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tribués, on parvient à grouper des figures dans le genre même de peinture dont il s’agit.

On prétend qu’il faut que l’or employé soit très-pur ; parce que les émaux clairs mis sur un or bas, plombent, c’est-à-dire qu’il s’y forme un louche qui en obscurcit la couleur & la bordure.

Lorsque la plaque a été ébauchée à l’échope, on la finit avec des outils dont le tranchant est mousse, parce qu’il faut que tout l’ouvrage soit coupé d’un poli bruni, sans quoi on appercevroit au-travers des émaux les traits grossiers du dessein.

Cela fait, il faut broyer des émaux. Les broyer pour cette espece de peinture, c’est seulement les mettre en grain, ensorte qu’on les sente graveleux sous le doigt. Plus on pourra les employer gros, plus les couleurs seront belles.

On charge comme pour l’émail ordinaire, observant de distribuer sur chaque partie du dessein la couleur qu’on croit lui convenir, si le sujet est à plusieurs couleurs ; & de charger également par-tout, si c’est un camayeu.

On voit combien il seroit à souhaiter pour la perfection de cette peinture, qu’on eût quelque matiere transparente & molle, qui pût recevoir toutes sortes de couleurs, & dont on pût remplir & vuider facilement le champlever de la piece. L’artiste, à l’aide de cette matiere, verroit d’avance l’effet de ses émaux, donneroit à son champlever, ou plûtôt aux parties de son bas-relief, les profondeurs convenables ; distribueroit d’une maniere plus sûre & mieux entendue ses ombres & ses clairs, & formeroit un tableau beaucoup plus parfait. Je ne sais si le vernis à l’eau de cire de M. Bachelier, n’auroit pas toutes les conditions requises pour cet usage (voyez l’article Encaustique). L’idée de perfectionner ainsi l’art d’employer les émaux transparens, est de M. de Montami, qui, au milieu d’une infinité de distractions, sait trouver des instans à donner à l’étude des Sciences & des Arts, qu’il aime & qu’il cultive en homme que la nature avoit évidemment destiné à les perfectionner.

Lorsque la piece est chargée, on la laisse secher à l’air libre. Pour la passer au feu, on allume le fourneau à l’ordinaire ; quand il est assez chaud, on présente la piece à l’entrée de la moufle ; si elle fume, on la laisse sécher ; si elle ne fume pas, on la laisse un peu s’échauffer : on la pousse ensuite tout-à-fait sous la moufle ; on l’y tient jusqu’à ce que les émaux se soient fondus comme à l’ordinaire.

Après ce premier feu, on la charge une seconde fois, mais seulement aux endroits où l’émail s’est trop affaissé, & qui se trouvent trop bas. La premiere fois la piece avoit été également chargée par-tout, & les émaux s’elevoient un peu au-dessus du niveau de la plaque.

Après que la piece a été rechargée d’émail, on la passe au feu comme la premiere fois.

Cela fait, il s’agit d’user les émaux avec le grais. Cette manœuvre ne s’exécute pas autrement que nous l’avons prescrit dans l’art de peindre sur l’émail blanc. Lorsque la piece est usée, on la repasse au feu qui l’unit & la polit ; & l’ouvrage est achevé. Au lieu d’user & de polir ces émaux, comme nous l’avons dit de l’émail blanc, on peut y employer le lapidaire.

Les émailleurs en émaux clairs & transparens, ont deux verds ; le verd de pré, & le verd d’aigue marine ; deux jaunes, un pâle & un foncé ; deux bleux, un foncé & un noir ; un violet ; un couleur de rose, & un rouge. Les émaux transparens, purpurins & violets, viennent très-beaux sur l’argent ; mais ils s’y attachent mal.

La manœuvre du feu est la même pour toutes ces couleurs, excepté pour le rouge ; encore y a-t-il un

rouge que les Artistes appellent le pont-aux-ânes, parce qu’il vient rouge sans art, & qu’il se trouve quelquefois aussi beau que celui qu’on traite avec beaucoup de peine & de soin.

Quant à l’autre rouge, voici comment il s’employe. Il faut le broyer à l’ordinaire, & l’appliquer sur un or à vingt-trois carats, si l’on veut qu’il soit beau ; car le moindre alliage le gâte. Si l’or est absolument pur, le rouge viendra le plus beau qu’il est possible.

Quand il est broyé, on le charge à l’ordinaire, en deux feux qu’il faut lui donner les plus violens. Il sort de ces feux d’une belle couleur de paille.

Si l’on veut que la piece soit usée, c’est alors qu’il faut l’user. Ensuite on fait revenir l’émail de couleur rouge, en le présentant à l’entrée de la moufle, & tournant & retournant la piece, jusqu’à ce que le rouge ait pris une teinte égale.

Il faut que la piece soit refroidie, quand on la présente à l’entrée de la moufle.

Pour connoître ses couleurs, il faut que l’artiste ait de petits morceaux d’or où il a pratiqué autant de logemens champlevés, qu’il a de couleurs. Il en flinquera le fond avec un instrument poli : il les chargera ensuite, & les passera au feu ; voilà ce qui lui tiendra lieu de palette, & ce qui le dirigera dans l’application de ses émaux.

Parmi les émaux clairs & transparens, il y en a beaucoup de défectueux. Leur défaut est de laisser trop peu de tems à l’artiste pour charger sa piece. Pour peu qu’il soit lent à cette opération, leurs couleurs deviennent louches & bourbeuses, ce dont on ne s’apperçoit malheureusement qu’au sortir du feu.

Il est donc important de charger vîte, & plus encore de n’avoir point de ces émaux dont les couleurs sont inconstantes.

On présume que c’est l’eau qui les altere ; cependant il y en a de si bonnes, qu’on les garderoit huit jours entiers dans l’eau, sans qu’elles perdissent rien de leur éclat.

IV. L’art d’employer l’émail à la lampe. C’est de tous les arts que je connoisse un des plus agréables & des plus amusans : il n’y a aucun objet qu’on ne puisse exécuter en émail par le moyen du feu de la lampe, & cela en très-peu de tems, & plus ou moins parfaitement selon qu’on a une moindre ou une plus grande habitude de manier les émaux, & une connoissance plus ou moins étendue de l’art de modeler. Pour exceller dans ce genre, il seroit donc à-propos de commencer par apprendre le dessein pendant quelque tems, & de s’occuper ensuite avec quelqu’assiduité à modeler toutes sortes d’objets & de figures.

Pour travailler à la lampe, il faut commencer par se procurer des tubes de verre de toutes sortes de grosseur & de toutes sortes de couleurs ; des tubes d’émail de toutes sortes de grosseur & de toutes sortes de couleurs ; & des baguettes d’émail de verre solides de toutes sortes de grosseur & de toutes sortes de couleurs.

Il faut avoir une table large & haute à discrétion, autour de laquelle on puisse placer commodément plusieurs lampes & plusieurs ouvriers, & sous laquelle on ait adapté un grand soufflet à double vent, que l’un des ouvriers met en mouvement avec le pié, pour aviver & exciter la flamme des lampes, qui étendue en longueur par ce moyen, & resserrée dans un espace infiniment étroit, relativement à celui qu’elle occupoit auparavant, en devient d’une ardeur & d’une vivacité incroyable. Voyez dans nos Planches d’Emailleur cette table & ce soufflet.

Il faut que des rainures pratiquées dans l’épaisseur du dessous de la table, & recouvertes de parchemin, servent à conduire le vent à des tuyaux placés devant chaque lampe. Ces tuyaux sont de verre ; ils