémoires sur l’évapo-