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pent sur les choses que leur trompe ne peut pas saisir. Ils craignent le feu ; on arrête leur fureur en leur jettant des pieces d’artifice enflammées. Cet animal si grand & si fort est exposé aux insultes des plus vils insectes, les mouches l’incommodent en le piquant dans les endroits où sa peau est gersée ; c’est pourquoi il a soin de jetter avec sa trompe de la poussiere sur son corps, & de se rouler sur la terre en sortant du bain : car il ne manque pas de se baigner souvent, soit pour faire tomber la croûte que la poussiere a formée sur sa peau, soit pour ramollir son épiderme qui est sujet à se dessécher ; on le frote d’huile pour prévenir ce desséchement. En fronçant sa peau il écrase les mouches qui se trouvent dans les gersures. Ses ennemis les plus redoutables sont le rhinoceros, le lion, le tygre & les serpens, mais sur-tout le tygre, parce qu’il saisit l’éléphant par la trompe & la met en pieces. Les Negres lui donnent la chasse, parce qu’ils vendent ses défenses & mangent sa chair.

Lorsque les éléphans sont en chaleur ils deviennent furieux ; mais, au rapport de Tavernier, cela n’arrive guere à ceux qui sont apprivoisés. On prétend que la femelle amoncele des feuilles avec sa trompe, en sait une sorte de lit, s’y couche sur le dos quand elle veut recevoir le mâle, & l’appelle par des cris ; que leur accouplement ne se fait que dans les lieux les plus écartés & les plus solitaires, & que les femelles portent pendant dix ans. Quelques auteurs disent qu’elles ne conçoivent qu’une fois en sept ans, & que leur portée n’est que d’un an, de dix-huit mois, de deux ans, ou de deux ans & demi ; que chaque portée est d’un seul fœtus. D’autres soûtiennent qu’il y en a trois ou quatre, & que la mere les allaite pendant sept ou huit ans ; mais tous ces faits sont très-incertains, on n’a pû les observer sur les éléphans domestiques, puisqu’ils ne s’accouplent pas, & il n’est guere possible de suivre des éléphans sauvages d’assez près & assez long-tems pour faire de telles observations. La durée de leur vie n’est guere mieux connue ; on a dit que ces animaux vivoient jusqu’à trois, quatre ou cinq cents ans, & qu’ils grandissent pendant la moitié de leur vie : d’autres assûrent qu’elle ne dure que cent vingt, cent trente, ou cent cinquante ans, &c.

On a mis l’éléphant au rang des animaux fissipedes, dans les divisions méthodiques des quadrupedes. En effet il a cinq doigts à chaque pié, mais ils sont entierement réunis & cachés sous la peau. Les ongles ne sont pas vraiment des ongles ; ils ne tiennent pas aux doigts comme il a déjà été dit, & leur nombre varie, puisque l’elephant de Versailles n’en avoit que 3 à chaque pié, tandis qu’on en montroit un autre à Paris qui venoit des Indes, & qui en avoit quatre. Cependant le P. Tachard a observé que tous les éléphans qu’il a vûs à Siam, avoient cinq ongles.

Il y a eu diverses opinions sur les défenses de l’éléphant. On a cru que la plûpart des femelles n’en avoient point, & qu’elles étoient très-courtes dans les autres ; qu’elles sortoient de la mâchoire inférieure, & qu’elles tomboient chaque année. Mais les défenses de l’éléphant femelle de Versailles, tenoient à la mâchoire supérieure ; elles étoient longues, & n’ont pas tombé pendant les treize ans qu’il a été à la ménagerie. Quelques auteurs ont prétendu que ces défenses étoient des dents : d’autres ont soûtenu qu’on devoit les regarder comme des cornes ; en effet leur substance qui est l’ivoire (voyez Ivoire.) s’amolit au feu, ce qui n’arrive pas à celle des dents ; & l’os dont sortent ces défenses est distinct & séparé de celui dont sortent les dents : ce qui prouve qu’elles sont de véritables cornes.

On feroit une longue histoire de l’éléphant, si l’on rapportoit tout ce qu’on a dit de son instinct, & tous

les détails du cérémonial établi chez différens peuples, qui ont beaucoup de vénération pour cet animal ; on verroit que l’amour du merveilleux a fait croire que l’éléphant a des vertus & des vices, qu’il est chaste & modeste, orgueilleux & vindicatif, qu’il aime les loüanges, qu’il comprend ce qu’on lui dit, &c. Des nations entieres ont fait des guerres longues & cruelles, & des milliers d’hommes se sont égorgés pour la conquête de l’éléphant blanc. Cent officiers soignent un éléphant de cette couleur à Siam ; il est servi en vaisselle d’or, promené sous un dais, logé dans un pavillon magnifique dont les lambris sont dorés. Plusieurs rois de l’Orient préferent à tout autre titre, celui de possesseur de l’éléphant blanc. Mais c’en est assez sur ce sujet, qui est fort étranger à l’histoire naturelle de l’éléphant.

Les éléphans sauvages vont par troupes. Il y a plusieurs manieres de les prendre & de les apprivoiser. Au royaume de Siam, des hommes montent sur des éléphans femelles, & se couvrent de feuillages pour n’être pas apperçus des éléphans sauvages qu’ils vont chercher dans les forêts : dès qu’ils se croyent à portée de quelques-uns de ces animaux, ils font crier les femelles sur lesquelles ils sont montés ; les mâles répondent à ces cris par des hurlemens effroyables, & s’approchent des femelles, que les hommes font marcher vers une allée fermée par des palissades : les mâles suivent les femelles, & dès que l’un d’eux est entré dans l’allée, on fait tomber deux coulisses, une pardevant l’éléphant sauvage, & l’autre par derriere : de sorte qu’il se trouve enfermé sans pouvoir avancer, ni reculer, ni se retourner. Il jette des cris terribles, & fait des efforts étonnans pour se dégager, mais c’est en vain ; alors on tâche de le calmer & de l’adoucir, en lui jettant des seaux d’eau sur le corps ; on verse de l’huile sur ses oreilles, & on fait venir des éléphans privés mâles & femelles qui le caressent avec leurs trompes. Pendant ce tems-là, on lui passe des cordes sous le ventre & aux piés de derriere, & enfin on fait approcher un éléphant privé. Un homme est monté dessus & le fait avancer & reculer, pour donner exemple à l’éléphant sauvage ; ensuite on leve la coulisse qui l’arrête, & aussitôt il avance jusqu’au bout de l’allée : dès qu’il y est arrivé, on met à ses côtés deux éléphans domestiques, que l’on attache avec lui ; un troisieme marche devant, & le tire par une corde ; & un quatrieme le suit, & le fait marcher à grands coups de tête qu’il lui donne par-derriere. C’est ainsi qu’on conduit l’éléphant sauvage jusqu’à une espece de remise, où on l’attache à un gros pilier qui tourne comme un cabestan de navire ; on le laisse-là pour lui donner le tems d’appaiser sa fureur. Dès le lendemain il commence à aller avec les éléphans privés, & en quinze jours il est entierement apprivoisé.

Le roi de Siam a encore une autre façon de faire la chasse aux éléphans : mais elle demande beaucoup d’appareil. On commence par attirer le plus grand nombre d’éléphans sauvages qu’il est possible dans un parc spatieux, environné par de gros pieux qui laissent de grandes ouvertures de distance en distance ; on les y fait venir par le moyen d’une femelle, ou en les épouventant par le son des trompettes, des tambours, des hautbois, & sur-tout par le feu dans divers endroits de la forêt, pour les faire aller dans le parc. Lorsqu’ils y sont arrivés, on fait autour une enceinte d’éléphans de guerre, pour empêcher que les éléphans sauvages ne franchissent les palissades ; ensuite on mene dans le parc à-peu-près autant d’éléphans privés des plus forts, qu’il y a d’éléphans sauvages. Les premiers sont montés chacun par deux chasseurs, qui portent de grosses cordes à nœuds coulans, dont les bouts sont attachés à l’éléphant. Les conducteurs de chacun de ces éléphans les font