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onces : mêlez exactement, réduisez en poudre, & procédez comme ci-dessus.

Le succès de ce procédé dépend surtout de la qualité de la magnésie, & de la conduite du feu. Trop de feu efface les couleurs ; & moins la magnésie a de qualité, plus il en faut augmenter la dose.

Faire un émail jaune. Prenez de la matiere commune de l’émail, six livres ; de tartre trois onces, de magnésie soixante & douze grains : mêlez & incorporez bien ces matieres avec celle de l’émail ; & procédant comme ci-dessus, vous aurez un émail jaune bon pour les métaux, à l’exception de l’or, à moins qu’on ne le soûtienne par d’autres couleurs.

Kunckel avertit que, si on laisse trop long-tems au feu, le jaune s’en ira ; qu’il ne faut pas pour cette couleur un tartre pur & blanc, mais un tartre sale & grossier ; & que sa coûtume est d’y ajoûter un peu de cette poudre jaune qu’on trouve dans les vieux chênes, & au défaut de cette poudre, un peu de charbon pilé.

Faire un émail bleu. Prenez d’oripeau calciné deux onces, de safre quarante-huit grains ; réduisez en poudre, mêlez les poudres, répandez-les dans quatre livres de la matiere commune des émaux, & achevez comme ci-dessus.

Faire un émail violet. Prenez de la matiere commune des émaux six livres, de magnésie deux onces, d’écailles de cuivre calcinées par trois fois quarante-huit grains, & achevez comme ci-dessus.

Kunckel dit sur les deux derniers émaux, qu’ils donnent l’aigue marine ; il prescrit le safre seul pour le bleu, & il veut qu’on y ajoûte un peu de magnésie pour le violet : mais il se rétracte ensuite ; il approuve les deux procédés de Neri : il ajoûte seulement qu’il importe pour ces deux couleurs de retirer du feu à propos ; observation générale pour toutes les autres couleurs.

Ces émaux viennent de Venise ou de Hollande ; ils sont en petits pains plats de différentes grandeurs. Ils ont ordinairement quatre pouces de diametre, & quatre à cinq lignes d’épaisseur. Chaque pair porte empreinte la marque de l’ouvrier : cette empreinte se donne avec un gros poinçon ; c’est ou un nom de Jesus, ou un soleil, ou une syrene, ou un sphynx, ou un singe, &c.

II. L’art de peindre sur l’émail. L’art d’émailler sur la terre est ancien. Il y avoit au tems de Porsenna roi des Toscans, des vases émaillés de différentes figures. Cet art, après avoir été long-tems brut, fit tout-à-coup des progrès surprenans à Faenza & à Castel-Durante, dans le duché d’Urbin. Michel Ange & Raphaël florissoient alors : aussi les figures qu’on remarque sur les vases qu’on émailloit, sont elles infiniment plus frappantes par le dessein, que par le coloris. Cette espece de peinture étoit encore loin de ce qu’elle devoit devenir un jour ; on n’y employoit que le blanc & le noir, avec quelques teintes legeres de carnation au visage & à d’autres parties : tels sont les émaux qu’on appelle de Limoges. Les pieces qu’on faisoit sous François I. sont très-peu de chose, si on ne les estime que par la maniere dont elles sont coloriées. Tous les émaux dont on se servoit, tant sur l’or que sur le cuivre, étoient clairs & transparens. On couchoit seulement quelquefois des émaux épais, séparément & à plat, comme on le pratiqueroit encore aujourd’hui si l’on se proposoit de former un relief. Quant à cette peinture dont nous nous proposons de traiter, qui consiste à exécuter avec des couleurs métalliques, auxquelles on a donné leurs fondans, toutes sortes de sujets, sur une plaque d’or ou de cuivre qu’on a émaillée & quelquefois contre-émaillée, elle étoit entierement ignorée.

On en attribue l’invention aux François. L’opinion générale est qu’ils ont les premiers exécuté sur l’or

des portraits aussi beaux, aussi finis, & aussi vivans que s’ils avoient été peints ou à l’huile ou en mignature. Ils ont même tenté des sujets d’histoire, qui ont au moins cet avantage que l’éclat en est inaltérable.

L’usage en fut d’abord consacré au bijou. Les Bijoutiers en firent des fleurs & de la mosaïque où l’on voyoit des couleurs brillantes, employées contre toutes les regles de l’art, captiver les yeux par le seul charme de leur éclat.

La connoissance de la manœuvre produisit une sorte d’émulation, qui, pour être assez ordinaire, n’en est pas moins précieuse ; ce fut de tirer un meilleur parti des difficultés qu’on avoit surmontées, en produisant des ouvrages plus raisonnables & plus parfaits. Quand il n’y eut plus de mérite à émailler purement & simplement, on songea à peindre en émail ; les Joailliers se firent peintres, d’abord copistes des ouvrages des autres, ensuite imitateurs de la nature.

Ce fut en 1632 qu’un orfévre de Châteaudun, qui entendoit très-bien l’art d’employer les émaux clairs & transparens, se mit à chercher l’autre peinture, qu’on appellera plus exactement peinture sur l’émail qu’en émail ; & il parvint à trouver des couleurs, qui s’appliquoient sur un fond émaillé d’une seule couleur, & se parfondoient au feu. Il eut pour disciple un nommé Gribalin : ces deux peintres communiquerent leur secret à d’autres artistes qui le perfectionnerent, & qui pousserent la peinture en émail jusqu’au point où nous la possédons aujourd’hui. L’orfévre de Châteaudun s’appelloit Jean Toutin.

Le premier qui se distingua entre ces artistes, fut l’orfévre Dubié qui logeoit aux galeries du louvre. Peu de tems après Dubié, parut Morliere : il étoit d’Orléans. Il travailloit à Blois. Il borna son talent à émailler des bagues & des boîtes de montre. Ce fut lui qui forma Robert Vouquer de Blois, qui l’emporta sur ses prédécesseurs par la beauté des couleurs qu’il employa, & par la connoissance qu’il eut du dessein. Vouquer mourut en 1670. Pierre Chartier de Blois lui succéda, & peignit des fleurs avec quelque succès.

La durée de la peinture en émail, son lustre permanent, la vivacité de ses couleurs, la mirent alors en grand crédit : on lui donna sur la peinture en mignature une préférence, qu’elle eût sans doute conservée, sans les connoissances qu’elle suppose, la patience qu’elle exige, les accidens du feu qu’on ne peut prévoir, & la longueur du travail auquel il faut s’assujettir. Ces raisons sont si fortes, qu’on peut assûrer sans craindre de se tromper, qu’il y aura toûjours un très-petit nombre de grands peintres en émail ; que les beaux ouvrages qui se feront en ce genre seront toûjours très-rares & très-précieux, & que cette peinture sera long-tems encore sur le point de se perdre ; parce que la recherche des couleurs prenant un tems infini à ceux qui s’en occupent, & les succès ne s’obtenant que par des expériences coûteuses & réitérées, on continuera d’en faire un secret. C’est pour cette raison que nous invitons ceux qui aiment les Arts, & que leur état & leur fortune ont élevés au-dessus de toute considération d’intérêt, de publier sur la composition des couleurs propres pour la peinture de l’émail & de la porcelaine, ce qu’ils peuvent en connoître ; ils se feront beaucoup d’honneur, & ils rendront un service important à la Peinture. Les peintres sur l’émail ont une peine incroyable à completer leur palette ; & quand elle est à peu près complete, ils craignent toûjours qu’un accident ne la dérange, ou que quelques couleurs dont ils ignorent la composition, & qu’ils employent avec beaucoup de succès, ne viennent à leur manquer. Il m’a paru, par exemple, que des rouges de Mars qui eussent de l’éclat & de la fixité étoient très-rares. Comment un Art se per-