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re, d’où s’ensuivent les mouvemens convulsifs, qui produisent des nausées, des efforts pour vomir, & le vomissement même, lorsqu’il y a des matieres dans l’estomac, qui pesent sur ses parois tendues, par l’engorgement de ses vaisseaux qui le rend beaucoup plus susceptible d’irritation : ou le transport des humeurs se fait vers les poumons, lorsqu’ils sont d’un tissu à proportion moins résistant que les autres parties du corps ; il y occasionne des suffocations, des oppressions, des crachemens de sang, &c. ou il se fait dans les vaisseaux des membranes du cerveau, de sa substance, & il y cause des douleurs, des pesanteurs de tête, un assoupissement extraordinaire, des vertiges ; &c. Tous ces effets supposent l’équilibre rompu entre les vaisseaux utérins, qui résistent à être engorgés ultérieurement, & les vaisseaux des autres parties, qui pretent & se laissent engorger par les humeurs surabondantes, qui refluent de la matrice, ou qui, restant dans la masse, tendent à se jetter sur quelque partie foible, & s’y logent en effet, en forçant ses vaisseaux.

Mais si toutes les parties résistent également, le sang superflu restant dans les gros vaisseaux, sans pouvoir être distribué, gêne la circulation, cause des défaillances, des syncopes, ce qui rend, dans ce cas, la saignée si salutaire, par la promptitude avec laquelle elle rétablit l’équilibre, en dégorgeant les gros vaisseaux ; elle peut aussi produire de bons effets dans tous les autres engorgemens particuliers, par la même raison, mais ils sont moins sensibles : dans ce même cas, encore la nature, qui tend toûjours à conserver ou à rétablir l’équilibre, peut avoir une autre ressource que la saignée ; tous les vaisseaux étant dans un état de résistance, & par conséquent de réaction égales, peuvent quelquefois, par leurs forces combinées, vaincre celles des vaisseaux utérins, & en forcer les orifices, donner lieu à une hémorrhagie qui peut rétablir l’équilibre perdu ; c’est par cette raison que plusieurs femmes ont des pertes pendant les premiers mois de leur grossesse, sur-tout les femmes robustes, sans aucun mauvais effet.

Tout ce qui vient d’être dit, peut convenir à bien des égards à ce qui se passe dans la suppression des regles, & peut tenir lieu d’explication de ce que Boerrhaave dit simplement être un desordre dans la circulation, sans dire en quoi consiste ce desordre, ce changement, ce mouvement renversé dans le cours du sang, qu’il reconnoît, sans en indiquer la cause, sans la faire pressentir même : il semble cependant qu’on peut en rendre raison, de la maniere précédente, en suivant la nature dans ses opérations, sans rien supposer. On voit, par exemple, pourquoi les femmes grosses sont sujettes à de si fréquentes & de si grandes agitations, à des fréquences dans le pouls, qui en sont une suite, sur-tout pendant le tems de la digestion, de l’entrée du chyle dans le sang : effet que l’on peut regarder comme étant des efforts que la nature fait pour rétablir l’équilibre ; efforts qui sont véritablement fébriles, & seroient de conséquence, s’ils n’étoient pas si irréguliers, & le plus souvent de très-peu de durée ; parce que la cause est ordinairement de nature à être aisément & promptement détruite, ou peut subsister sans danger : il n’y a pas de vice intrinseque dans les humeurs ; elles ne pechent que par l’excès de quantité : il n’en est pas de même dans les suppressions du flux menstruel ; la cause étant le plus souvent difficile à vaincre, occasionne des efforts continuels de la nature, pour détruire la pléthore & rétablir l’équilibre ; ce qui donne souvent lieu, dans ce cas, à des fievres considérables, & dont les suites peuvent être fâcheuses.

Ainsi, les inflammations occasionnant aussi une sorte de pléthore, plus ou moins étendue, produisent la fievre générale ou particuliere : le resserre-

ment spasmodique des parties nerveuses dans un viscere,

dans un membre, dans un tendon, dans un tronc de nerf picqué, jrrité, produit le même effet ; de même aussi les irritations qui affectent les membranes nerveuses, comme celles des intestins, la plevre, la dure mere, l’enveloppe des muscles, le périoste, &c. les remedes irritans, tels, sur-tout, que les purgatifs, les vomitifs, les vésicatoires, les synapismes, les phœnigmes, &c. semblent n’attirer un plus grand abord d’humeurs dans les parties où ils agissent, que parce qu’ils excitent la réaction des vaisseaux éloignés vers ceux qui sont d’abord plus resserrés par l’irritation, mais qui sont bien-tôt forcés de céder à toutes les puissances des solides réunies contre eux ; ce qui opere une dérivation d’humeurs vers la partie irritée ; dérivation qui est, par cette raison, le plus souvent précédée d’une augmentation de mouvement dans tous les fluides, dans la circulation entiere. N’est-ce pas ainsi que l’on peut concevoir la maniere d’agir des topiques irritans, dont on se sert pour attirer la goutte dans les extrémités ? l’action des cauteres actuels, du moxa, produit aussi à-peu-près les mêmes effets : l’orgasme, dans les parties susceptibles d’impressions voluptueuses, fait ainsi naître une agitation générale, en tant que la tension de leurs parties nerveuses y forme des obstacles au cours ordinaire des humeurs, qui refluent dans tout le corps, y font une pléthore passagere, c’est-à-dire proportionnée à la durée de la cause de cette tension, & cette pléthore cesse avec le sentiment qui en a été la cause déterminante : c’est ce qu’on éprouve dans l’acte vénérien, dans la seule érection de la verge, du cliroris, soûtenue par l’imagination échauffée, dans le gonflement des parties de la vulve, des mammelons : tout ce qui tend les nerfs plus qu’à l’ordinaire, comme une épine dans un tendon, dans des chairs bien sensibles, comme les brûlures, &c. produit un plus grand abord de sang dans les parties affectées ; d’où s’ensuit un battement d’arteres plus fort dans ces parties, ou une agitation générale, à proportion de l’intensité de la cause, &c.

Il résulte de ce qui a été dit jusqu’ici sur les différentes causes qui peuvent déranger l’équilibre de la machine dans l’économie animale, que dans le relâchement, l’élasticité naturelle qui subsiste dans les fibres, suffit en général, pour leur donner un degré de force qui détermine le cours des fluides vers la partie qui a perdu de son ressort ; mais le défaut d’équilibre, qui est produit par l’irritation, ne peut pas avoir lieu, sans qu’il soit ajoûté généralement à tous les solides, une force qui puisse l’emporter sur la résistance de la partie où se fait l’irritation ; en sorte que dans ce cas, ils aquierent plus de force d’action sur les fluides par un resserrement qui dépend des nerfs, & l’équilibre se détruit, tout comme si les parties irritées péchoient par relâchement, parce que celles-ci sont forcées de céder à l’action combinée de tous les vaisseaux du corps contr’elle ; étant alors inférieures en résistance, elles ne tiennent pas contre l’action des fibres, en général devenues plus fortes, que dans l’état naturel, par un moyen surajoûté, qui leur est commun à toutes, vis unita fortior. Ainsi de deux causes opposées, le relâchement & le resserrement des fibres ou des vaisseaux, il peut également en résulter un défaut d’équilibre dans le corps animal.

Il est naturel de conclure de tout ce qui vient d’être exposé au sujet de l’équilibre dans le corps humain, qu’il est très-important de s’instruire de tout ce qui sert à faire connoître les phénomenes, les lois constantes de cette condition requise pour la vie saine, de cet agent, qui paroît joüer un si grand rôle dans l’économie animale, qui est un principe fécond, d’où on peut déduire une infinité de causes, qui en-