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si au contraire on veut faire payer à Paris 100 écus de trois livres, & qu’on en remette à Amsterdam la valeur en especes courantes audit lieu, en supposant le change au même prix, il n’en coûte que 5200 deniers de gros, qui divisés par cinquante-deux, donneront à recevoir à Paris 100 écus valant 300 livres.

La réduction en monnoie de France des différentes especes qui ont cours dans toutes les villes de commerce est faite en tant d’endroits, qu’il est inutile de répéter ce que l’on trouve dans le dictionnaire de Commerce, le parfait négociant de Savary, la bibliotheque des jeunes négocians par M. Delarue, le traité des changes étrangers par M. Derius, & beaucoup d’autres livres qui sont entre les mains de tout le monde. Cet article est de M. du Four.

De la circulation, du surhaussement, & de l’abaissement des especes. Tout ce qui suit est tiré du traité des élémens du Commerce de M. de Forboney ; ouvrage dont il avoit destiné les matériaux à l’Encyclopédie, & qu’il a publié séparément, afin d’en étendre encore davantage l’utilité.

La multiplication des besoins des hommes par celle des denrées, introduisit dans le commerce un changement qui en fait la seconde époque. Voyez l’article Commerce. Les échanges des denrées entre elles étant devenus impossibles, on chercha par une convention unanime quelques signes des denrées, dont l’échange avec elles fût plus commode, & qui pussent les représenter dans leur absence. Afin que ces signes fussent durables & susceptibles de beaucoup de divisions sans se détruire, on choisit les métaux ; & parmi eux les plus rares pour en faciliter le transport. L’or, l’argent & le cuivre devinrent la représentation de toutes les choses qui pouvoient être vendues & achetées. Voyez les articles Or, Argent, Cuivre & Monnoie.

Alors il se trouva trois sortes de richesses. Les richesses naturelles, c’est-à-dire les productions de la nature ; les richesses artificielles ou les productions de l’industrie des hommes ; & ces deux genres sont compris sous le nom des richesses réelles : enfin, les richesses de convention, c’est-à-dire les métaux établis pour représenter les richesses réelles. Toutes les denrées n’étant pas d’une égale abondance, il est clair qu’on devoit exiger en échange des plus rares, une plus grande quantité des denrées abondantes. Ainsi les métaux ne pouvoient remplir leur office de signe, qu’en se subdivisant dans une infinité de parties.

Les trois métaux reconnus pour signes des denrées ne se trouvent pas non plus dans la même abondance. De toute comparaison résulte un rapport ; ainsi un poids égal de chacun des métaux devoit encore nécessairement être le signe d’une quantité inégale des mêmes denrées.

D’un autre côté, chacun de ces métaux tel que la nature le produit, n’est pas toujours également parfait ; c’est-à-dire, qu’il entre dans sa composition plus ou moins de parties hétérogenes. Aussi les hommes en reconnoissant ces divers degrés de finesse, convinrent-ils d’une expression qui les indiquât.

Pour la commodité du commerce, il convenoit que chaque portion des différens métaux fût accompagnée d’un certificat de sa finesse & de son poids. Mais la bonne foi diminuant parmi les hommes à mesure que leurs desirs augmentoient, il étoit nécessaire que ce certificat portât un caractere d’autenticité.

C’est ce que lui donna chaque législateur dans sa société, en mettant son empreinte sur toutes les portions des divers métaux : & ces portions s’appellerent monnoie en général.

La dénomination particuliere de chaque piece de monnoie fut d’abord prise de son poids. Depuis, la mauvaise foi des hommes le diminua ; & même les

princes en retrancherent dans des tems peu éclairés où l’on séparoit leur intérêt de celui du peuple & de la confiance publique. La dénomination resta, mais ne fut qu’idéale : d’où vint une distinction entre la valeur numéraire ou la maniere de compter, & la valeur intrinseque ou réelle.

De l’autenticité requise pour la sûreté du commerce, dans les divisions de métaux appellées monnoies, il s’ensuit que le chef de chaque société a seul droit de les faire fabriquer, & de leur donner son empreinte.

Des divers degrés de finesse & de pesanteur dont ces divisions de métaux sont susceptibles, on doit conclure que les monnoies n’ont d’autre valeur intrinseque que leur poids & leur titre ; aussi est-ce d’après cela seul que les diverses sociétés reglent leurs payemens entre elles.

C’est-à-dire que se trouvant une inégalité dans l’abondance des trois métaux, & dans les divers degrés de finesse dont chacun d’eux est susceptible, les hommes sont convenus en général de deux choses.

1°. De termes pour exprimer les parties de la plus grande finesse dont chacun de ces métaux soit susceptible.

2°. A finesse égale de donner un plus grand volume des moins rares en échange des plus rares.

De ces deux proportions, la premiere est déterminée entre tous les hommes.

La seconde ne l’est pas avec la même précision, parce qu’outre l’inégalité générale dans l’abondance respective des trois métaux, il y en a une particuliere à chaque pays. D’où il résulte que les métaux étant supposés de la plus grande finesse respective chez un peuple, s’il échange le métal le plus rare avec un plus grand volume des autres métaux, que ne le font les peuples voisins, on lui portera ce métal rare en assez grande abondance, pour qu’il soit bientôt dépouillé des métaux dont il ne fait pas une estime proportionnée à celle que les autres peuples lui accordent.

Comme toute société a des besoins extérieurs dont les métaux sont les signes ou les équivalens ; il est clair que celle dont nous parlons, payera ses besoins extérieurs relativement plus cher que les autres sociétés ; enfin qu’elle ne pourra acheter autant de choses au-dehors.

Si elle vend, il est également évident qu’elle recevra de la chose vendue une valeur moindre qu’elle n’en avoit dans l’opinion des autres hommes.

Tout ce qui n’est que de convention a nécessairement l’opinion la plus générale pour mesure ; ainsi les richesses en métaux n’ont de réalité pour leurs possesseurs, que par l’usage que les autres hommes permettent d’en faire avec eux : d’où nous devons conclure que le peuple qui donne à l’un des métaux une valeur plus grande que ses voisins, est réellement & relativement appauvri par l’échange qui s’en fait avec les métaux qu’il ne prise pas assez.

Soit en Europe, la proportion commune d’un poids d’or équivalent à un poids d’argent comme un à quinze. Soit a une livre d’or, & b une livre d’argent, a=15b.

Si un peuple hausse cette proportion en faveur de l’or, & que a=16b.

Les nations voisines lui apporteront a pour recevoir 16b. Leur profit b sera la perte de ce peuple par chaque livre d’or qu’il échangera contre l’argent.

Il ne suffit pas encore que le législateur observe la proportion du poids que suivent les états voisins. Comme le degré de finesse ou le titre de ses monnoies dépend de sa volonté, il faut qu’il se conforme à la proportion unanimement établie entre les parties de la plus grande finesse, dont chaque métal est susceptible.