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sitive ? le voici. Si on eût proposé ce problème : trouver un nombre x plus grand que 1, & tel que , soit égal à , on auroit eu précisément la même équation que celle qui est donnée par la solution du problème précédent ; & en ce cas auroit été la vraie valeur de l’inconnue, ainsi l’équation représente réellement ces deux-ci, & , qui sont la traduction algébrique de deux questions, très-différentes dans leur énoncé. La premiere de ces questions a pour réponse , la seconde . Donc, quoique les racines d’une équation soient toutes deux réelles & positives, il ne s’ensuit pas toûjours qu’elles résolvent toutes exactement & rigoureusement la question ; mais elles la résolvent, en la présentant en deux sens différens, dont l’Algebre ne peut exprimer la différence ; par exemple, dans le cas dont il s’agit, l’énoncé devroit être : trouver une grandeur x telle que la retranchant de l’unité, ou retranchant l’unité d’elle, le quarré du reste soit égal à . La traduction algébrique du premier énoncé est par sa nature plus générale que ce premier énoncé ; c’est donc le second qu’il faut y substituer pour répondre à toute l’étendue de la traduction. Plusieurs algébristes regardent cette généralité comme une richesse de l’Algebre, qui, disent-ils, répond non seulement à ce qu’on lui demande, mais encore à ce qu’on ne lui demandoit pas, & qu’on ne songeoit pas à lui demander. Pour moi, je ne puis m’empêcher d’avoüer que cette richesse prétendue me paroît un inconvénient. Souvent il en résulte qu’une équation monte à un degré beaucoup plus haut qu’elle ne monteroit, si elle ne renfermoit que les seules racines propres à la vraie solution de la question, telle qu’elle est proposée. Il est vrai que cet inconvénient seroit beaucoup moindre, & seroit même en un sens une véritable richesse, si on avoit une méthode générale pour résoudre les équations de tous les degrés ; il ne s’agiroit plus que de démêler parmi les racines celles dont on auroit vraiment besoin : mais malheureusement on se trouve arrêté dès le troisieme degré. Il seroit donc à souhaiter, puisqu’on ne peut résoudre toute équation, qu’on pût au moins l’abaisser au degré de la question, c’est-à-dire à n’avoir qu’autant d’unités dans l’exposant de son degré que la question a de solutions vraies & directes, mais la nature de l’Algebre ne paroît pas le permettre.

3°. Si on proposoit de trouver un nombre x, tel que retranchant l’unité de ce nombre, le quarré du reste fût égal à quatre, on trouveroit , & . La premiere racine , qui est réelle & positive, résout la question ; à l’égard de , elle ne résout point la question proposée, elle résout celle-ci : trouver un nombre, auquel ajoûtant l’unité, le quarré de la somme soit égal à quatre. On voit que dans cet énoncé, ajoûter se trouve au lieu de retrancher, & somme au lieu de reste. En effet donne & , qui sont précisément les racines de l’équation précédente prises avec des signes contraires. D’où l’on voit que les racines négatives satisfont à la question, non telle qu’elle est proposée, mais avec de legers changemens qui consistent à ajoûter ce qu’on devoit retrancher, ou à retrancher ce qu’on devoit ajoûter. Le signe − qui précede ces racines indique une fausse supposition qui a été faite dans l’énoncé, d’addition au lieu de soustraction, &c. & ce signe − redresse cette fausse supposition. En veut-on un exemple plus simple ? qu’on propose de trouver un nombre x, qui étant ajoûté à 20, la somme soit égale à 10, on aura & , ce qui signifie qu’il falloit énoncer ainsi la question : trouver un nombre qui étant retranché de 20, le reste soit égal à 10, & ce nombre est 10.

4°. Si on proposoit cette question, trouver un nombre x, tel que, ajoûtant l’unité à ce nombre, le quarré du tout soit égal à , on auroit  : voilà deux racines négatives, ce qui signifie qu’il falloit changer ainsi la question ; trouver un nombre tel, que retranchant l’unité de ce nombre, s’il est plus grand, ou le retranchant de l’unité, s’il est plus petit, le quarré du reste soit égal à . C’est précisément le cas du n°. 1 précédent, dont les racines sont les mêmes que de ce cas-ci, avec des signes contraires.

5°. Tout nous prouve donc que les racines négatives ne sont destinées qu’à indiquer de fausses suppositions faites dans l’énoncé, & que le calcul redresse. C’est pour cela que les racines négatives ont été appellées fausses par plusieurs auteurs, & les racines positives, vraies, parce que les premieres ne satisfont, pour ainsi dire, qu’à un faux énoncé de la question. Au reste je dois encore remarquer ici que quand toutes les racines sont négatives, comme dans le cas précédent, l’inconvénient est leger ; ces racines négatives indiquent que la solution avoit un énoncé absolument faux : redressez l’énoncé, toutes les racines deviendront positives. Mais quand elles sont en partie positives, & en partie négatives, l’inconvénient que cause la solution algébrique est, ce me semble, alors plus grand ; elles indiquent que l’énoncé de la question est, pour ainsi dire, en partie vrai & en partie faux ; elles mêlent, malgré nous, une question étrangere avec la question proposée, sans qu’il soit possible de l’en séparer, en rectifiant même l’énoncé ; car qu’on change dans l’énoncé les mots ajoûter & somme, en ôter & reste, la racine négative devient à la vérité positive ; mais la positive devient négative, & on se trouve toûjours dans le même embarras, sans pouvoir réduire la question à un énoncé qui ne donne que des racines réelles positives. Il en est de même dans le cas du n°. 1 précédent, où, quoique les racines soient toutes réelles & positives, cependant elles ne résolvent pas toutes la question ; néanmoins il y a encore cette différence entre ce cas & celui du n°. 3, que dans celui-ci, pour changer les racines négatives en positives, il ne faut changer qu’en partie les signes de , c’est-à-dire écrire ou  ; au lieu que dans le cas du n°. 1, il faut changer tout-à-la-fois les deux signes de , & écrire dans l’énoncé, pour employer la racine positive inutile à la question.

6°. Les racines négatives, je le répete, sont un inconvénient, sur-tout lorsqu’elles sont mêlées avec les positives ; mais il y a bien de l’apparence qu’on ne parviendra jamais à lever cet inconvénient ; peut-être pourroit-on le diminuer, si on avoit une bonne méthode de résoudre les équations. C’est ce que nous tâcherons plus bas de faire sentir, ou plûtôt entrevoir, en parlant des équations du second degré. Mais ce qui prouve que les racines négatives ne sont pas tout-à-fait inutiles à la solution d’un problème, c’est l’application de l’Algebre à la Géométrie. Les ordonnées négatives d’une courbe sont aussi réelles que les positives, & appartiennent aussi essentiellement à la courbe ; nous l’avons prouvé au mot Courbe d’une maniere aussi rigoureuse que nouvelle, en faisant voir que les ordonnées négatives deviennent positives, en transposant seulement l’axe. De même en transformant une équation algébrique, on peut rendre toutes les racines réelles positives ; car soit b la plus grande des racines négatives, & soit fait x=z−A, A étant une quantité plus grande que b ou égale à b ; alors les facteurs, au lieu d’être, par exemple, x−a, x+b, seront z−A−a, z−A+b, toutes deux positives. Voy. encore sur cet article ce que nous dirons plus bas, en parlant des équations appliquées à la Géométrie.