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acide avec lequel il est intimement mêlé ; la noix de galle est un alkali qui s’unit avec les acides, & leur fait lâcher le fer qui reparoît dans sa noirceur naturelle. Voilà la méchanique de l’encre ; aussi des quatre especes de vitriol, celui qu’on appelle vitriol de Chypre ou de Hongrie, est le seul qui ne fasse point d’encre, parce que c’est le seul dont la base soit de cuivre, au lieu que dans les autres c’est du fer.

Si, après que l’encre est faite, on y jette quelques gouttes d’esprit de vitriol, la couleur noire disparoît, parce que le fer se réunit au nouvel acide, & redevient vitriol ; par la même raison les acides effacent les taches d’encre. C’est avec les végétaux tels que le sumac, les roses, les glands, &c. que se fait l’encre commune. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Encre noire à l’usage de l’Imprimerie. Celle dont on se sert pour l’impression des livres, est un mélange d’huile & de noir ; on convertit cette huile en vernis par la cuisson : le noir se tire de la poix-résine ; on retient artistement toutes les parties qu’exhale la fumée de cette sorte de poix quand on vient à la brûler dans une bâtisse faite exprès, nommée dans la profession sac à noir : on le décrira dans la suite de cet article.

Le vaisseau dans lequel l’on veut faire le vernis d’Imprimerie, peut être de fer, de fonte ou de cuivre ; de ce dernier métal il est fait assez ordinairement en forme de poire, & on le nomme ainsi : les autres sont tout simplement de la figure & forme d’une chaudiere ordinaire. De quelque matiere que soit le vaisseau, & quelque forme qu’on lui suppose, il doit avoir un couvercle de cuivre, avec lequel on puisse à volonté le boucher très-exactement. Le corps de ce vaisseau doit être armé vers le milieu de deux anneaux de fer, un peu plus hauts que le niveau du couvercle qui a aussi le sien : ces anneaux servent à passer un ou deux batons, au moyen desquels un homme à chaque bout peut sans risquer, porter & transporter ce vaisseau, lorsqu’on veut le retirer de dessus le feu, ou l’y remettre.

Pour se précautionner contre tous les accidens qui peuvent arriver, il est de la prudence, pour faire ce vernis, de choisir un lieu spacieux, tel qu’un jardin, & même d’éviter le voisinage d’un bâtiment.

Si, comme je le suppose, on veut faire cent livres de vernis, réduction faite ; mettez dans votre poire ou chaudiere cent dix à cent douze livres d’huile de noix ; observez que cette quantité, ou que celle que peut contenir votre vaisseau, ne le remplisse qu’au deux tiers au plus, afin de donner de l’aisance à l’huile, qui s’éleve à mesure qu’elle s’échauffe.

Votre vaisseau en cet état, bouchez-le très-exactement, & le portez sur un feu clair que vous entretiendrez l’espace de deux heures. Ce premier tems donné à la cuisson, si l’huile est enflammée, comme cela doit arriver, en ôtant votre poire de dessus le feu, chargez le couvercle de plusieurs morceaux de vieux linge ou étoffes imbibées d’eau. Laissez brûler quelque tems votre huile, à laquelle il faut procurer ce degré de chaleur, quand elle ne le prend pas par elle-même, mais avec ménagement & à différentes fois. Ce feu ralenti, découvrez votre vaisseau avec précaution, & remuez beaucoup votre huile avec la cuillere de fer : ce remuage ne peut être trop répété, c’est de lui d’où dépend en très grande partie la bonne cuisson. Ces choses faites, remettez votre vaisseau sur un feu moins vif ; & dès l’instant que votre huile reprendra chaleur, jettez dans cette quantité d’huile une livre pesant de croutes de pain seches & une douzaine d’oignons, ces choses accélerent le dégraissement de l’huile ; puis recouvrez votre vaisseau, & le laissez bouillir à très-petit

feu trois heures consécutives ou environ : dans

cet espace de tems votre huile doit parvenir à un degré parfait de cuisson. Pour le connoître & vous en assûrer, vous trempez la cueillere de fer dans votre huile, & vous faites égoutter la quantité que vous avez puisée sur une ardoise ou une tuile : si cette huile refroidie est gluante, & file à peu-près comme feroit une foible glue, c’est une preuve évidente qu’elle est à son point, & dès-lors elle change son nom d’huile en celui de vernis.

Le vernis ainsi fait, doit être transvasé dans des vaisseaux destinés à le conserver ; mais avant qu’il perde sa chaleur, il faut le passer à plusieurs reprises dans un linge de bonne qualité, ou dans une chausse faite exprès, afin qu’il soit net au point d’être parfaitement clarifié.

L’on doit avoir de deux sortes de vernis : l’un foible, pour le tems froid ; l’autre plus fort, pour le tems chaud. Cette précaution est d’autant plus indispensable, que souvent on se trouve obligé de modifier ou d’accroître la qualité de l’un par celle de l’autre.

On peut faire le vernis foible au même feu que le vernis fort, mais dans un vaisseau séparé : on peut aussi employer, & c’est mon avis, pour ce vernis l’huile de lin, parce qu’à la cuisson elle prend une couleur moins brune & moins chargée que celle de noix, ce qui la rend plus propre à l’encre rouge dont nous allons parler.

Le vernis foible, pour sa perfection, exige les mêmes soins & précautions que le vernis plus fait : toute la différence consiste à ne lui donner qu’un moindre degré de feu, mais ménagé de telle sorte néanmoins, qu’en lui faisant acquérir proportionnellement les bonnes qualités du vernis fort, il soit moins cuit, moins épais, & moins gluant que le fort.

Si l’on veut faire ce demi-vernis de la même huile de noix dont on se sert pour le vernis fort, ce qui n’est qu’un petit inconvénient, lorsqu’il s’agit de l’employer pour faire l’encre rouge, ou s’épargner la peine de le faire séparément & de différente huile ; il est tout simple de saisir l’occasion de la premiere cuisson de l’autre à l’instant qu’on lui reconnoîtra les qualités requises, & d’en tirer la quantité desirée, & même de celle qui est sur le feu.

Les huiles de lin & de noix sont les seules propres à faire le bon vernis d’Imprimerie ; celle de noix mérite la préférence à tous égards : quant aux autres sortes, elles ne valent rien, parce qu’on ne peut les dégraisser parfaitement, & qu’elles font maculer l’impression en quelque tems qu’on la batte, ou qu’elle jaunit à mesure qu’elle vieillit.

Cependant dans quelques imprimeries on use de celles de navette & de chanvre, mais c’est pour imprimer des livres de la bibliotheque bleue : ce ménage est de si peu de conséquence, que l’on peut assûrer que c’est employer de propos délibéré de mauvaise marchandise.

Il y a des imprimeurs qui croyent qu’il est nécessaire de mettre de la terebenthine dans l’huile pour la rendre plus force, & afin qu’elle seche plûtôt. Elle fait ces effets, mais il en résulte nombre d’inconvéniens. La premiere difficulté est de la faire cuire si précisément, qu’elle n’épaississe pas trop le vernis, ce qu’il est très-rare d’éviter ; alors le vernis est si fort & si épais, qu’il effleure le papier sur la forme & la remplit en fort peu de tems : si la terebenthine est cuite à son point, elle forme une pâte assez liquide, mais remplie de petits grains durs & comme de sable qui ne se broyent jamais.

La terebenthine, ainsi que la litharge, dont quelques-uns usent, & font un secret précieux, ont encore le défaut de s’attacher si fort au caractere, qu’il est presque impossible de bien laver les formes,