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une fois dégradées, le mal est sans remede ; car comme elles sont transparentes, celles qu’on coucheroit dessus dans la suite, tiendroient toûjours de la foiblesse & des autres défauts de celles qui seroient dessous.

Après ce premier feu, il faut disposer la piece à en recevoir un second. Pour cet effet, il faut la repeindre toute entiere ; colorier chaque partie comme il est naturel qu’elle le soit, & la mettre d’accord aussi rigoureusement que si le second feu devoit être le dernier qu’elle eût à recevoir ; il est à propos que la couche des couleurs soit pour le second feu un peu plus forte, & plus caracterisée qu’elle ne l’étoit pour le premier. C’est avant le second feu qu’il faut rompre ses couleurs dans les ombres, pour les accorder avec les parties environnantes : mais cela fait, la piece est disposée à recevoir un second feu. On la fera sécher sur la poële comme nous l’avons prescrit pour le premier, & l’on se conduira exactement de la même maniere, excepté qu’on ne la retirera que quand elle paroîtra avoir pris sur toute sa surface un poli un peu plus vif que celui qu’on lui vouloit au premier feu.

Après ce second feu, on la mettra en état d’en recevoir un troisieme, en la repeignant comme on l’avoit repeinte avant que de lui donner le second ; une attention qu’il ne faudra pas négliger, c’est de fortifier encore les couches des couleurs, & ainsi de suite de feu en feu.

On pourra porter une piece jusqu’à cinq feux ; mais un plus grand nombre feroit souffrir les couleurs, encore faut-il en avoir d’excellentes pour qu’elles puissent supporter cinq fois le fourneau.

Le dernier feu est le moins long ; on reserve pour ce feu les couleurs tendres, c’est par cette raison qu’il importe à l’artiste de les bien connoître. L’artiste qui connoîtra bien sa palette, ménagera plus ou moins de feux à ses couleurs selon leurs qualités. S’il a, par exemple un bleu tenace, il pourra l’employer dès le premier feu ; si au contraire son rouge est tendre, il en différera l’application jusqu’aux derniers feux, & ainsi des autres couleurs. Quel genre de peinture ? combien de difficultés à vaincre ? combien d’accidens à essuyer ? voilà ce qui faisoit dire à un des premiers peintres en émail à qui l’on montroit un endroit foible à retoucher, ce sera pour un autre morceau. On voit par cette réponse combien ses couleurs lui étoient connues : l’endroit qu’on reprenoit dans son ouvrage étoit foible à la vérité, mais il y avoit plus à perdre qu’à gagner à le corriger.

S’il arrive à une couleur de disparoître entierement, on en sera quitte pour repeindre, pourvû que cet accident n’arrive pas dans les derniers feux.

Si une couleur dure a été couchée avec trop d’huile & en trop grande quantité, elle pourra former une croûte sous laquelle il y aura infailliblement des trous : dans ce cas, il faut prendre le diamant & grater la croûte, repasser au feu afin d’unir & de repolir l’endroit, repeindre toute la piece, & surtout se modérer dans l’usage de la couleur suspecte.

Lorsqu’un verd se trouvera trop brun, on pourra le rehausser avec un jaune pâle & tendre ; les autres couleurs ne se rehausseront qu’avec le blanc, &c.

Voilà les principales manœuvres de la peinture en émail, c’est à-peu-près tout ce qu’on peut en écrire ; le reste est une affaire d’expérience & de génie. Je ne suis plus étonné que les artistes d’un certain ordre se déterminent si rarement à écrire. Comme ils s’apperçoivent que dans quelques détails qu’ils pûssent entrer, ils n’en diroient jamais assez pour ceux que la nature n’a point préparés, ils négligent de préscrire des regles générales, communes, grossieres & matérielles qui pourroient à la vérité servir à

la conservation de l’art, mais dont l’observation la plus scrupuleuse feroit à peine un artiste médiocre.

Voici des observations qui pourront servir à ceux qui auront le courage de s’occuper de la peinture sur l’émail ou plûtôt sur la porcelaine. Ce sont des notions élémentaires qui auroient leur utilité, si nous avions pû les multiplier, & en former un tout ; mais il faut espérer que quelque homme ennemi du mystere, & bien instruit de tous ceux de la peinture sur l’émail & sur la porcelaine, achevera, rectifiera même dans un traité complet ce que nous ne faisons qu’ébaucher ici. Ceux qui connoissent l’état où sont les choses aujourd’hui, apprétieront les peines que nous nous sommes données, en profiteront, nous sauront gré du peu que nous révélons de l’art, & trouveront notre ignorance, & même nos erreurs très-pardonnables.

1. Toutes les quintessences peuvent servir avec succès dans l’emploi des couleurs en émail. On fait de grands éloges de celle d’ambre ; mais elle est fort chere.

2. Toutes les couleurs sont tirées des métaux, ou des bols dont la teinture tient au feu. Ce sont des argiles colorées par les métaux-couleurs.

3. On tire du safre un très-beau bleu. Le cobolt donne la même couleur, mais plus belle ; aussi celui-ci est-il plus rare & plus cher ; car le safre n’est autre chose que du cobolt adultéré.

4. Tous les verds viennent du cuivre, soit par la dissolution, soit par la calcination.

5. On tire les mars du fer. Ces couleurs sont volatiles ; à un certain degré de feu elles s’évaporent ou se noircissent.

6. Les mars sont de différentes couleurs, selon les différens fondans. Ils varient aussi selon la moindre variété qu’il y ait dans la réduction du métal en safran.

7. La plus belle couleur que l’on puisse se proposer d’obtenir du fer, c’est le rouge. Les autres couleurs qu’on en tire ne sont que des combinaisons de différens dissolvans de ce métal.

8. L’or donnera les pourpres, les carmins, & les violets. La teinture en est si forte, qu’un grain d’or peut colorer jusqu’à 400 fois sa pesanteur de fondant.

9. Les bruns qui viennent de l’or ne sont que des pourpres manqués ; ils n’en sont pas moins essentiels à l’artiste.

10. En général les couleurs qui viennent de l’or sont permanentes. Elles souffrent un degré de feu considérable. Cet agent les altérera pourtant, si l’on porte son action à un degré excessif. Il n’y a guere d’exception à cette regle, que le violet qui s’embellit à la violence du feu.

11. On peut tirer un violet de la manganese ; mais il est plus commun que celui qui vient de l’or.

12. Le jaune n’est pour l’ordinaire qu’un émail opaque qu’on achete en pain, & que l’on broye très fin. On tire encore cette couleur belle, mais foncée, du jaune de Naples.

13. Les pains de verre opaque donnent aussi des verds : ils peuvent être trop durs ; mais on les attendrira par le fondant. Alors leur couleur en deviendra moins foncée.

14. L’étain donnera du blanc.

15. On tirera un noir du fer.

16. Le plomb ou le minium donnera un fondant ; mais ce fondant n’est pas sans défaut. Cependant on s’opiniâtre à s’en servir, parce qu’il est le plus facile à préparer.

17. La glace de Venise, les stras, la rocaille de Hollande, les pierres-à-fusil bien mûres, c’est-à-dire bien noires ; le verre de Nevers, les crystaux de Boheme, le sablon d’Etampes, en un mot toutes les matieres vitrifiables non colorées, fourniront des