Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’on va exposer. Les différentes matieres qu’on y propose d’enseigner, renferment assez exactement les véritables élémens de l’Art de la guerre. On croit qu’il est important de les fixer ; parce qu’un Professeur, dont le goût se porteroit vers des objets plus brillans, mais moins utiles aux Militaires, pourroit s’y livrer & négliger les connoissances dont ils ont le plus de besoin. Cet inconvénient, auquel on ne sait peut-être pas assez d’attention, est pourtant très considérable ; & l’on ne peut y remédier qu’en réglant l’ordre & la matiere des leçons, relativement au but ou à l’objet de l’établissement de l’école.

Un plan de cette espece, qui, outre le détail des matieres que le professeur doit enseigner, contiendroit encore l’énumération des livres les plus propres à mettre entre les mains des Militaires, pour leur faire acquérir les connoissances dont ils ont besoin sur chacune de ces matieres, pourroit être d’une grande utilité. Les jeunes gentilshommes répandus dans les provinces, dans les régimens & dans les lieux où il n’y a point d’école de Mathématique, pourroient, en étudiant successivement & avec ordre les différens ouvrages indiqués dans ce plan, se former eux-mêmes dans la science de la guerre & dans les parties des Mathématiques dont elle exige la connoissance.

On est fort éloigné de croire que le plan qu’on propose, réponde entierement à ces vûes : on le donne comme un essai qu’on pourra perfectionner dans la suite, si l’on trouve qu’il puisse mériter quelque attention. On le soûmet aux observations & aux réflexions des personnes également instruites de la Géométrie & de l’Art militaire, qui voudront bien l’examiner. On l’a divisé en dix articles, qu’on peut regarder comme autant de classes particulieres.

Article premier. Comme l’Arithmétique sert d’introduction à la Géométrie & aux autres parties des Mathématiques, & qu’elle est également utile dans la vie civile & militaire, on en donnera les premiers élémens, c’est-à-dire les quatre premieres regles. On y ajoûtera les principales applications qui peuvent servir à en rendre l’usage familier. On traitera aussi de la regle de trois ou de proportion.

On aura soin de faire entrer les commençans dans l’esprit de ces diverses opérations, & de les leur faire démontrer, pour qu’ils contractent l’habitude de ne rien faire par routine, ou sans en savoir la raison.

2. Après l’explication des premieres regles de l’Arithmétique, on traitera de la Géométrie : & comme un traité trop étendu pourroit lasser aisément l’attention de jeunes officiers, peu accoûtumés aux travaux qui demandent quelque contention d’esprit, on se bornera d’abord aux choses les plus faciles & les plus propres à les familiariser avec ce nouveau genre d’étude, & à les mettre en état de passer à la Fortification. L’abrégé de la Géométrie de l’officier, ou l’équivalent, peut suffire pour remplir cet objet.

3. On commencera la Fortification par l’explication de ses regles & de ses principes : on ne parlera d’abord que de la réguliere. L’on donnera tout ce qui appartient à l’enceinte des places de guerre, & la construction de leurs différens dehors.

On aura soin de joindre aux plans des ouvrages de la Fortification, les coupes ou profils pris de différens sens, pour ne rien omettre de tout ce qui peut contribuer à en donner des idées précises & exactes.

L’explication suivie de la troisieme édition du livre intitulé, Elémens de fortification, &c. depuis le commencement jusqu’au chapitre ou à l’article des systèmes de fortification exclusivement, peut remplir l’objet qu’on propose ici.

4. A la suite de cette premiere partie de la Fortification, on donnera quelque teinture du lavis des

plans. Cette occupation, utile à plusieurs égards, peut rendre l’étude de la Fortification plus agréable & plus intéressante ; mais on aura soin de faire observer aux jeunes officiers, que ce n’est point par des plans bien lavés que les personnes instruites jugent du mérite & de l’habileté de ceux qui les présentent, mais par des explications nettes & précises sur la forme, l’emplacement, la construction, les usages & propriétés des différens ouvrages marqués sur ces plans. C’est pourquoi on les excitera à s’occuper plus sérieusement de la théorie de la Fortification que du lavis des plans, qu’on peut regarder comme une espece de délassement des autres études qui demandent plus d’attention.

5. Après les préliminaires de Géométrie & de Fortification, on reviendra à cette premiere science, que l’on sera en état alors de traiter avec plus d’étendue. On donnera d’abord tout l’essentiel des élémens, & ensuite la Géométrie-pratique dans un grand détail. On ne négligera rien pour mettre les commençans en état d’exécuter toutes les différentes opérations qui se font sur le terrein, soit pour le tracé des figures, soit pour lever des plans, des cartes, &c.

La Géométrie élémentaire & pratique de M. Sauveur, que l’on vient d’imprimer, peut servir à remplir ces différens objets. Les élémens de cet auteur, quoique très courts, contiennent néanmoins toutes les principales propositions qui servent de base aux différentes parties des Mathématiques. Il a sû réunir ensemble le mérite de la clarté, de la facilité, & de la briéveté. A l’égard de sa Géométrie-pratique, on y trouve tous les détails nécessaires pour travailler sur le papier & sur le terrein. Par ces différentes raisons, on croit cet ouvrage très-propre à une école de l’espece dont il s’agit. Lorsqu’il sera bien entendu, on passera aux Méchaniques & à l’Hydraulique.

6. On ne propose pas de donner des traités bien étendus de ces deux matieres ; il suffira, pour la premiere, de se borner à l’explication & aux usages des machines simples & des composées qui peuvent s’entendre aisément. A l’égard de l’Hydraulique, on donnera les principes pour comprendre les effets des machines ordinaires mises en mouvement par l’action des liquides & des fluides ; tels sont les moulins à eau, à vent, les pompes, &c. On enseignera aussi à mesurer la dépense des eaux jaillissantes, la quantité que peuvent donner les courans, les rivieres, à évaluer la force de leur action contre les obstacles qu’on peut leur opposer, &c.

Il sera aussi très-convenable de donner la théorie du mouvement des corps pesans, pour expliquer celle du jet des bombes, qu’un officier ne doit guere ignorer. L’Abrégé de Méchanique de M. Trabaud a presque toute l’étendue nécessaire pour remplir ces différens objets. Il s’agira seulement d’en appliquer les principes à la résolution des problèmes les plus propres à en faire voir l’utilité & à en faciliter l’usage & l’intelligence. La premiere partie du nouvel ouvrage du même auteur, intitulé, le mouvement des corps terrestres considéré dans les machines, &c. peut servir de supplément, à cet égard, à son abrégé de Méchanique.

Si quelqu’un doutoit de l’utilité de ces connoissances pour un officier, on lui répondroit qu’à la vérité elles sont moins indispensables que la Géométrie & les Fortifications, mais que cependant il peut se trouver, & qu’il se trouve en effet plusieurs circonstances à la guerre, où l’on en éprouve la nécessité. Il s’agira par exemple de mouvoir des fardeaux très pesans, de mettre du canon en batterie, de le relever lorsqu’il est tombé ou que son affut est brisé, de le transporter dans des lieux élevés par des pas-