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EMPEREUR, imperator, (Hist. anc.) nom que les Romains donnoient à tous les généraux d’armée, du mot latin imperare. On appelloit empereur, dans un sens particulier, un général qui, après avoir remporté quelque victoire signalée, étoit salué de ce nom par les acclamations des soldats, & ensuite honoré de ce titre par un decret du sénat. Il falloit, pour le mériter, avoir gagné une bataille dans laquelle dix mille des ennemis fussent restés sur la place, ou conquis quelque ville importante. César fut appellé de ce nom par le peuple romain, pour marquer la souveraine puissance qu’il avoit dans la république, & dès-lors le nom d’empereur devint un titre de dignité. C’est dans ce dernier sens qu’Auguste & ses successeurs ont été nommés empereurs ; ce qui toutefois n’empêchoit pas qu’on ne le prît quelquefois au premier sens, pour l’attribuer à ces princes : ainsi Auguste fut appellé empereur vingt fois, parce qu’il avoit remporté vingt victoires célebres. Tite, après la prise de Jérusalem, fut salué empereur par son armée, & Appien remarque que cette coûtume subsistoit encore sous Trajan.

La dignité d’empereur réunie dans une seule personne par Jules-César, fut héréditaire sous ses trois premiers successeurs, Octave-Auguste, Tibere, & Caligula ; mais après la mort de celui-ci elle devint élective. Ce furent les soldats de la garde prétorienne qui proclamerent Claude empereur. Il est vrai que pour l’ordinaire les enfans ou les parens de l’empereur défunt lui succédoient ; ce n’étoit point précisément par droit héréditaire, mais parce que les empereurs de leur vivant les avoient associés à l’empire, en les créant césars avec l’agrément des armées, qui ayant la force en main, avoient usurpé sur le sénat le droit d’élection. Le choix que faisoient les armées, tomboit toûjours sur quelqu’un de leurs chefs dont ils connoissoient la bravoure, s’arrêtant plus volontiers à cette qualité, qui frappe davantage l’homme de guerre, qu’à la naissance & aux talens politiques : aussi l’empire est-il tombé plusieurs fois entre les mains de simples soldats, qui ayant passé par tous les grades militaires, étoient élûs par leurs compagnons, sans avoir d’autre mérite qu’une valeur féroce.

Dès que les empereurs étoient élûs, ils envoyoient leur image à Rome & aux armées, afin qu’on la mît aux enseignes militaires : c’étoit la maniere ordinaire de reconnoître les nouveaux princes. Ensuite ils faisoient aux troupes & au peuple des largesses nommées congiaires. Le sénat donnoit le nom d’auguste à la femme & aux filles de l’empereur ; & quand lui ou son épouse paroissoit en public, on portoit devant eux un brasier plein de feu, & des licteurs armés de faisceaux entourés de lauriers, les précédoient. Jusqu’à Dioclétien les empereurs ne porterent que la couronne de laurier ; ce prince prit le premier le diadème, & fut imité par ses successeurs jusqu’à Justinien, qui introduisit l’usage de la couronne fermée.

Comme les empereurs réunissoient dans leur personne la puissance des dictateurs, des consuls, des censeurs, des tribuns du peuple, & de presque tous les grands magistrats de la république, dont ils avoient ou supprimé les titres, ou réduit l’autorité à des noms & à des honneurs chimériques, il est naturel de penser que leur pouvoir étoit despotique : il fut plus, il fut quelquefois tyrannique ; mais cela procédoit du caractere de ces princes. Auguste, Vespasien, Tite, Trajan, Marc-Aurele, les Antonins, respecterent les lois, partagerent le poids du gouvernement avec le sénat, & sous leur empire le peuple romain ne s’apperçut presque point de la perte de sa liberté ; mais il dut la regretter bien vivement sous les regnes d’un Tibere, d’un Caligula, d’un Né-

ron, d’un Domitien, à qui les plus sanglantes proscriptions

ne coûtoient qu’un clin d’œil, & qui ne connoissoient le pouvoir suprème que pour faire des malheureux. Gouvernés par des affranchis, par des maîtresses ; entourés de flateurs & de délateurs, ils passoient leur vie dans le luxe & la mollesse : plus jaloux de leurs plaisirs que du bonheur de leurs sujets, ils les sacrifioient au moindre soupçon, aussi périrent-ils eux-mêmes la plûpart de mort violente.

Le souverain sacerdoce étoit attaché à la dignité d’empereur, comme il paroît par les médailles ; ainsi ils étoient tout-à-la-fois à la tête du civil, du militaire, & de la religion.

On leur rendoit des honneurs extraordinaires, & rien n’égale la magnificence des fêtes par lesquelles la capitale se signaloit, lorsqu’un empereur revenoit victorieux après une expédition militaire, ou en action de graces de sa convalescence. Tertullien dans son Apologétique nous en décrit quelques particularités. On allumoit des feux dans les rues, & des lampes devant les maisons : on y dressoit des tables toutes servies ; & dans ces festins on répandoit le vin avec profusion, pour faire des libations en l’honneur du génie de l’empereur, ou aux dieux, pour sa prospérité. Les particuliers ornoient de lauriers & d’autres feuillages les portes de leurs maisons. Les arcs de triomphe, les sacrifices solennels & les jeux du cirque n’étoient pas non plus oubliés ; & ce qu’on a peine à concevoir, c’est qu’il ne fallut pas un siecle pour rendre idolatre de ses empereurs, ce même peuple auparavant idolatre de la liberté qu’ils lui avoient ravie. On leur érigeoit des statues & des monumens superbes, des temples même de leur vivant, & enfin après leur mort on les mettoit au nombre des dieux, Voyez Apothéose, Consécration. (G)

Empereur, (Hist. & Droit public Germanique.) c’est le nom qu’on donne au prince qui a été légitimement choisi par les électeurs pour être le chef de l’Empire Romain Germanique, & le gouverner suivant les lois qui lui ont été imposées par la capitulation impériale (voyez Capitulation). Depuis l’extinction de la maison de Charlemagne, qui possédoit l’Empire par droit de succession, ou selon d’autres depuis Henri IV, la dignité impériale est devenue élective, & depuis ce tems personne n’y est parvenu que par la voie d’élection ; & même les électeurs craignant que les empereurs de la maison d’autriche ne rendissent la dignité impériale héréditaire dans leur famille, ont inséré dans la capitulation de Matthias & celles des empereurs suivans, une clause par laquelle leurs mains sont liées à cet égard. Les électeurs ne sont point obligés à s’attacher dans leur choix à aucune maison particuliere ; il suffit que la personne élûe soit 1°. mâle, parce que la dignité impériale ne peut passer entre les mains des femmes ; 2°. que le prince qu’on veut élire soit Allemand, ou du moins d’une race originaire d’Allemagne : cependant cette regle a quelquefois souffert des exceptions ; 3°. qu’il soit d’une naissance illustre. 4°. La bulle d’or dit vaguement qu’il faut qu’il soit d’un âge convenable, justæ ætatis ; mais cet âge ne paroît fixé par aucunes lois. 5°. Il faut qu’il soit laïc, & non ecclésiastique. 6°. Qu’il ne soit point hérétique ; cependant il ne paroît point qu’un protestant soit exclu de la dignité impériale par aucune loi fondamentale de l’Empire.

Lorsque le throne impérial est vacant, voici les usages qui s’observent pour l’élection d’un nouvel empereur. L’électeur de Mayence en qualité d’archichancelier de l’Empire, doit convoquer l’assemblée des autres électeurs dans l’espace de trente jours, depuis que la mort de l’empereur lui a été notifiée. Les électeurs doivent se rendre à Francfort sur le Mein ; ils comparoissent à l’assemblée ou en person-