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le succès de celui-là paroît démontré : il n’est question que d’éprouver si nous avons ici, comme en Angleterre, des mines de glaise à portée des terres auxquelles elles conviendroient. L’éloignement rendroit la dépense excessive. Voyez Culture.

La marne est une espece de terre blanchâtre & cretacée, qui se trouve quelquefois presque à la superficie, mais plus souvent à une assez grande profondeur. Elle contient beaucoup de sels : de leur quantité dépend en partie la durée de son effet ; mais elle dépend aussi de la qualité de la terre. Les Laboureurs disent de certaines terres, qu’elles usent leur marne plus promptement que d’autres. La durée la plus ordinaire est entre dix-huit & vingt-cinq ans ; il est rare que cette impression de fécondité se fasse sentir jusqu’à trente. La marne convient à toutes les terres froides, & elle est sur-tout excellente dans les terres appellées blanches, qui sont très-communes. La chaleur & l’activité qu’elle leur communique les rend aussi propres à rapporter du blé, qu’aucune terre que ce soit. Il n’est pas possible de déterminer d’une maniere précise la quantité de marne dont un arpent a besoin, puisque cela dépend & de sa qualité & de celle de la terre : cependant on peut l’évaluer à peu près à quatre cents minots, mesure de Paris, pour un arpent à 20 piés pour perche ; c’est une quantité moyenne sur laquelle on peut se regler, mais en consultant toûjours l’expérience pour chaque endroit. Les deux excès doivent être évités avec le plus grand soin ; ne pas marner assez, c’est s’exposer à recommencer bien-tôt une dépense considérable. Il y auroit encore plus de danger à marner trop. L’effet de cet engrais est d’échauffer ; il brûleroit, si l’on passoit certaines bornes.

Pendant les deux premieres années après qu’une terre est marnée, on doit y semer de l’avoine ; les recoltes de ce grain équivalent alors à des recoltes ordinaires de blé, soit par leur abondance, soit par le peu de frais qu’exige la culture : d’ailleurs le blé n’y réussiroit pas dans ces premiers momens du feu de la marne. La fermentation qu’elle excite le laisseroit trop long-tems verd ; il mûriroit tard, & par-là seroit exposé à la rouille, qui est un des plus grands maux que le bled ait à craindre. L’avoine au contraire court moins de risque à proportion de ce qu’elle mûrit plus tard. Après deux recoltes de ce dernier grain, on peut en faire deux très-bonnes de bled, sans qu’il soit besoin d’employer d’autre engrais. Cependant quelques laboureurs, qu’on ne peut qu’approuver, craignant d’épuiser trop tôt leurs terres, y répandent du fumier en petite quantité, & du fumier le moins chaud, pour tempérer un peu le feu de la marne : quatre ou cinq années étant passées, on reprend le cours de la culture ordinaire, & une terre marnée devient alors dans le cas de toutes celles qui n’ont jamais eu besoin de l’être. Le bon effet de la marne se fait sentir, comme nous l’avons dit, pendant un tems plus ou moins long ; mais un inconvénient auquel il faut s’attendre, c’est que la terre devient plus stérile à la fin que si on ne l’avoit pas contrainte à cet effort de fécondité : il est peut-être dans la nature qu’une fermentation extraordinaire soit suivie d’un repos proportionné. Quoi qu’il en soit, il est aisé de distinguer une terre marnée trop anciennement : son aspect est triste ; la pluie qui semble ouvrir toutes les autres terres, bat celle-ci, & en rapproche toutes les parties ; le Soleil la durcit plus qu’il ne l’échauffe ; les mauvaises herbes, & sur-tout le pavot sauvage, y dominent ; le grain y jaunit. Il n’est pas possible de la méconnoître à ces marques de stérilité. Le remede se trouve dans la marne même ; & alors elle devient absolument nécessaire : cela fait dire à quelques laboureurs, qu’elle enrichit le pere & ruine les enfans. On peut dire aussi

qu’elle paye d’avance avec usure ce qu’il en coûte pour la renouveller. Nous devons ajoûter ici qu’avec l’aide des fumiers, on prolonge pendant plusieurs années l’effet de la marne ; mais il faut ne pas les épargner, & savoir s’exécuter sur la dépense : cette prolongation est même utile à la terre, & la pratique en est à conseiller. Enfin lorsqu’on renouvelle la marne, ce ne doit pas être sans y apporter des précautions : elle seroit pour une terre ainsi épuisée, ce que sont certains remedes actifs pour un estomac usé ; ils ne le raniment d’abord, que pour le laisser bien-tôt plus languissant. Il est donc presque nécessaire de donner du repos à la terre, avant de la marner une seconde fois : mais afin que ce tems de repos ne soit pas perdu, on peut y semer de la luzerne, du sain-foin, &c. comme nous le dirons ci-dessous, en parlant des terres fatiguées de rapporter du grain.

De tous les engrais, les fumiers sont ceux dont l’usage est le plus généralement reçû ; mais tous ne sont pas indifféremment propres à toutes sortes de terres. Le fumier de mouton, sur-tout celui qui est ramassé dans le fond de la bergerie, doit être reservé pour les terres froides & médiocrement fortes. Le fumier de cheval, pour les terres froides & fortes en même tems. Le fumier de vache est le meilleur engrais des terres chaudes & legeres : ces différens fumiers mêlés & consommés ensemble conviennent aux terres d’une qualité moyenne entre celles-là ; & ce sont les plus communes. Le plus chaud de tous les fumiers, est celui que donnent les pigeons ; mais il n’est jamais possible de s’en procurer beaucoup : il ne convient non plus qu’aux terres extremement froides. Loin d’en couvrir la terre, comme on doit faire des autres fumiers, on le seme legerement avec la main ; sa chaleur en rendroit la quantité dangereuse.

Le parcage des moutons a cela d’avantageux, que l’engrais est porté sur les terres par ces animaux mêmes. Par cette raison, il est à préférer à tous les autres pour tous les endroits éloignés de la ferme, & où la dépense des charrois seroit grande. Dans quelques provinces, les laboureurs intelligens empruntent les moutons de ceux qui ne le sont pas. Ils achetent le droit de les faire vivre pendant un certain tems sur leurs terres ; & l’abondance des recoltes est toûjours le fruit de cette location.

Une terre fumée habituellement conserve plus long-tems le principe de sa fécondité que celle qui ne l’est qu’en passant ; mais en général on ne peut guere évaluer qu’à deux ou trois ans la durée des effets du fumier. On fume ordinairement sur la jachere ; on en recueille le premier fruit par une abondante moisson de blé : celle d’avoine ou d’orge qui la suit se sent encore des bons effets de l’engrais. Après cela on laisse une année de repos à la terre, pour la façonner & la fumer de nouveau, avant de lui redemander une récolte de blé. C’est là le train commun de la culture pour la plus grande partie des terres ; mais cette année que l’on voit perdue, peut être employée dans les terres grasses par elles-mêmes, ou dans celles qui ont été bien engraissées ; on peut, on doit même y semer des pois ou de la vesce, qui donnent un fourrage excellent : ces plantes extirpent l’herbe, rendent la terre legere, sans l’épuiser beaucoup, & la disposent, peut-être mieux que les labours, à recevoir la semence du blé. Les pois ou la vesce étant recueillis, un seul labour, avec un leger engrais, devient une préparation suffisante. Une attention nécessaire dans ce cas là, & toutes les fois que l’on fume sur le dernier labour d’une jachere, c’est de n’employer que du fumier presqu’entierement consommé : s’il étoit trop crud, il tiendroit d’abord soulevées les parties de la terre ; elle s’af-