à-peu, & la facilité de s’instruire dans ces langues augmentera avec le tems. Nos premiers savans ont passé presque toute leur vie à l’étude du grec ; c’est aujourd’hui une affaire de quelques années. Voilà donc une branche d’érudition, toute neuve, trop négligée jusqu’à nous, & bien digne d’exercer nos savans. Combien n’y a-t-il pas encore à découvrir dans des branches plus cultivées que celle-là ? Qu’on interroge ceux qui ont le plus approfondi la Géographie ancienne & moderne, on apprendra d’eux, avec étonnement, combien ils trouvent dans les originaux de choses qu’on n’y a point vûes, ou qu’on n’en a point tirées, & combien d’erreurs à rectifier dans leurs prédécesseurs. Celui qui défriche le premier une matiere avec quelque succès, est suivi d’une infinité d’auteurs, qui ne font que le copier dans ses fautes même, qui n’ajoûtent absolument rien à son travail ; & on est surpris, après avoir parcouru un grand nombre d’ouvrages sur le même objet, de voir que les premiers pas y sont à peine encore faits, lorsque la multitude le croit épuisé. Ce que nous disons ici de la Géographie, d’après le témoignage des hommes les plus versés dans cette science, pourroit se dire par les mêmes raisons, d’un grand nombre d’autres matieres. Il s’en faut donc beaucoup que l’érudition soit un terrain où nous n’ayons plus de moisson à faire.
Enfin les secours que nous avons aujourd’hui pour l’érudition, la facilitent tellement, que notre paresse seroit inexcusable, si nous n’en profitions pas.
Cicéron a eu, ce me semble, grand tort de dire que pour réussir dans les Mathématiques, il suffit de s’y appliquer ; c’est apparemment par ce principe qu’il a traité ailleurs Archimede de petit homme, homuncio : cet orateur parloit alors en homme très-peu versé dans ces sciences. Peut-être à la rigueur, avec le travail seul, pourroit-on parvenir à entendre tout ce que les Géometres ont trouvé ; je doute même si toutes sortes de personnes en seroient capables, la plûpart des ouvrages de Mathématiques étant assez mal faits, & peu à la portée du grand nombre des esprits, au niveau desquels on auroit pû cependant les rabaisser (voyez Elémens & Logique) ; mais pour être inventeur dans ces sciences, pour ajoûter aux découvertes des Descartes & des Newtons, il faut un degré de génie & de talens auquel bien peu de gens peuvent atteindre. Au contraire, il n’y a point d’homme qui, avec des yeux, de la patience, & de la mémoire, ne puisse devenir très-érudit à force de lecture. Mais cette raison doit-elle faire mépriser l’érudition ? nullement. C’est une raison de plus pour engager à l’acquérir.
Enfin, on auroit tort d’objecter que l’érudition rend l’esprit froid, pesant, insensible aux graces de l’imagination. L’érudition prend le caractere des esprits qui la cultivent ; elle est hérissée dans ceux-ci, agréable dans ceux-là, brute & sans ordre dans les uns, pleine de vûes, de goût, de finesse, & de sagacité dans les autres : l’érudition, ainsi que la Géométrie, laisse l’esprit dans l’état où elle le trouve ; ou pour parler plus exactement, elle ne fait d’effet sensible en mal, que sur des esprits que la nature y avoit déja préparés ; ceux que l’érudition appesantit, auroient été pesans avec l’ignorance même ; ainsi la perte, à cet égard, n’est jamais grande ; on y gagne un savant, sans y perdre un écrivain agréable. Balzac appelloit l’érudition le bagage de l’antiquité ; j’aimerois mieux l’appeller le bagage de l’esprit, dans le même sens que le chancelier Bacon appelle les richesses le bagage de la vertu : en effet, l’érudition est à l’esprit, ce que le bagage est aux armées ; il est utile dans une armée bien commandée, & nuit aux opérations des généraux médiocres.
On vante beaucoup, en faveur des sciences exac-
On se plaint que la multiplication des journaux & des dictionnaires de toute espece, a porté parmi nous le coup mortel à l’érudition, & éteindra peu-à-peu le goût de l’étude ; nous croyons avoir suffisamment répondu à ce reproche dans le Discours préliminaire, page xxxjv. dans l’Avertissement du troisieme volume, & à la fin du mot Dictionnaire, à l’art. Dictionnaires des Sciences & des Arts Les partisans de l’érudition prétendent qu’il en sera de nous comme de nos peres, à qui les abrégés, les analyses, les recueils de sentences, faits par des moines & des clercs dans les siecles barbares, firent perdre insensiblement l’amour des Lettres, la connoissance des originaux, & jusqu’aux originaux même. Nous sommes dans un cas bien différent ; l’Imprimerie nous met à couvert du danger de perdre aucun livre vraiment utile : plût à Dieu qu’elle n’eût pas l’inconvénient de trop multiplier les mauvais ouvrages ! Dans les siecles d’ignorance, les livres étoient si difficiles à se procurer, qu’on étoit trop heureux d’en avoir des abrégés & des extraits : on étoit savant à ce titre ; aujourd’hui on ne le seroit plus.
Il est vrai, graces aux traductions qui ont été