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ordonna en 1575 celle des pieces de vingt sous, & en 1577 celle des pieces de moindre valeur ; mais aucune n’étoit nommée écu. Maintenant les pieces d’or s’appellent louis, soit quadruples, doubles, simples, & demi-louis.

Les pieces d’argent nommées écus doubles, que l’on appelle vulgairement gros écus, sont à six livres ; les écus simples ou petits écus, à trois livres ; les pieces de vingt-quatre sous, celles de douze sous, & de six sous.

Les pieces de bas billon & de cuivre sont les sous & les liards.

Quant aux especes des villes commerçantes de l’Europe, même des autres parties du monde, voyez le dictionnaire du Commerce au mot Monnoie.

L’or, l’argent, & le cuivre, ont été préférés pour la fabrication des especes. Ces métaux s’allient ensemble, il n’y a que le cuivre qui s’employe seul ; l’or s’allie avec l’argent & le cuivre, l’argent avec le cuivre seulement ; & lorsque la partie de cuivre est plus forte que celle d’argent, c’est ce qu’on appelle billon. Voyez Billon & Alliage.

En Angleterre on ne prend rien pour le droit du roi, ni pour les frais de la fabrication, ensorte que l’on rend poids pour poids aux particuliers qui vont porter des matieres à la monnoie : cela a été pratiqué plusieurs fois en France ; mais maintenant on prend le droit de seigneuriage, on ajoûte le grain de remede. Voyez Monnoyage au mot Monnoie.

Les especes ont différens noms, suivant leur empreinte, comme les moutons, les angelots, les couronnes ; suivant le nom du prince, comme les louis, les henris (sur quoi il faut remarquer ce qu’on lit dans le pr. Hénault, que la premiere monnoie qui ait eu un buste en France est celle que la ville de Lyon fit frapper pour Charles VIII. & pour Anne de Bretagne ; la ville d’Aquila battit une monnoie en l’honneur de ce prince, dont la légende étoit françoise) ; suivant leur valeur, comme un écu de trois livres, une piece de vingt-quatre sous ; suivant le lieu où elles ont été frappées, comme un parisis, un tournois.

Les especes ont deux valeurs, une réelle & intrinseque, qui dépend de la taille qui est fixée maintenant en France à trente loüis au marc, lequel marc monnoyé vaut, en mettant le louis à vingt-quatre liv. prix actuel, sept cents vingt livres ; & pour les especes d’argent à huit écus au marc, qui vaut monnoyé, en mettant l’écu à six liv. prix actuel, quarante-neuf livres seize sous.

L’autre valeur est imaginaire ; elle se nomme valeur de compte, parce qu’il est ordonné par l’ordonnance de 1667 de ne pas se servir dans les comptes d’autres dénominations que de celles de livres, sous, & deniers : cette valeur a eu beaucoup de variations ; elle étoit d’abord relative à la valeur intrinseque : une livre signifioit une livre pesant de la matiere dont il étoit question : un sou étoit la vingtieme partie du poids d’une livre ; & le denier la douzieme partie du sou ; mais il y eut tant d’altération dans les especes, que l’on s’est écarté au point où l’on est à présent. On lit dans le président Hénault que le sou & le denier n’avoient plus de valeur intrinseque que les deux tiers de ce qu’ils avoient valu sous saint Louis ; il en attribue la cause à la rareté de l’espece dans le royaume appauvri par les croisades ; ce qui ne contribuoit pas seul à augmenter la valeur numéraire, attendu que précédemment cette rareté étoit plus considérable, & la valeur beaucoup moindre. On en trouve la preuve dans deux faits rapportés par le même auteur sous le regne de Charles-le-Chauve. Vers l’an 837, il y eut un édit qui ordonna qu’il seroit tiré des coffres du roi cinquante livres d’argent pour être répandues dans le commerce, afin

de réparer le tort que les especes décriées par une nouvelle fabrication avoient causé. Le second exemple est que le concile de Toulouse, tenu en 846, fixa à deux sous la contribution que chaque curé étoit tenu de fournir à son évêque, qui consistoit en un minot de froment, un minot de seigle, une mesure de vin, & un agneau ; & l’évêque pouvoit prendre à son choix ou ces quatre choses, ou les deux sous. Suivant le premier exemple, les cinquante liv. d’argent, tirées des coffres du roi, doivent revenir à 4980 l. (en supposant la livre de seize onces, il y a lieu de croire que semblable à la livre romaine, elle ne valoit que douze onces, qui n’en valoient pas même douze de notre poids de marc) ; si cette somme étoit capable de rétablir le crédit, il falloit effectivement que l’argent fût bien rare : au reste, suivant le second exemple, deux sous qui valoient tout au plus cinq livres d’à-présent, payant un minot de froment, un minot de seigle, une mesure de vin, & un agneau, montrent que peu d’argent procuroit beaucoup de denrées ; d’où il faut conclure que l’augmentation numéraire de la valeur de compte, n’augmente pas les richesses ; on n’est pas plus riche pour avoir plus à nombrer.

Nous ne nous étendrons point à détailler les augmentations périodiques de la valeur des especes ; nous renvoyons à la carte des parités réciproques de la livre numéraire ou de compte, proportionnément à l’augmentation arrivée sur le marc d’argent, dressée par M. Derius, chef du bureau de la compagnie des Indes, où l’on peut voir d’un coup-d’œil la valeur respective de la livre numéraire, sous les différens regnes depuis Charlemagne jusqu’à présent. Voyez, au surplus, le dictionnaire de Commerce au mot monnoie, où l’on a rapporté en détail les variations arrivées en France sur le fait des monnoies tant d’or que d’argent, depuis le mois de Mai 1718 jusqu’au dernier Mars 1726.

En tout pays l’espece d’or achete & paye celle d’argent, & plusieurs especes d’argent payent & achetent celle d’or, suivant & ainsi que la proportion de l’or à l’argent y est gardée, étant loisible à chacun de payer ce qu’il achete en especes d’or ou d’argent, au prix & à la proportion reçue dans le pays. En France, cette proportion est réduite & fixée par édit du mois de Septembre 1724, de 14 sous environ, car il y a quelques différences : 14 marcs d’argent valent 722 livres 2 s, & le marc d’or ne valut que 720 liv. comme nous l’avons dit ci-dessus, ce qui fait une différence de deux livres deux sous. Dans les autres pays cette proportion n’est pas uniforme ; mais en général la différence n’est pas considérable.

Cette proportion diversement observée, suivant les différentes ordonnances des princes, entre les villes qui commercent ensemble, fait la base du pair dans l’échange des monnoies. En effet, si toutes les especes & monnoies étoient dans tous les états au même titre & à la même loi qu’elles sont en France, les changes seroient au pair, c’est-à-dire que l’on recevroit un écu de 3 liv. dans une ville étrangere, pour un écu que l’on auroit donné à Paris ; si le change produisoit plus ou moins, ce seroit un effet de l’agiot & une suite nécessaire de la rareté ou de l’abondance des lettres ou de l’argent ; ce qui n’est d’aucune considération, attendu que si aujourd’hui les lettres sur Paris sont rares, elles le seront un autre jour sur Amsterdam, ainsi des autres villes : au lieu que l’on perd sur les remises qui se font dans les pays étrangers où l’argent est plus bas qu’en France. On veut remettre par exemple cent écus, monnoie de France, à trois livres, à Amsterdam, en supposant le change à 52 deniers de gros, on ne recevra que 130 livres ; parce que 52 deniers de gros ne font que vingt-six sous, & qu’il y a trente-quatre sous de différence par écu :