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tes, en les aiguisant avec quelques gouttes de sel volatil armoniac ; tous mes efforts n’ont eu aucun succès. Quelquefois cette maladie, qui d’ailleurs n’influe en aucune façon sur le fond de la santé de l’animal, a paru céder à ces remedes ; mais leur efficacité n’a été qu’apparente, & l’action de harper n’a cessé que pour quelque tems. Je ne peux donc point encore indiquer des moyens sûrs pour la vaincre ; mais j’espere que les expériences auxquelles je me livre sans cesse, aux dépens de tout, & sans espoir d’autre récompense que celle d’être utile, m’en suggéreront d’autres, que je publierai dans mes Elémens d’Hippiatrique : ce n’est que du travail & du tems que nous devons attendre les découvertes. (e)

L’objet de l’Hippiatrique est maintenant d’une telle importance, qu’après avoir vû ce que M. Bourgelat pense de l’éparvin, on ne sera pas fâché de trouver à la suite de ses idées celles qui nous ont été communiquées par M. Genson.

C’est un avantage bien précieux pour l’Encyclopédie, d’avoir pû se procurer en même tems sur cette matiere les secours & les lumieres des deux hommes de France qui la connoissent le mieux.

Ceux pour qui l’objet de l’Hippiatrique est intéressant, trouveront ici de quoi se satisfaire ; & les hommes qui courent la même carriere remarqueront, dans ce que nous allons ajoûter de M. Genson, un exemple de cette équité, avec laquelle il seroit toûjours à souhaiter qu’on se traitât réciproquement, autant pour l’intérêt de l’art que pour l’honneur de l’humanité.

Les différens symptomes de l’éparvin ont fait diviser cette maladie en plusieurs especes : les uns prétendent en distinguer trois, l’éparvin de bœuf, l’éparvin sec, & l’éparvin calleux : les autres n’en admettent que de deux ; l’éparvin sec, & l’éparvin calleux. Les plus expérimentés n’en reconnoissent qu’un proprement dit, qui est le calleux. C’est, comme on l’a vû par ce qui précede, le sentiment de M. Bourgelat, que l’expérience nous a confirmé. On entend par l’éparvin de bœuf, une tumeur osseuse, semblable à celle qui se trouve au jarret de cet animal, mais nous pouvons attester avec M. Bourgelat, que nous n’avons jamais rien trouvé de la nature de cet éparvin dans le jarret du cheval. On entend par éparvin sec, un mouvement convulsif que le jarret du cheval éprouve, mais qu’il faut distinguer de l’éparvin, comme ayant des causes, des accidens, & un siége différent.

Quoique l’éparvin calleux ou la tumeur osseuse contre nature, qu’on désigne par ce nom, tire sa cause principale des violentes extensions que le jarret du cheval a souffert, dont nous parlerons dans la suite, elle en reconnoît encore d’autres qui sont internes ou héréditaires, comme une mauvaise conformation des os, des ligamens, des muscles ; d’où résultent des jarrets étroits, mal-faits, crochus, trop ou trop peu arqués. Cette difformité dans le cheval vient le plus souvent de l’étalon ou de la jument qui l’ont produit, & l’éparvin est presqu’inséparable de ce vice de conformation : les parties qui en sont affectées n’ayant point leur juste proportion ni le degré de solidité, sont peu propres à soûtenir le poids énorme du cheval, encore moins à résister aux différens mouvemens que l’on lui fait faire dans de certains cas ; d’où s’ensuit que le suc nourricier des os pressé par la tension & la collision des parties encore tendres, s’épanche sur la surface supérieure latérale & interne du canon. Ce suc se durcit, & gêne plus ou moins le mouvement du jarret, selon qu’il est plus ou moins proche de l’articulation. Tantôt cette concression osseuse soude le canon avec quelques-uns des os voisins : pour lors elle fait boiter l’animal dès le commencement de la formation de la tumeur, & de tous

les tems. Tantôt cette tumeur ne fait que pincer l’articulation : dans ce cas l’animal boite jusqu’à ce que la surface intérieure de la tumeur étant usée par le frotement de l’os voisin, laisse un mouvement libre à l’articulation ; & c’est alors qu’on dit improprement que l’éparvin est sorti.

Ce qu’on appelle proprement éparvin sec, est, comme nous l’avons dit, un mouvement convulsif dans les jarrets du cheval. M. Bourgelat en fixe le siége dans les muscles fléchisseurs, propres aux jarrets de cet animal, & la cause dans la distension de ces parties organiques, & des nerfs qui entrent dans leur composition : mais nous croyons que le siége en est aussi dans les ligamens du jarret ; car ces parties qui attachent les os ensemble, ne sont pas simples, & destinées seulement à les assujettir, comme l’ont imaginé les anciens. Ces ligamens sont des parties composées, qui par leur vertu élastique contribuent bien plus au mouvement des membres, que les muscles : or les petits tuyaux qui les composent étant fort serrés & fort étroits, pour peu que leur calibre vienne à changer dans les mouvemens violens que l’animal éprouve, les esprits animaux qui passent dans les pores de ces tuyaux retrécis, font effort pour changer & redresser ces petits tubes, & les remettre dans l’état où ils étoient ; ce qui ne peut s’exécuter sans causer à cette partie un mouvement convulsif que nous appellons harper ou trousser.

Il est inutile de proposer des remedes pour ces genres de maladies, puisque la cure en est jusqu’à présent inconnue. Ceux qui se flatent d’avoir guéri les éparvins, s’approprient mal-à-propos les effets de la nature, qui seule, pendant leurs traitemens inutiles, travaille par le frotement à lever l’obstacle que la tumeur oppose à l’articulation : aussi ces cures prétendues n’arrivent-elles que dans les cas où l’éparvin est superficiel, c’est-à-dire dans le cas où le frotement suffit pour rendre aux parties voisines la liberté de leur mouvement. Mais le vrai remede pour l’éparvin, est d’en connoître, d’en prévenir & éviter les causes primitives. Ces causes sont, 1° dans la génération du poulain, 2° dans l’éducation, 3° dans le maquignonage, 4° dans l’usage que l’on fait des chevaux.

Essayons de combattre tous ces abus, de faire sentir pourquoi les éparvins sont plus communs aux chevaux en ce tems-ci, qu’ils ne l’étoient autrefois, & d’où vient que les beaux & bons chevaux sont si rares de nos jours. 1°. De l’abondance des bons chevaux avant que les abus en eussent altéré l’espece, résultoit que l’on pouvoit faire facilement choix des bons étalons & jumens propres à multiplier : on ne les employoit point à la propagation qu’ils n’eussent atteint l’âge de six ou sept ans, & par-là presque tous les poulains étoient bien conformés. 2°. Le particulier qui avoit des poulains, ne trouvant à les vendre qu’à un certain âge, ne s’empressoit point de les dresser : ces jeunes sujets ainsi ménagés, acquéroient dans toutes leurs parties, & nommément au jarret, un parfait degré de solidité, qui les garantissoit des éparvins. 3°. Les maquignons du tems passé ignoroient la méthode de mettre continuellement leurs chevaux sur les hanches ; ignorance avantageuse pour la conservation des jarrets de ces animaux ; qui semblent aujourd’hui n’être faits que pour servir de victime à ces pernicieux écuyers, qui les sacrifient à leur cupidité. 4°. Anciennement le travail que l’on faisoit faire aux chevaux, étoit des plus modérés ; ceux de carrosse étoient menés tranquillement, & ceux de selle avoient dans toutes leurs parties la bonne conformation & la solidité nécessaire pour soutenir les courses auxquelles on les destinoit. Il résultoit de cette propagation, de cette éducation, de cette ignorance des maquignons, & de cet emploi