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il faut qu’il ne soit pas instruit de la construction des échelles nécessaires en pareil cas ; & s’il ne s’en trouve pas un nombre suffisant dans les magasins, il faut en faire construire secretement.

On peut faire des échelles qui se démontent, c’est-à-dire composées de plusieurs parties ; elles se transportent beaucoup plus facilement : on s’en servit de cette espece pour l’escalade de Geneve en 1602.

Lorsque tout est préparé pour l’entreprise, & qu’il ne s’agit plus que d’aller l’exécuter, on prend la quantité de monde dont on juge avoir besoin, tant en infanterie qu’en cavalerie. La cavalerie peut servir à charger l’ennemi assemblé dans les différentes places de la ville, lorsqu’on lui en a donné l’entrée, à le dissiper promptement, & à favoriser la retraite, si l’on est dans l’obligation de se retirer, & s’il y a des plaines à passer dans la retraite. On mene aussi des serruriers & des charpentiers avec soi, pour s’en servir suivant le besoin & l’occasion.

On dirige la marche de maniere qu’on arrive devant la ville une ou deux heures avant le jour, & l’on ne néglige aucune attention pour que l’ennemi n’en puisse être informé de personne. S’il se rencontre quelqu’un en chemin il faut l’arrêter, & arriver devant la place avec le plus grand silence. Comme on doit être informé des chemins que l’on a à tenir, des défilés qu’il faut passer, on est en état de juger du tems que pourra durer la marche : il est important d’en faire le calcul exact ; car il pourroit arriver que l’armée étant trop long-tems en marche, arriveroit trop-tard devant la place pour commencer l’attaque avant le jour ; auquel cas, à moins d’une grande supériorité, il faudroit prendre le parti de s’en retourner. Il arrive quelquefois, suivant la situation des lieux, qu’on fait arriver les troupes devant la place par différens chemins ; en ce cas la marche est moins longue & moins embarrassante : mais les officiers qui conduisent chaque corps ne doivent pour aucune circonstance particuliere retarder leur marche, afin d’arriver devant la place à l’heure qui leur aura été indiquée, & que les différentes attaques commencent toutes en même tems, ou aux heures dont on sera convenu ; car il est quelquefois à propos, sur-tout lorsque la ville est fort grande, de les commencer successivement. La premiere attaque attire d’abord toute l’attention de l’ennemi, qui s’y porte promptement ; la seconde l’oblige de partager son attention ; & lorsque les premieres attaques, qui ordinairement sont fausses, ont attiré la plus grande partie de la garnison, on commence la véritable, dans laquelle on doit trouver moins de résistance.

On voiture les échelles sur des chariots devant la place ; ces chariots sont précédés de la plus grande partie des troupes destinées à cette expédition, lesquelles sont aussi précédées de quelques compagnies de grenadiers qui font leur avant-garde.

Etant arrivé auprès de la ville on s’y met en bataille, toûjours dans un grand silence ; on distribue les échelles aux premiers soldats qui doivent commencer l’escalade, & qui doivent être les plus braves & les plus vigoureux de la troupe.

On partage les troupes de l’attaque en plusieurs petits corps, comme de 100 ou 120 hommes commandés par leurs officiers, & l’on s’avance auprès de la place. S’il y a un chemin couvert, on se sert des serruriers pour en faire sauter les barrieres avec le moins de bruit qu’il soit possible. Les troupes, après y être entrées, cherchent à descendre dans le fossé ; les soldats qui ont des échelles s’en servent, supposé qu’il soit profond & revêtu, & qu’on ne puisse pas se glisser le long de son talud, ce qui est d’une bien plus prompte expédition, & les autres y descendent par les degrés ou escaliers que l’on pratique ordinai-

rement aux arrondissemens de la contrescarpe & à

ses angles rentrans.

Dès que l’on est descendu dans le fossé, on applique avec la plus grande diligence les échelles contre le rempart ou son revêtement, & on se hâte de monter promptement sur le rempart, sans confusion & sans trop charger les échelles : lorsqu’il y a un corps de 100 ou 150 hommes de montés, on fait venir les serruriers & les charpentiers pour rompre la porte la plus prochaine. A mesure que les troupes montent sur le rempart on les range en bataille ; & si l’ennemi se présente, on le charge vigoureusement la bayonnette au bout du fusil, sans tirer, pour ne point donner une trop forte allarme aux corps-de-garde voisins : quand on est en assez grand nombre sur le rempart, & que l’on a fait ouvrir une porte pour faire entrer dans la ville les troupes du dehors, on s’étend tout le long du rempart pour s’en rendre solidement le maître, & ensuite on se joint avec le corps qui est entré par la porte, pour charger l’ennemi dans tous les lieux de la ville où il peut se retirer. Si lorsqu’il n’y a encore qu’un petit nombre d’hommes de montés sur le rempart, l’ennemi venoit pour les charger, ils se défendroient du mieux qu’ils pourroient contre lui, en se faisant un rempart des différentes choses qu’on peut trouver sur le rempart, comme des branches des arbres qui sont communément dessus ; & s’en faisant une espece de retranchement, derriere lequel on se tient jusqu’à ce qu’il soit monté sur le rempart un nombre d’hommes suffisant pour charger l’ennemi & le dissiper.

Si l’ennemi est exact à faire ses rondes, qu’il s’apperçoive que les troupes sont dans le fossé & prêtes à monter, qu’il fasse tirer les sentinelles pour donner l’allarme à la ville, on ne laissera pas de monter promptement. Comme il faut toûjours quelque espace de tems pour qu’il vienne du secours, on peut en profiter pour monter sur le rempart, en assez grand nombre pour s’y soûtenir contre les troupes de garde, qui sont les premieres qui peuvent se présenter sur le rempart pour en défendre l’accès.

S’il y a un château ou une citadelle dans la ville qui soit, comme il est d’usage, partie dans la ville & partie dans la campagne, il faudra y donner l’escalade en même tems qu’à la ville, afin que l’ennemi n’y trouve point de retraite, & que pressé de tous côtés, il soit dans la nécessité de se rendre.

Le tems le plus favorable pour surprendre les villes dont le fossé est plein d’eau, est l’hyver pendant une forte gelée : on peut franchir aisément le fossé en passant sur la glace, & monter sur le rempart, le pié des échelles étant posé sur la glace du fossé. Un gouverneur attentif a soin, dans les gelées, de faire rompre tous les jours la glace de ses fossés : mais il peut s’en trouver qui négligent cette attention ; & d’ailleurs ceux qui sont chargés de l’exécution peuvent la faire avec tant de négligence, qu’il soit encore possible de se servir de la glace pour planter les échelles au pié du rempart, & pour franchir le fossé. C’est à ceux qui se chargent de ces sortes d’entreprises de bien faire observer la conduite du gouverneur & celle de ceux qu’il charge de l’exécution de ses ordres, pour voir la maniere dont ils l’exécutent, & pour prendre leur parti en conséquence. Elémens de la guerre des siéges, II. vol.

A l’égard des précautions à prendre contre les escalades, elles consistent à avoir continuellement aussi de petits partis dans les environs de la place, pour être par eux instruit des demarches de l’ennemi, & faire des rondes continuelles pendant la nuit, pour que personne n’entre dans le fossé de la place sans qu’on en soit informé. On peut aussi pratiquer une cuvette dans le fossé, planter des palissades à quelque distance du mur pour empêcher l’en-