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Les fondemens de ce travail sont renfermés en partie dans la description d’Hérodote ; il s’agit de les y découvrir, de corriger ce qui est mal présenté, de justifier ce qui est bien dit, de tenter quelques expériences sur les matieres balsamiques & bitumineuses des momies, d’imiter les embaumemens égyptiens, & voir s’il n’y auroit pas quelques moyens d’imitation fondés sur les principes chimiques qui dirigent les Anatomistes dans la préparation de leurs pieces.

On peut réduire à deux sentimens tout ce qu’on a dit sur cet objet. Les uns ont prétendu que le corps entier salé, avoit été embaumé de maniere que les matieres balsamiques, résineuses & bitumineuses s’étoient unies avec les chairs, les graisses, les liqueurs, & qu’elles avoient formé ensemble une masse égale ; les autres, qu’on saloit le corps, qu’on le desséchoit, & qu’on lui appliquoit les matieres balsamiques. Quant au desséchement, l’humidité étant cause de corruption, ils ont ajoûté qu’on le séchoit à la fumée, ou qu’on le faisoit bouillir dans le pissasphalte, pour en consumer les chairs, graisses, &c.

On peut objecter au sentiment des premiers, l’expérience qu’on a de certains corps tombant en pourriture, dans des maladies où il est absolument impossible d’absorber les fluides par des matieres résineuses & balsamiques ; matieres qui ne font point d’union avec l’eau. D’ailleurs les momies sont parfaitement seches, & l’on n’y remarque pas la moindre trace d’humidité.

Le sentiment des seconds est plus conforme à la raison.

Le natrum des anciens étoit un alkali fixe, puisqu’ils s’en servoient pour nettoyer, dégraisser, blanchir les étoffes, les toiles, & faire le verre. Notre nitre ou salpetre est au contraire un sel moyen qui ne dégraisse point les étoffes, qui conserve les chairs, qui les sale comme le sel marin, & qui conserve leurs sucs. Le natrum des anciens agissoit sur les chairs d’une maniere toute opposée à notre nitre ; il s’unissoit aux liqueurs lymphatiques, huileuses, grasses, les séparoit du reste, & faisoit l’effet de la chaux des Tanneurs & autres ouvriers en cuir, épargnoit les muscles, les tendons, les os.

Hérodote dit dans la premiere façon d’embaumer, qu’on lavoit le corps avant que de l’envelopper de bandes. C’est ainsi qu’on enlevoit les restes des matieres lymphatiques & du natrum, sources d’humidité. Les embaumeurs ne saloient donc le corps que pour le dessécher ; mais le natrum, en restant, eût retenu & même attiré l’humidité, comme c’est la propriété des sels alkalis.

Le natrum agissant sur les corps, comme la chaux, il n’étoit pas permis de saler plus de soixante-dix jours. En effet, comme il arrive aux cuirs trop enchausenés, le natrum auroit attaqué les solides. Un sel neutre n’opere pas en si peu de tems, comme il paroît à nos viandes séchées.

Mais si le natrum, dira-t-on, étoit un sel alkali, pourquoi ne détruisoit-il pas ? c’est qu’il est foible, qu’il ne ressemble point à la pierre à cautere, mais au sel de la soude & au sel marin.

Il est à présumer que Bils préparoit ses pieces anatomiques en salant le corps avec un sel alkali, à la maniere des Egyptiens ; méthode qu’une odeur aromatique ne servoit qu’à déguiser. Clauderus en étoit persuadé, mais il se trompoit sur les effets du sel alkali ; il croyoit que l’alkali volatil s’unissoit aux parties putrides, & qu’il étoit retenu dans les chairs du cadavre.

On pourroit demander sur le premier embaumement dont parle Hérodote, à quoi bon remplir le corps de myrrhe & d’aromates, avant que de le saler ? En le salant on emporte en partie ces aromates ; car le natrum

agit puissamment sur les balsamiques, en formant avec leurs huiles une matiere savoneuse, soluble, & facile à emporter par les lotions. Il semble qu’il faudroit placer la salaison & les lotions avant l’emploi des aromates.

Il y a très-peu de momies enveloppées de toiles gommées, appliquées sans résine immédiatement sur le corps desséché ; elles ont communément deux bandages. Le corps & les membres sont chacun séparément entortillés de bandes de toile résineuse ou bitumineuse : c’est-là le premier. Le second est formé d’autres bandes de toile sans résine ou bitume, qui prennent le tout & l’emmaillottent comme les enfans. Celles-ci ont pû être enduites de gommes.

Les momies nous parviennent rarement avec le second bandage ; on l’ôte par curiosité pour les amuletes.

Elles ne sont pas toutes renfermées dans des caisses : c’est pour les garantir du contact de l’air qu’on y a employé la résine.

Une seconde critique qu’on peut faire d’Hérodote, est relative à son second embaumement. Sans incision, l’injection par le fondement ne remplira point le ventre, elle ne parcourra qu’une petite étendue d’intestins. D’ailleurs la liqueur de cedre est un baume ou une résine sans force, sans action corrosive. Si l’on employoit le cédria, c’étoit comme aromate, l’injection étoit de natrum. Le cédria n’a pû avoir lieu dans l’embaumement, qu’après la salaison & les lotions.

La cervelle se tiroit par un trou fait artificiellement aux narines & au fond de l’orbite de l’œil. Hérodote n’est pas exact là-dessus.

Il n’est pas concevable qu’on embaumât tous les Egyptiens. Le peuple couchoit ses morts sur des lits de charbons, emmaillottés de linges, & couverts d’une natte sur laquelle il amassoit une épaisseur de sept à nuit piés de sable.

Quelle durée l’embaumement ne donnoit-il pas aux corps ? il y en a qui se conservent depuis plus de deux mille ans. On a trouvé dans la poitrine d’un de ces cadavres, une branche de romarin à peine desséchée.

La matiere de la tête d’une momie, encore assez molle pour que l’ongle y pût entrer dans un tems chaud, & peu altérée, a donné d’abord un peu d’eau insipide, qui dans la progression de la distillation est devenue acide. Il a passé en même tems une huile limpide, peu colorée, de l’odeur de succin. Cette huile s’est ensuite épaissie & colorée ; elle s’est figée en se refroidissant, sans perdre l’odeur de succin. Sa liqueur acide n’a pû crystalliser, à cause de sa trop petite quantité.

On peut voir dans M. Roüelle les expériences qu’il a faites sur les matieres qu’il a présumées entrer dans les embaumemens. Une réflexion qui résulte de ces experiences, c’est qu’en y employant la poudre de cannelle & d’autres ingrédiens qui attirent l’humidité, on consulte plus le nez que l’art.

Elles fournissent trois sortes d’embaumemens, l’un avec le bitume de Judée, un second avec le mélange de bitume & la liqueur de cedre ou cédria, & un troisieme avec le même mélange & une addition de matieres résineuses & aromatiques.

Embaumement, opération de Chirurgie, c’est l’action d’embaumer un corps. Voici comment elle se pratique.

Le chirurgien commande au plombier de faire un cercueil, dont les dimensions intérieures doivent excéder la longueur & la grosseur du corps. Il commande aussi un barril de plomb pour mettre les entrailles ; & une boîte de plomb faite de deux pieces, pour mettre le cœur.

On prépare cinq bandes, deux de la largeur de