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l’hypothese astronomique dans laquelle le philosophe se transporte en idée au centre du soleil, pour y calculer les phénomenes des corps célestes qui l’environnent ; Ordonnance qui a de la simplicité & de la grandeur, mais à laquelle on pourroit reprocher un défaut important dans un ouvrage composé par des philosophes, & adressé à tous les hommes & à tous les tems ; le défaut d’être lié trop étroitement à notre Théologie, science sublime, utile sans doute par les connoissances que le Chrétien en reçoit, mais plus utile encore par les sacrifices qu’elle en exige, & les récompenses qu’elle lui promet.

Quant à ce système général d’où l’arbitraire seroit exclu, & que nous n’aurons jamais ; peut-être ne nous seroit-il pas fort avantageux de l’avoir ; car quelle différence y auroit-il entre la lecture d’un ouvrage où tous les ressorts de l’univers seroient développés, & l’étude même de l’univers ? presqu’aucune : nous ne serions toûjours capables d’entendre qu’une certaine portion de ce grand livre ; & pour peu que l’impatience & la curiosité qui nous dominent & interrompent si communément le cours de nos observations, jettassent de desordre dans nos lectures, nos connoissances deviendroient aussi isolées qu’elles le sont ; perdant la chaîne des inductions, & cessant d’appercevoir les liaisons antérieures & subséquentes, nous aurions bien-tôt les mêmes vuides & les mêmes incertitudes. Nous nous occupons maintenant à remplir ces vuides, en contemplant la nature ; nous nous occuperions à les remplir, en méditant un volume immense qui n’étant pas plus parfait à nos yeux que l’univers, ne seroit pas moins exposé à la témérité de nos doutes & de nos objections.

Puisque la perfection absolue d’un plan universel ne remédieroit point à la foiblesse de notre entendement, attachons-nous à ce qui convient à notre condition d’homme, & contentons-nous de remonter à quelque notion très-générale. Plus le point de vûe d’où nous considérerons les objets sera élevé ; plus il nous découvrira d’étendue, & plus l’ordre que nous suivrons sera instructif & grand. Il faut par conséquent qu’il soit simple, parce qu’il y a rarement de la grandeur sans simplicité ; qu’il soit clair & facile ; que ce ne soit point un labyrinthe tortueux où l’on s’égare, & où l’on n’apperçoive rien au-delà du point où l’on est ; mais une grande & vaste avenue qui s’étende au loin, & sur la longueur de laquelle on en rencontre d’autres également bien distribuées, qui conduisent aux objets solitaires & écartés par le chemin le plus facile & le plus court.

Une considération sur-tout qu’il ne faut point perdre de vûe, c’est que si l’on bannit l’homme ou l’être pensant & contemplateur de dessus la surface de la terre ; ce spectacle pathétique & sublime de la nature n’est plus qu’une scene triste & muette. L’univers se taît ; le silence & la nuit s’en emparent. Tout se change en une vaste solitude où les phénomenes inobservés se passent d’une maniere obscure & sourde. C’est la présence de l’homme qui rend l’existence des êtres intéressante ; & que peut-on se proposer de mieux dans l’histoire de ces êtres, que de se soûmettre à cette considération ? Pourquoi n’introduirons-nous pas l’homme dans notre ouvrage, comme il est placé dans l’univers ? Pourquoi n’en ferons-nous pas un centre commun ? Est-il dans l’espace infini quelque point d’où nous puissions avec plus d’avantage faire partir les lignes immenses que nous nous proposons d’étendre à tous les autres points ? Quelle vive & douce réaction n’en résultera-t-il pas des êtres vers l’homme, de l’homme vers les êtres ?

Voilà ce qui nous a déterminé à chercher dans les facultés principales de l’homme, la division générale à laquelle nous avons subordonné notre tra-

vail. Qu’on suive telle autre voie qu’on aimera

mieux, pourvû qu’on ne substitue pas à l’homme un être muet, insensible & froid. L’homme est le terme unique d’où il faut partir, & auquel il faut tout ramener, si l’on veut plaire, intéresser, toucher jusque dans les considérations les plus arides & les détails les plus secs. Abstraction faite de mon existence & du bonheur de mes semblables, que m’importe le reste de la nature ?

Un second ordre non moins essentiel que le précédent, est celui qui déterminera l’étendue relative des différentes parties de l’ouvrage. J’avoue qu’il se présente ici une de ces difficultés qu’il est impossible de surmonter, quand on commence, & qu’il est difficile de surmonter à quelqu’édition qu’on parvienne. Comment établir une juste proportion entre les différentes parties d’un si grand tout ? Quand ce tout seroit l’ouvrage d’un seul homme, la tâche ne seroit pas facile ; qu’est-ce donc que cette tâche, lorsque le tout est l’ouvrage d’une société nombreuse ? En comparant un Dictionnaire universel & raisonné de la connoissance humaine à une statue colossale, on n’en est pas plus avancé, puisqu’on ne sait ni comment déterminer la hauteur absolue du colosse, ni par quelles sciences, ni par quels arts, ses membres différens doivent être représentés. Quelle est la matiere qui servira de module ? sera-ce la plus noble, la plus utile, la plus importante, ou la plus étendue ? préférera-t-on la Morale aux Mathématiques, les Mathématiques à la Théologie, la Théologie à la Jurisprudence, la Jurisprudence à l’Histoire naturelle, &c. Si l’on s’en tient à certaines expressions génériques que personne n’entend de la même maniere, quoique tout le monde s’en serve sans contradiction, parce que jamais on ne s’explique ; & si l’on demande à chacun ou des élémens, ou un traité complet & général, on ne tardera pas à s’appercevoir combien cette mesure nominale est vague & indéterminée. Et celui qui aura crû prendre avec ses différens collegues des précautions telles que les matériaux qui lui seront remis quadreront à peu près avec son plan, est un homme qui n’a nulle idée de son objet, ni des collegues qu’il s’associe. Chacun a sa maniere de sentir & de voir. Je me souviens qu’un artiste à qui je croyois avoir exposé assez exactement ce qu’il avoit à faire pour son art, m’apporta d’après mon discours, à ce qu’il prétendoit, sur la maniere de tapisser en papier, qui demandoit à peu près un feuillet d’écriture & une demie planche de dessein, dix à douze planches énormément chargées de figures, & trois cahiers épais, in-folio, d’un caractere fort menu, à fournir un à deux volumes in-douze. Un autre au contraire à qui j’avois prescrit exactement les mêmes regles qu’au premier, m’apporta sur une des manufactures les plus étendues par la diversité des ouvrages qu’on y fabrique, des matieres qu’on y employe, des machines dont on se sert, & des manœuvres qu’on y pratique, un petit catalogue de mots sans définition, sans explication, sans figure, m’assûrant bien fermement que son art ne contenoit rien de plus : il supposoit que le reste ou n’étoit point ignoré, ou ne pouvoit s’écrire. Nous avions espéré d’un de nos amateurs les plus vantés, l’article Composition en Peinture, (M. Watelet ne nous avoit point encore offert ses secours). Nous reçûmes de l’amateur, deux lignes de définition, sans exactitude, sans style, & sans idées, avec l’humiliant aveu, qu’il n’en savoit pas davantage ; & je fus obligé de faire l’article Composition en Peinture, moi qui ne suis ni amateur ni peintre. Ces phénomenes ne m’étonnerent point. Je vis avec aussi peu de surprise la même diversité entre les travaux des savans & des gens de lettres. La preuve en subsiste en cent endroits de cet Ouvrage. Ici nous sommes boursouflés & d’un