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quelque chaude que soit la lessive ; d’ailleurs elles sechent & durcissent si promptement, qu’outre qu’elles nuisent à la distribution des lettres, tant elles sont collées les unes contre les autres, elles en remplissent encore l’œil au point qu’il n’y a plus d’espérance de le vuider, ce qui met un caractere qui a peu servi, dans l’état fâcheux d’être remis à la fonte.

Dans le cas où par défaut de précaution l’on employeroit pour faire du vernis, de l’huile très-nouvellement faite, la terebenthine est d’un usage forcé, parce qu’alors il est inévitable que l’impression ne macule pas ; dans cette conjoncture on peut mettre la dixieme partie de terebenthine que l’on fera cuire séparément, dans le même tems, en lieu pareil que le vernis & avec les mêmes précautions. On la fera bouillir deux heures environ : pour reconnoître son degré de cuisson, on y trempe un morceau de papier ; & s’il se brise net comme la poussiere, sans qu’il reste rien d’attaché dessus ce papier en le frotant si-tôt qu’il sera sec, la terebenthine est assez cuite. Votre vernis hors de dessus le feu, vous versez dans le même vaisseau cette terebenthine en remuant beaucoup avec votre cuillere de fer, ensuite on remet le tout sur le feu l’espace d’une demi-heure au plus sans cesser de remuer, afin que le vernis se mêlange avec la terebenthine. Le moyen de se dispenser de l’usage de la terebenthine & de la litharge, & de se garentir des inconvéniens qu’elles produisent, c’est de n’employer que de l’huile très vieille.

Le sac à noir est construit de quatre petits soliveaux de trois ou quatre pouces d’équarrissage & de sept à huit piés de hauteur, soûtenus de chaque côté par deux traverses ; ses dimensions en tout sens dépendent de la volonté de celui qui le fait construire ; le dessus est un plancher bien joint & bien fermé ; le fond ou rez-de-chaussée, pour plus grande sûreté & propreté, doit être ou pavé ou carrelé : vous reservez à cette espece de petite chambre une porte basse pour entrer & sortir ; vous tapissez tout le dedans de cette chambre d’une toile bonne, neuve, & serrée, le plus tendue qu’il est possible avec des clous mis à distance de deux pouces les uns des autres : cela fait, vous colez sur toute votre toile du papier très-fort, & vous avez attention de calfeutrer les jours que vous appercevrez, afin que la fumée ne puisse sortir d’aucun endroit. Un sac à noir ainsi tapissé est suffisant, mais il est de plus de durée & bouche beaucoup plus exactement garni avec des peaux de mouton bien tendues.

C’est dans ce sac que se brûle la poix résine dont on veut tirer le noir de fumée : pour y parvenir, on prépare une quantité de poix-résine, en la faisant bouillir & fondre dans un ou plusieurs pots, suivant la quantité ; avant qu’elle soit refroidie, on y pique plusieurs cornets de papier ou des meches soufrées, on pose les pots avec ordre au milieu du sac, enfin on met le feu à ces meches, & on ferme exactement la petite porte en se retirant.

La poix-résine consommée, la fumée sera attachée à toutes les parties intérieures du sac à noir ; & quand ce sac sera refroidi, vous irez couvrir les pots & refermer la porte ; puis frappant avec des baguettes sur toutes les faces extérieures, vous ferez tomber tout le noir de fumée, alors vous le ramassez & vous le mettez dans un vaisseau de terre ou autre. Comme il arrive qu’en le ramassant avec un balai il s’y mêle quelque ordure, vous avez la précaution de mettre au fond du vaisseau une quantité d’eau ; & quand elles sont précipitées, vous relevez votre noir avec une écumoire, ou au moyen de quelque autre précaution, pour le mettre dans un vaisseau propre à le conserver. Ce noir de fumée est sans contredit le meilleur que l’on puisse employer pour

l’encre d’imprimerie, il en entre deux onces & demie sur chaque livre de vernis ; je suppose la livre de seize onces : cependant c’est à l’œil à déterminer par la teinte de l’encre la quantité de noir.

Pour bien mêler le noir de fumée avec le vernis, il suffit d’être très-attentif en les mêlant ensemble, de les mêler à différentes reprises, & de les remuer à chaque fois beaucoup, & de façon que le tout forme une bouillie épaisse, qui produise une grande quantité de fils quand on la divise par parties.

Il est d’usage dans quelques Imprimeries de ne mêler le noir de fumée dans le vernis que sur l’encrier ; le coup-d’œil décide également de la quantité des deux choses. Je ne vois à la composition de cette encre aucun inconvénient, si ce n’est celui de craindre que l’on ne broye pas assez ce mélange, parce que cela demande du tems ; ou que l’encre ainsi faite par différentes mains, ne soit pas d’une teinte égale dans la même Imprimerie : d’où j’infere qu’il vaut mieux avoir son encre également préparée, sans se fier trop aux compagnons.

Encre rouge : on se sert de cette encre assez fréquemment, & presque indispensablement dans l’impression des breviaires, diurnaux, & autres livres d’église ; quelquefois pour les affiches des livres, & par élégance aux premieres pages.

Pour l’encre rouge, le vernis moyen est le meilleur que l’on puisse employer ; il doit être fait d’huile de lin en force & nouvelle, parce qu’elle ne noircit pas en cuisant comme celle de noix, & que ce vernis ne peut être trop clair. On supplée au noir de fumée le cinnabre ou vermillon bien sec & broyé le plus fin qu’il est possible. Vous mettez dans un encrier reservé à ce seul usage, une petite quantité de ce vernis, sur lequel vous jettez partie de vermillon ; vous remuez & écrasez le tout avec le broyon ; vous relevez avec la palette de l’encrier cette premiere partie d’encre au fond de l’encrier ; vous répétez cette manœuvre à plusieurs reprises, jusqu’à ce que vous ayez employé par supposition une livre de vernis & une demi-livre de vermillon. Plusieurs personnes mêlent dans cette premiere composition, trois ou quatre cuillerées ordinaires d’esprit-de-vin ou d’eau-de-vie, dans laquelle on a fait dissoudre vingt-quatre heures avant, un morceau de colle de poisson de la grosseur d’une noix. J’ai reconnu par expérience que ce mélange ne remplissant pas toutes les vûes que l’on se proposoit, il étoit plus certain d’ajoûter pour la quantité donnée d’encre rouge, un gros & demi de carmin le plus beau ; il rectifie la couleur du vermillon, qui souvent n’est pas aussi parfaite qu’on la souhaiteroit ; il ajoûte à son éclat, & l’empêche de ternir : cela est plus dispendieux, je l’avoue, mais plus satisfaisant. Quand donc vous aurez ajoûté ces choses, vous recommencerez de broyer votre encre de façon qu’elle ne soit ni trop forte, ni trop foible, l’encre rouge forte étant très-sujette à empâter l’œil de la lettre. Si vous ne consommez pas, comme cela arrive, tout ce que vous avez fait d’encre rouge ; pour la conserver, relevez votre encrier par le bord, & remplissez-le d’eau que vous entretiendrez, afin que le vermillon ne seche pas & ne se mette pas en petites écailles sur la surface du vernis, dont il se sépare par l’effet du hâle & de la sécheresse.

Quoiqu’on n’employe ordinairement que les deux sortes d’encre dont nous venons de parler, on peut probablement en faire de différentes couleurs, en substituant au noir de fumée & au vermillon les ingrédiens nécessaires, & qui produisent les différentes couleurs. On pourroit, par exemple, faire de l’encre verte avec le verd-de-gris calciné & préparé ; de la bleue, avec du bleu de Prusse aussi préparé ;