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fît avorter : d’autres mangent du linge, de la chaux, du cuir, des excrémens mêmes, selon l’observation de Borelli, cent. III. observ. 2. d’autres des cendres, du charbon, de la craie, du sel, du vinaigre, &c. & ne prennent aucun bon aliment avec goût, pendant qu’elles usent avec avidité de ces différentes ordures.

La plûpart de ces choses sont aussi l’objet de l’appétit dépravé des filles ; mais il est rare qu’elles soient aussi excessives dans leurs desirs déréglés que les femmes grosses : la dépravation de l’appétit dans les filles est toûjours accompagnée d’un vice des humeurs, qui peche par sa quantité ou par sa qualité, qui dispose le plus souvent à la suppression des regles, ou en est une suite. Ce vice est différent, selon la différence des objets absurdes de l’appétit dépravé : ce vice dominant se fait connoître par les nausées, les vomissemens, les douleurs que les personnes affectées rapportent à l’estomac, la pâleur du visage, & autres symptomes qui dépendent de ce vice, dont il n’est d’ailleurs pas possible de déterminer précisément la nature particuliere, qui fait varier le goût pour les différentes matieres qui font l’objet de l’appétit dépravé.

Il est plus aisé de juger des suites que peut avoir cette affection, & de prévoir si elle se terminera par le rétablissement de la santé, ou par la mort, si elle dégénérera en quelqu’autre maladie. Lorsqu’elle est simple, il n’y a rien à en craindre, quand même elle auroit duré depuis long-tems. Les obstructions, la cachexie, les pâles-couleurs, l’hydropisie, la fievre lente, &c. sont les maladies auxquelles elle se trouve souvent jointe, & qu’elle peut aussi produire par les effets de la mauvaise nourriture. Les femmes enceintes sont ordinairement délivrées du malacia, & même du pica, environ le quatrieme mois de leur grossesse : parce que l’enfant qu’elles portent dans leur sein, a acquis alors assez d’accroissement pour consumer toute la partie surabondante des humeurs qui se portent à la matrice ; par conséquent elle n’est plus dans le cas d’y engorger les vaisseaux, d’y croupir, de refluer dans la masse & d’y produire les mauvais effets mentionnés. Si la dépravation de l’appétit subsiste au-delà du quatrieme mois, elle devient dangereuse, parce qu’elle dépend d’une autre cause que la simple grossesse, & qu’elle prive le fœtus de la nourriture ; alors elle ne peut qu’être extremement nuisible à la mere & à l’enfant. On a vû différentes sortes d’envies terminées par la mort : mais, dans ces cas, elles n’étoient pas simples ; elles n’étoient que des symptomes de maladies plus considérables, qui sont devenues mortelles, sans qu’on pût en accuser les envies dont elles étoient accompagnées.

On doit en général se proposer deux objets dans la curation de l’appétit dépravé ; savoir, de corriger l’erreur de l’imagination, & le vice dominant du corps : si c’est l’esprit qui est le plus affecté, le medecin doit y faire beaucoup d’attention, & s’appliquer particulierement à le remettre en bon état, par des remedes moraux : s’il y a indice de mauvais sucs abondans dans les premieres ou dans les secondes voies, on doit faire ensorte qu’ils soient évacués, ou qu’ils changent de qualité & s’améliorent : il faut presque toujours, dans cette affection, traiter en même tems le corps & l’esprit. Après avoir employé les remedes généraux, selon qu’ils sont indiqués, on doit ensuite avoir recours aux altérans appropriés au vice dominant des humeurs ; & comme elles sont le plus souvent épaisses, grossieres & disposées à former des obstructions, on fait usage avec succès de legers apéritifs, rendus plus actifs par degré, sous différentes formes. Les eaux minérales, celles de Balaruc, surtout, comme purgati-

ves, & celles de Vals comme altérantes, ou toutes

autres de nature approchante, sont très-recommandées dans ce cas. Si le sang peche par acrimonie, comme lorsqu’il a contracté ce vice par l’usage excessif, qui a précédé, du poivre, du sel, de la chaux, & autres choses semblables, après avoir rempli les préalables convenables, on doit employer les humectans, les rafraichissans & les adoucissans, auxquels on pourra associer efficacement les legers apéritifs, les laitages, & les eaux minérales acidules.

Au reste, on doit avoir beaucoup égard dans le traitement de la dépravation de l’appétit, à la différence de l’âge, du sexe & du tempérament des personnes qui en sont affectées. Il est de la prudence du medecin de varier les remedes, conséquemment à ces diversités ; & dans le cas où cette affection ne dépend que de la grossesse, il doit se tenir oisif, ou au moins ne donner des secours qu’avec un extrème ménagement ; car il y a à craindre qu’en travaillant à guérir le pica ou le malacia des femmes grosses, on ne leur fasse faire des fausses couches, comme il est arrivé quelquefois : d’ailleurs il est très-rare que les choses dont elles usent, pour satisfaire leur appétit dépravé, leur soient nuisibles, selon ce que montre l’expérience journaliere.

On peut presque dire la même chose des filles, dont les envies ridicules les portent à manger des choses si peu propres à être digérées, qui ne paroissent cependant pas produire les mauvais effets qu’elles produiroient, si elles en mangeoient en santé de même qualité, ou en aussi grande quantité : elles prennent avec une extrème avidité du mortier, des scories de fer, ou seulement des croûtes de pain en abondance. Tout cela est extrèmement sec ; cependant quelques-unes ne boivent presque point, pour détremper ces matieres dans l’estomac ? c’est que ce viscere est plus copieusement abreuvé dans ces cas des sucs salivans, que dans l’état naturel ; ce qui supplée au défaut de la boisson, dissout ces matieres concressibles, & les empêche de se former en masse, qui sortiroit difficilement du ventricule, le tirailleroit par son poids, le blesseroit par ses aspérités, & produiroit les mêmes effets dans les boyaux, si elle pouvoit y être portée en détail. Ces filles, ainsi affectées, n’ont de l’appétit que pour des choses de cette espece, & leur appétit est excessif à cet égard : ce dont elles se rassassient semble en être le remede ; car celles qu’on empêche de se satisfaire, en suivant leur goût dépravé, ne sont que très-difficilement guéries, & l’auroient été beaucoup plûtôt, si on les avoit laissées libres à cet égard.

Boerhaave rapporte, prælect. in instit. §. 803. qu’un habitant d’Amsterdam, extrèmement riche, qui avoit un dégoût insurmontable pour toutes sortes d’alimens, & menoit une vie miserable avec tous ses biens, les remedes n’étant d’aucun effet, eut enfin idée de manger des anchois ; il s’en rassassia, & recouvra la santé. Les poules, qui ne se nourrissent que de grains, engendrent beaucoup d’acides ; ce qui les porte à manger souvent du gravier, & elles périssent si elles n’en trouvent pas : la raison en est évidente. Les enfans & les filles cachectiques débiles, sont fort sujets à engendrer des sucs acides dans les premieres voies ; c’est ce qui les porte naturellement à manger des matieres terreuses, cretacées, & autres propres à absorber les acides & à en corriger la mauvaise qualité, en faisant par ce mêlange un corps neutre : & ces matieres ne nuisent point, tant que l’acide est le vice dominant. Les Medecins se proposent la même indication à remplir, lorsqu’ils employent les absorbans, surtout dans les maladies des entans, &c. Tout cela prouve que les envies, qui portent à manger des choses qui paroissent