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Quelle impossibilité y auroit-t-il à remplir sur les mêmes métiers les fonds de ces tapisseries en laine qu’on fait à l’aiguille, & à ne laisser que les endroits du dessein à nuancer, vuides & prêts à être achevés à la main, soit en laine, soit en soie ? ce qui donneroit pour la célérité de l’exécution de ces sortes d’ouvrages au métier, celle qu’on a dans la machine à bas pour la façon des mailles. J’invite les Artistes à méditer là-dessus.

Ne pourroit-on pas étendre le petit art d’imprimer en caracteres percés, à l’impression ou à la copie de la Musique ? On auroit du papier réglé. Les portées de ce papier seroient aussi tracées sur les petites lames des caracteres. A l’aide de ces traits & des jours mêmes des caracteres, on les rangeroit facilement sur les portées. Les barres qui séparent les mesures, celles qui lient les notes, & tous les autres signes de la Musique seroient au nombre des caracteres. On donneroit aux lames des largeurs qui seroient entr’elles comme les valeurs des notes ; conséquemment les notes occuperoient sur une portée des espaces proportionnés à leurs valeurs, & les mesures se correspondroient rigoureusement les unes aux autres, sur différentes portées, sans la moindre attention de la part du musicien. Cela fait, on auroit un chassi qui contiendroit chaque portée, qu’on appliqueroit successivement sur autant de papiers différens qu’on voudroit, ce qui donneroit autant de copies d’un même morceau. La seule peine qu’il faudroit prendre, ce seroit de hausser & baisser avec un petit instrument les petites lames mobiles les unes entre les autres, dans les endroits où elles ne correspondroient pas aussi exactement qu’il le faut, soit aux lignes, soit aux entre-lignes. J’abandonne le jugement de cette idée à mon ami M. Rousseau.

Enfin une derniere sorte de renvoi qui peut être ou de mot, ou de chose, ce sont ceux que j’appellerois volontiers satyriques ou épigrammatiques ; tel est, par exemple, celui qui se trouve dans un de nos articles, où à la suite d’un éloge pompeux on lit, voyez Capuchon. Le mot burlesque capuchon, & ce qu’on trouve à l’article capuchon, pourroit faire soupçonner que l’éloge pompeux n’est qu’une ironie, & qu’il faut lire l’article avec précaution, & en peser exactement tous les termes.

Je ne voudrois pas supprimer entierement ces renvois, parce qu’ils ont quelquefois leur utilité. On peut les diriger secretement contre certains ridicules, comme les renvois philosophiques contre certains préjugés. C’est quelquefois un moyen délicat & léger de repousser une injure, sans presque se mettre sur la défensive, & d’arracher le masque à de graves personnages, qui curios simulant & bacchanalia vivunt. Mais je n’en aime pas la fréquence ; celui-même que j’ai cité ne me plaît pas. De fréquentes allusions de cette nature couvriroient de ténebres un ouvrage. La postérité qui ignore de petites circonstances qui ne méritoient pas de lui être transmises, ne sent plus la finesse de l’à-propos, & regarde ces mots qui nous égayent, comme des puérilités. Au lieu de composer un dictionnaire sérieux & philosophique, on tombe dans la pasquinade. Tout bien considéré, j’aimerois mieux qu’on dît la vérité sans détour, & que, si par malheur ou par hasard on avoit à faire à des hommes perdus de réputation, sans connoissances, sans mœurs, & dont le nom fût presque devenu un terme deshonnête, on s’abstînt de les nommer ou par pudeur, ou par charité, ou qu’on tombât sur eux sans ménagement, qu’on leur fît la honte la plus ignominieuse de leurs vices, qu’on les rappellât à leur état & à leurs devoirs par des traits sanglans, & qu’on les poursuivît avec l’amertume de Perse & le fiel de Juvénal ou de Buckanan.

Je sai qu’on dit des ouvrages où les auteurs se sont abandonnés à toute leur indignation : Cela est horrible ! On ne traite point les gens avec cette dureté-là ! Ce sont des injures grossieres qui ne peuvent se lire, & autres semblables discours qu’on a tenus dans tous les tems & de tous les ouvrages où le ridicule & la méchanceté ont été peints avec le plus de force, & que nous lisons aujourd’hui avec le plus de plaisir. Expliquons cette contradiction de nos jugemens. Au moment où ces redoutables productions furent publiées, tous les méchans allarmés craignirent pour eux : plus un homme étoit vicieux, plus il se plaignoit hautement. Il objectoit au satyrique, l’âge, le rang, la dignité de la personne, & une infinité de ces petites considérations passageres qui s’affoiblissent de jour en jour & qui disparoissent avant la fin du siecle. Croit-on qu’au tems où Juvénal abandonnoit Messaline aux portefaix de Rome, & où Perse prenoit un bas valet, & le transformoit en un grave personnage, en un magistrat respectable, les gens de robe d’un côté, & toutes les femmes galantes de l’autre ne se récrierent pas, ne dirent pas de ces traits qu’ils étoient d’une indécence horrible & punissable ? Si l’on n’en croit rien, on se trompe. Mais les circonstances momentanées s’oublient ; la postérité ne voit plus que la folie, le ridicule, le vice & la méchanceté, couverts d’ignominie, & elle s’en réjoüit comme d’un acte de justice. Celui qui blâme le vice légerement ne me paroît pas assez ami de la vertu. On est d’autant plus indigné de l’injustice, qu’on est plus éloigne de la commettre ; & c’est une foiblesse repréhensible que celle qui nous empêche de montrer pour la méchanceté, la bassesse, l’envie, la duplicité, cette haine vigoureuse & profonde que tout honnête homme doit ressentir.

Quelle que soit la nature des renvois, on ne pourra trop les multiplier. Il vaudroit mieux qu’il y en eût de superflus que d’omis. Un des effets les plus immédiats, & des avantages les plus importans de la multiplicité des renvois, ce sera premierement, de perfectionner la nomenclature. Un article essentiel a rapport à tant d’articles différens, qu’il seroit comme impossible, que quelqu’un des travailleurs n’y eût pas renvoyé. D’où il s’ensuit qu’il ne peut être oublié ; car tel mot qui n’est qu’accessoire dans une matiere, est le mot important dans une autre. Mais il en sera des choses ainsi que des mots. L’un fait mention d’un phénomene, & renvoye à l’article particulier de ce phénomene ; l’autre d’une qualité, & renvoye à l’article de la substance ; celui-ci d’un système, celui-là d’un procédé, & chacun fait son renvoi à l’endroit convenable, non sur ce qu’il contient, car il ne lui a point été communiqué, mais sur ce qu’il présume y devoir être contenu, pour éclaircir & completer l’article qu’il travaille. Ainsi à tout moment la Grammaire renverra à la Dialectique, la Dialectique à la Métaphysique, la Métaphysique à la Théologie, la Théologie à la Jurisprudence, la Jurisprudence à l’Histoire, l’Histoire à la Géographie & à la Chronologie, la Chronologie à l’Astronomie, l’Astronomie à la Géométrie, la Géométrie à l’Algebre, l’Algebre à l’Arithmétique, &c. Une précaution de la derniere conséquence, c’est de n’avoir pas assez bonne opinion de son collegue pour croire qu’il n’aura rien omis. Il y a tant d’autres raisons que la mauvaise foi, soit pour passer un article, soit pour n’y pas traiter tout ce qui est de son objet, qu’on ne peut être trop scrupuleux à y renvoyer.

Ce sera secondement, d’éviter les répétitions. Toutes les Sciences empietent les unes sur les autres : ce sont des rameaux continus & partant d’un même tronc. Celui qui compose un ouvrage, n’entre pas dans son sujet d’une maniere abrupte, ne s’y renferme pas en rigueur, n’en sort pas brusquement :